
Paris, le mardi 12 mai 2020 - Dans son discours du 13 avril
annonçant un possible déconfinement progressif à partir du 11 mai,
le Président de la République avait d’abord semblé recommander une
prolongation stricte du confinement pour les plus âgés et les plus
fragiles.
Cependant, les mises en garde de nombreuses institutions
médicales quant aux risques liés à l’isolement des sujets concernés
et le refus de discriminations associées à l’âge et à l’état de
santé ont finalement convaincu les pouvoirs publics de ne pas
s’orienter dans cette voie. Ainsi, n’existe-t-il que des
préconisations invitant à la prudence, qui n’ont pas été l’objet
d’une large communication et qui n’ont pas donné lieu de façon
nationale et globale à des dispositifs particuliers, même si à
l’échelon local de nombreux outils existent (systèmes de livraison,
distributions de masques, horaires aménagés…).
Ambivalence : plus dure sera la chute
L’équation, il est vrai, est particulièrement complexe. Le confinement des personnes âgées et/ou présentant des comorbidités les expose en effet à des risques non négligeables. La progression du syndrome de glissement pour nos aînés a ainsi beaucoup été évoquée. Or, il ne concerne pas uniquement les maisons de retraite mais également les personnes âgées à domicile, très nombreuses (12 millions des plus de 65 ans vivent seuls chez eux et en général 94,5 % des seniors ne vivent pas en institution) et qui ont été peu évoquées au cours des deux mois écoulés. Une enquête réalisée par l’Obervatoire ERGOCALL mise en place par l’AG2R La Mondiale grâce à une plateforme d’appel constituée de professionnels de santé et d’ergothérapeutes révèle l’ampleur de l’isolement des personnes âgées vivant à domicile. Elle met ainsi en évidence que 41 % des personnes interrogées n’ont reçu aucune visite en deux mois. Le confinement a en effet restreint les rencontres familiales, mais aussi les interventions d’aides à domicile : 34 % des personnes interrogées ont ainsi vu les interventions dont ils bénéficiaient considérablement diminuer quand elles n’ont pas été supprimées. Cette absence de soutien et un éloignement des outils numériques les conduisent à des comportements potentiellement dangereux : en sortant plusieurs fois par semaine pour faire leurs courses ou en réalisant au sein de leur habitation des petits travaux acrobatiques. Les risques sont ainsi tout autant liés à l’exposition possible au virus qu’aux contraintes physiques. « Si personne ne peut faire les courses d'une personne âgée, elle va prendre le risque de tomber en portant ses sacs », remarque Audrey Stervinou l’une des ergothérapeutes mobilisées par la plateforme téléphonique d'urgence Ergocall. Ainsi, l’enquête met en évidence que 38 % des personnes interrogées ont chuté récemment (77 % chez elles) et que 68 % sont sorties plusieurs fois par semaine.Ces échappées sont cependant un remède (discret !) à la solitude : « 56 % des seniors se disaient angoissés et redoutaient le prolongement » du confinement indique l’enquête. « La notion de confinement semble floue pour les populations les plus âgées : on se demande si les sorties de premières nécessités ne recouvrent pas en réalité un besoin de relation sociale. Cela met en lumière le problème de l’isolement pendant le confinement », remarque le Dr Pierre Bismuth, médecin généraliste. Les entretiens menés par les responsables de la plateforme mettent ainsi en évidence une ambivalence vis-à-vis du confinement : tout en éprouvant très durement la solitude liée à ces mesures, les plus âgés redoutent également les conséquences d’une reprise des activités sur la circulation du virus.
Le suivi des maladies chroniques affecté
Les conséquences délétères du confinement s’observent également pour les patients atteints de maladie chronique. L’enquête DataCovid conduite par IPSOS (pour le laboratoire Amgen) auprès de 1316 personnes souffrant d’une maladie chronique a ainsi révélé que 51 % ont renoncé à au moins une consultation médicale en ville ou à l’hôpital et 30 % considèrent que l’épidémie a eu un impact important sur leur prise en charge. Ainsi, 46 % ne se sont pas rendues à un rendez-vous prévu avec leur médecin généraliste ou spécialiste, tandis que 15 % des personnes sondées ont également renoncé à honorer une consultation programmée à l’hôpital. Face à cette situation, les solutions numériques, même si elles ont été largement développées, sont demeurées marginales : « seulement 16 % des patients ont fait des téléconsultations avec des professionnels de santé pour leur maladie » relève l’IPSOS.Des moyens indispensables
Cet état des lieux témoigne des enjeux du déconfinement pour les plus fragiles : il doit permettre d’éviter les conséquences multiples de l’isolement, de l’exclusion sociale et du renoncement aux soins. Néanmoins, compte tenu des risques importants auxquels ces sujets sont exposés vis-à-vis de SARS-CoV-2, on peut s’interroger sur les dispositifs déployés pour répondre aux problématiques spécifiques de leur déconfinement. Les questions soulevées et les réponses encore restreintes des pouvoirs publics étaient l’objet ce dimanche d’une tribune publiée par l’association d’aide aux insuffisants rénaux Renaloo dans Le Parisien. Rappelant les paroles du Premier ministre le 28 avril : « Nous leur demanderons de continuer à se protéger. Il faut qu'ils respectent des règles similaires à la période de confinement, en se protégeant, en limitant leurs contacts et donc leurs sorties. Tout cela sur le principe de confiance et de responsabilité », Renaloo commente : « La poursuite de l' isolement volontaire qui leur est proposé vise à ce qu'ils évitent d'être contaminés, mais aussi à prévenir l'afflux de patients nécessitant un recours à la réanimation. Au-delà de la solidarité, la société se doit d'accompagner cette mise à l'écart volontaire dont l'enjeu est aussi collectif. Il est d'abord nécessaire que chacun puisse connaître, en fonction de son état de santé et de son âge, son propre risque individuel, sur la base de données de la littérature ou en vie réelle. Les personnes fragiles, mais aussi leurs proches vivant sous le même toit, pourront ainsi décider des mesures de protection adaptées, y compris de leur éventuel confinement volontaire. Il s'agit également d'avoir les moyens d'assumer ces choix. Les personnes fragiles, souvent socialement défavorisées, ne doivent pas renoncer à leur protection en raison de son coût pour leur foyer. Il est préoccupant que les dispositifs qui leur sont proposés actuellement n'assurent pas cette indispensable neutralité financière. Lorsqu'elles choisissent de ne pas s'en tenir à un isolement strict, elles doivent aussi trouver les modalités de protection adaptées, au travail, dans les commerces, à l'extérieur : masques, espaces garantissant les distances de sécurité, alternatives aux transports en commun, etc. L'engagement de la société est essentiel. Elle doit être convaincue de la diversité des fragilités (…) du droit et de la liberté des fragiles à demeurer dans l'espace public, et de la nécessité de les protéger activement, de façon solidaire, sans les stigmatiser » décrivait l’association, exposant la complexité de cette question centrale pour un déconfinement réussi tant du point de vue épidémiologique que social, même si aujourd’hui la préoccupation des pouvoirs publics paraît se concentrer d’abord sur les transports publics ou le traçage des patients.Aurélie Haroche