
L’INCA pas intéressé jusqu’à aujourd’hui
Rien de scientifiquement établi
Des résultats pas comparables
Pourtant, certains experts se récrient et citent l’étude cas témoin Karuprostate, conduite en Guadeloupe. Elle avait consisté à comparer l’histoire de 709 patients atteints de cancer de la prostate à celle de 723 hommes exempts de la maladie. Outre un recueil d’information par voie de questionnaire, les travaux reposaient sur un dosage du chlordécone. « Une relation dose effet positive a été trouvée entre [une concentration plasmatique en chlordécone au-dessus de la limite de détection] et le risque de survenue d’un cancer de la prostate » résumait au début de l’année l’INSERM dans son rapport d’expertise collective sur le chlordécone. Cependant, ces résultats ne sont aujourd’hui pas jugés suffisamment solides pour pouvoir confirmer l’existence d’un risque accru, selon l’INCA. Dans son communiqué annonçant le lancement du nouveau programme de recherche, l’institut indique : « l’étude Karuprostate, basée sur une méthodologie de type cas/témoins et menée en Guadeloupe entre 2004 et 2007, n’a pas permis de comparer les deux groupes ni sur l’âge ni sur les facteurs de risque classiques de survenue du cancer de la prostate. Bien qu’elle se base sur un nombre de patients suffisant (600 patients atteints du cancer de la prostate et 600 personnes indemnes de la maladie), l’absence possible de comparaison sur ces caractéristiques représente un biais pouvant impacter les résultats ».Les auteurs de Karuprostate se montrent très irrités qu’un tel jugement de valeur figure de façon assez inhabituelle dans un communiqué officiel et surtout dénient le sérieux de cette critique. « Les âges médians étaient bien légèrement différents, les résultats ont été ajustés non seulement à l’âge mais également aux autres facteurs de risque confondants » assure ainsi Luc Multigner.
Des faiblesses méthodologiques inhérentes aux études cas témoins
Faut-il croire que les institutions officielles se refusent à reconnaître les qualités des travaux déjà disponibles parce qu’elles redoutent la confirmation d’un lien qui pourrait avoir des conséquences financières importantes si des demandes d’indemnisation étaient déposées (déjà la semaine dernière plusieurs associations ont adressé un courrier au Premier ministre pour demander à l’État la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété lié au chlordécone) ? Si des suspicions ne sont pas impossibles, on ne peut ignorer que les failles méthodologiques de l’étude ont été signalées y compris de la part de ceux qui ont soutenu sa mise en œuvre. Ainsi, dans son rapport d’expertise, l’INSERM énumère les limites des travaux : caractère rétrospectif des études cas témoins, impossibilité de déterminer si la concentration plasmatique au chlordécone reflète l’exposition passée ou encore le fait que les antécédents familiaux et le fait d’avoir vécu en métropole (?) paraissent des facteurs de risque plus marqués que l’exposition au chlordécone.Un sur-risque chez tous les hommes originaires
d’Afrique subsaharienne
Cette controverse illustre une nouvelle fois l’extrême complexité
d’établir un lien entre exposition à un phénomène environnemental
et le risque accru d’une pathologie. Dans ce contexte, les
difficultés sont augmentées par une exposition quasiment
généralisée au chlordécone (comme l’indiquent les données de Santé
publique France) et l’existence d’une situation épidémiologique
particulière, puisqu’une sur-incidence du cancer de la prostate
chez « les populations dont les origines remontent à l’Afrique
subsaharienne » par rapport à « tout autre groupe
ethno-géographique » a été plusieurs fois confirmée (comme
l’ont d’ailleurs souligné certains de nos lecteurs en commentant
des articles sur ce thème publiés sur notre site). Impossibilité de reculer
Au-delà, tout en se montrant très circonspects sur les réticences du gouvernement à reconnaître la probabilité d’un lien, Luc Multigner et Malcom Ferdinand (chargé de recherche Université Paris Dauphine) dans une tribune publiée par le site The Conversation au printemps admettaient : « En terme de méthodologie scientifique stricte, il est exact qu’il n’est pas possible d’établir rigoureusement et formellement la preuve d’une causalité ». Néanmoins, les éléments disponibles ne constituent-ils pas un faisceau de doutes assez fort pour établir une présomption et répondre aux demandes d’indemnisation, quand des preuves bien plus faibles ont suffi dans d’autres cas ? En tout état de cause, cependant, la réalisation de nouvelles recherches, à la méthodologie différente, n’apparaît pas inutile. Ces résultats s’ils confirment l’existence d’un lien s’imposeront au gouvernement.Aurélie Haroche