Paris, le samedi 28 mars 2020 – Les circonstances actuelles
ont sans doute privé Albert Uderzo de l’hommage que ses fans du
monde entier n’auraient probablement manqué de lui rendre en
apprenant sa mort en une période moins tourmentée. Pourtant, les si
savoureuses histoires auxquelles le dessinateur a donné son âme
peuvent, comme en de nombreuses occasions, offrir un filtre
loufoque et pourtant pertinent pour appréhender
l’actualité.
Triomphalisme régional
Comment en effet ne pas voir dans l’Institut hospitalier
universitaire (IHU) Méditerranée une émanation du village gaulois
résistant envers et contre tout à l’autorité et à l’administration
labyrinthique de César ; un César pourtant en secret admiratif des
guerriers de la petite cité ? Au-delà de l’IHU, les tribulations
autour de la personnalité de Didier Raoult et de ses travaux
révèlent un net partage entre la Provence et le reste de la France.
Dans les témoignages de soutien d’élus et de professionnels de
santé de la région marseillaise à Didier Raoult s’insinue souvent
en effet en filigrane un triomphalisme régional, en forme de
revanche vis-à-vis de la capitale.
Puni pour avoir dénoncé trop fort le risque de conflit
d’intérêt entre Agnès Buzyn et Yves Lévy ?
Ce clivage avec Paris aurait été consommé au moment de
la nomination d’Agnès Buzyn au ministère de la Santé. A l’époque,
on s’en souvient, les risques de conflits d’intérêt liés au fait
que l’époux du nouveau ministre, Yves Lévy patron de l’INSERM
avaient été signalés. Le Premier ministre avait souhaité répondre à
ces remarques en adoptant une mesure précisant que les questions
liées à l’INSERM relèveraient de Matignon. Si la polémique avait
semblé close, dans l’entourage du professeur Didier Raoult,
beaucoup sont convaincus que sa détermination à dénoncer la
situation de conflits d’intérêt, lui a valu le retrait peu après du
label INSERM. D’autres pourtant, font valoir que les rapports du «
Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur (HCERES) n’étaient pas très bons et celui
du Comité national de la recherche scientifique (CNRS) ne l’étaient
pas non plus » indique un responsable du CNRS dans le Monde. Ce
dernier assure encore que le label CNRS aurait pu être renouvelé
pour certaines équipes, mais ce sont des accusations de harcèlement
sexuel visant un chercheur (ayant depuis quitté l’institut) qui ont
précipité le retrait.
De Gaulle
En tout état de cause, au moment de l’inauguration
récente de l’IHU, aucun responsable ministériel n’était présent. «
Tout est très compliqué. Comment un truc aussi puissant, grand,
aussi bien placé peut-il se monter en étant loin des sphères
centrales parisiennes. Mais avec une telle structure, Didier Raoult
a montré qu’il était visionnaire », remarque Renaud Muselier,
président LR de la région PACA, qui a largement soutenu son ami,
avec lequel il a fait une partie de ses études de médecine.
Admiratif, Renaud Muselier ne tarit pas d’éloge sur le praticien,
allant jusqu’à comparer son idée concernant la structuration de la
prise en charge des maladies infectieuses, à travers des «
forteresses Vauban » dans toute la France, de vision
gaullienne.
Circonspection mais respect
Comme le suggèrent ces déclarations dithyrambiques, auxquelles
font écho les discours de ses autres soutiens indéfectibles, Didier
Raoult comme souvent les personnes dont la personnalité se
révèle atypique, suscite des avis le plus souvent tranchés,
laissant peu de place à la nuance. Quand les uns saluent son franc
parler, son énergie, et jusqu’à son génie, d’autres critiquent avec
verve une certaine forme de mégalomanie et ses libertés avec la
rigueur scientifique. Néanmoins, même parmi ceux qui se sont
éloignés de lui, la reconnaissance de l’importance de ses travaux
est certaine. « On a travaillé ensemble, on a fait de belles
publications ensemble et puis on s’est engueulés très fort. Nous
sommes clairement en rivalité, mais ça ne m’empêche pas de le
respecter en tant que scientifique. Je suis d’ailleurs assez choqué
des attaques personnelles dont il est victime sur les plateaux de
télévision, alors qu’il n’est pas là pour se défendre. »
remarque le généticien Jean-Michel Claverie (CNRS) qui a conduit en
collaboration avec Didier Raoult des travaux importants sur les
virus géants. D’une manière générale, dans la sphère scientifique,
même si son nombre mirifique de publication (plus de 3 000) suscite
plus de circonspections qu’auprès du grand public et même si
beaucoup critiquent ses méthodes de communication et de recherche,
son parcours suscite le respect.
Attiré par la mer
Pourtant, Didier Raoult était attiré par la mer et les grands
espaces, plutôt que par nos ennemis microscopiques et invisibles,
bactéries et virus. Né en 1952 à Dakar, dans une famille vouée à la
médecine (son père était médecin militaire et sa mère infirmière),
Didier Raoult connaît une scolarité chaotique. Il choisit de
claquer la porte du lycée en seconde et de passer son baccalauréat
(section littéraire) en candidat libre qu’il décroche de justesse.
Il ne résiste plus ensuite à l’appel de la mer et navigue pendant
deux ans sur des bateaux de commerce. Il finit quand même par
retrouver Marseille et sa famille et entame enfin des études de
médecine, les seules que son père acceptait de « financer »
a-t-il souvent confié. Passionné par la microbiologie, il est à
l’origine de travaux fondateurs sur les rickettsies dans les années
1980. Il s’est également fait remarquer pour ses recherches
essentielles sur la maladie de Whipple et de la bactérie Q. Ces
différentes recherches lui vaudront de recevoir le Grand Prix de
l’INSERM et de figurer en bonne place dans le classement
Thomson-Reuters des chercheurs les plus influents du monde.
Des paradoxes sous une apparence d’entièreté
Loin de considérer que la science doive demeurer dans une tour
d’ivoire, Didier Raoult s’est improvisé communicant. Ses vidéos
Youtube avaient ainsi été remarquées par certains avant que
l’affaire de la chloroquine ne leur confère une renommée
planétaire. Ce désir de transmission l’a même conduit à se
positionner sur des sujets dépassant sa compétence (tel le
réchauffement climatique au sujet duquel il défend des idées
controversées ou en tout cas décalées) alors qu’il ne s’empêche
jamais de faire des procès d’ignorance à ceux qui (très nombreux)
critiquent ses travaux sur la chloroquine. D’une manière générale,
le professeur Didier Raoult n’échappe pas à certains paradoxes, se
présentant en défenseur de la science dans certaines circonstances
pour fustiger l’esprit possiblement tatillon de l’administration ou
les réticences de certains médecins, mais n’hésitant pas
parallèlement à rejeter les modèles mathématiques et à affirmer que
de petits échantillons peuvent être aussi solides que de plus
larges cohortes pour l’évaluation d’un médicament.
Un rapport ambigu au pouvoir
Son rapport aux autorités n’est également pas exempt d’une
certaine ambiguïté. Pouvant parfois se présenter comme un rebelle
victime de l’intelligentsia parisienne, boudant les invitations du
conseil scientifique dédié à la gestion de l’épidémie de Covid-19
avant finalement de le quitter, il flatte pourtant Olivier Véran,
ministre de la Santé, remarquant son intelligence, et allant
jusqu’à crier victoire après la publication du décret de ce jeudi
26 mars, qui s’il n’est nullement un blanc-seing pour la
prescription de chloroquine à tous les patients infectés par
SARS-CoV-2 est néanmoins une ouverture plus importante que
prévu.
Une renommée ternie ?
Face aux attaques (allant jusqu’à des menaces de mort a-t-il
assuré) qu’il a affrontées ces dernières heures, qui n’ont d’égales
que les soutiens sans faille dont il bénéficie parallèlement,
Didier Raoult n’a rien perdu de sa superbe. Difficile pourtant de
dire si l’épisode actuel et ses choix de communication ne
contribueront pas à ternir sa réputation de chercheur et à éclipser
quelque peu ses travaux fondamentaux. Pourra-t-on encore en se
souvenant de ses déclarations à l’emporte-pièce sur le traitement
du coronavirus et sur l’épidémie actuelle ne voir en lui qu’un des
plus illustres serviteurs de la science ? Est-il un Astérix des
maladies infectieuses ou un Panoramix ?
Il serait intéressant de connaitre à quel stade de l'infection virale la chloroquine agirait. Il me semble qu'on la recommandait surtout en prévention du paludisme? Elle a également été envisagée pour inhiber l'autophagie en cancérologie.
Dr Henri Rochefort ex Professeur de Biologie Cellulaire à la Faculté de Médecine de Montpellier Membre de l'Académie de Médecine Membre correspondant de l'Académie des Sciences Ancien directeur de l'Unité INSERM (U148) Hormones et Cancer; h.rochefor@orange.fr