
Paris, le mardi 3 septembre 2019 – Il y a les programmes gouvernementaux. Fin juillet, le ministère de la Santé a présenté une feuille de route dédiée à la prévention et à la prise en charge des surdoses d’opioïdes en France. Ce programme comportait cinq objectifs dont un spécifiquement dédié à la « diffusion large de la naloxone prête à l’emploi ». Sur ce point, le ministère de la Santé observait que « La France a mis à disposition la première spécialité disponible sous forme nasale dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation de cohorte (ATUc). Une forme injectable par voie intra-musculaire avec AMM est également disponible depuis juin 2019 ». De son côté, à l’occasion de la journée internationale de sensibilisation aux overdoses, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a complété ces données en se félicitant des avancées réalisées ces dernières années et en constatant que l’ATU a « permis une mise à disposition précoce de la naloxone à environ 2000 patients entre 2016 et 2018. Dans ce cadre, au moins 30 personnes ont reçu la naloxone dans une situation d’overdose ».
Même les toxicomanes ne connaissent pas la naloxone
Et il y a parallèlement à ces annonces et à ces satisfécits, la réalité. La France connaît un retard certain par rapport à nombre de pays occidentaux en ce qui concerne la mise à disposition de la naloxone en direction des publics concernés. Le dossier du ministère de la Santé l’admet en creux en notant qu’en 2017 « 16 programmes de naloxone destinée à une administration à domicile étaient opérationnels dans 10 pays européens ». Les associations de défense des consommateurs de drogues et celles de professionnels spécialisés dans leur prise en charge le constatent également, parlant d’un accès « confidentiel » à la naloxone. L’association Aides est la plus virulente qui déplore : « Concrètement rien n’est fait » pour que les recommandations émises par le gouvernement « soient suivies d’effets, bien au contraire ! Le grand écart est visible à plusieurs endroits », dénonce l’organisation. Et parmi les signes marquants de l’absence de visibilité de la naloxone on constate la méconnaissance très large de cet antidote parmi les consommateurs de drogues accompagnés par l’association.
Des freins multiples
Des faits plus concrets confirment ou expliquent par ailleurs la diffusion encore trop restreinte de la naloxone. D’abord, faute d’entente sur le prix entre le laboratoire et le gouvernement, le Nalscue, pulvérisation nasale, n’a jamais pu être accessible en pharmacie et demeure réservé aux établissements de santé et aux centres dédiés tandis que sa commercialisation devrait bientôt être arrêtée, en raison d’un manque de rentabilité. Si le Prenoxad (solution injectable) est pour sa part accessible en pharmacie, l’approvisionnement du réseau officinal est limité. « D'après un testing réalisé avec une association d'usagers de drogues, l'antidote n'était présent que dans une pharmacie sur quarante et les deux-tiers des pharmacies ne connaissaient pas ce produit » indique le président du Fonds actions addictions, le professeur Michel Reynaud. Parmi les raisons de cette situation : un processus d’approvisionnement trop complexe, puisque les pharmacies doivent directement s’adresser aux laboratoires et non aux grossistes. Enfin, si par chance les patients et leur entourage ont été sensibilisés et s’ils parviennent à se procurer le produit, le prix (23,16€), concernant des publics souvent touchés par une grande précarité, peut-être un frein. Le Prenoxad n’est pris en charge que s’il est prescrit (la prescription n’est pas obligatoire) et uniquement à 65 % en cas d’absence de complémentaire (ce qui n’est pas rare chez les usagers de drogues).
Gratuité et sensibilisation
Face à ce tableau regrettable et inquiétant et alors que l’efficacité et la faible dangerosité de la naloxone sont désormais bien démontrées, un collectif d’associations a formulé hier douze propositions en vue d’une amélioration de l’accès à la naloxone. Plusieurs rejoignent les préconisations du gouvernement, telle la mise à disposition du produit auprès des pompiers et de la police, son déploiement au sein du réseau officinal et auprès des centres dédiés. Les associations insistent en outre beaucoup sur la nécessaire gratuité ou quasi gratuité de l’antidote et sur la sensibilisation du public et la formation des « pairs profanes ». Et en attendant que ces initiatives soient entendues, l’association Aides organise jusqu’au 6 septembre la semaine de la naloxone, qui prévoit notamment différentes actions de formation et de sensibilisation au sein des CAARUD (Centre d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues).
Feuille de route du ministère de la Santé : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_prevention_des_surdoses_opioides-juillet_2019.pdf
Aurélie Haroche