Si Didier Raoult le dit, c’est que c’est…
C’est dans ce cadre qu’il faut entendre avec prudence, bien sûr, les déclarations du professeur Didier Raoult concernant l’évolution de l’épidémie de Covid-19. En choisissant de dépasser les élémentaires règles d’évaluation scientifique pour clamer le bénéfice de l’hydroxychloroquine dans l’infection à SARS-CoV-2, le professeur Didier Raoult a vu sa crédibilité profondément altérée. Comment faire confiance à un discours qui s’émancipe si clairement des fondements scientifiques et qui revendique même de s’en émanciper ? Pourtant, quand le professeur Didier Raoult énonce, de la manière péremptoire qui le caractérise : « Nulle part il n’y a de deuxième vague (…) Eventuellement quelques cas sporadiques apparaîtront ici ou là (mais) l’épidémie est en train de se terminer » comme il l’a assuré dans une vidéo postée le 12 mai, faut-il rapidement ranger cette promesse dans la catégorie des élucubrations inutiles ? Bien sûr, le message suscite la défiance. Pourtant, le professeur Didier Raoult s’appuie d’une part sur sa connaissance des épidémies saisonnières d’infections respiratoires et d’autre part sur l’observation de la situation à l’étranger pour défendre une telle position.On peut être iconoclaste et avoir raison
Cette dernière ne fait pas l’unanimité, notamment au sein des conseils scientifiques qui guident les dirigeants du monde entier dans la période actuelle de sortie prudente du confinement. Ainsi, les décideurs en sont convaincus : la deuxième vague est inévitable en Europe. D’ailleurs, les mesures de reconfinement adoptées dans certains pays d’Asie, lors d’une apparente reprise de l’épidémie, les confortent dans cette idée. Néanmoins, prudemment, quelques voix s’inscrivent dans la même ligne que le professeur Raoult, sans oublier de signaler que cette adhésion peut surprendre et susciter la défiance. « D’une manière générale, ce qu’a fait Didier Raoult à la science est impardonnable (...). Mais ce n’est pas le sujet ici. Il a eu raison de dire qu’une épidémie est en cloche » remarque ainsi sur Twitter le professeur de médecine d’urgence à la Pitié Salpetrière Yonathan Freund, rédacteur en chef de l’European Journal of Emergency Medicine. C’est également l’opinion du professeur d’épidémiologie Laurent Toubiana, qui admet : « C’est iconoclaste, mais pas plus que l’OMS qui dit que le coronavirus peut ne jamais disparaître (…) Ma thèse, c’est qu’il n’y a pas de deuxième vague », relève-t-il.Le pire n’est pas forcément le plus sûr
Ces voix différentes invitent une nouvelle fois à nous rappeler que les certitudes sont impossibles et qu’il n’y a donc pas de raison de privilégier une perspective catastrophiste, plutôt qu’une autre. « On ne connaît pas (…) le cycle réel de cette maladie. On ne sait absolument pas s’il s’arrête après un tour de piste, comme son prédécesseur, ou s’il repart, avec plus ou moins de violence, pour une ou deux autres vagues. Personne n’a cette réponse mais on ne voit, pour l’instant, monter aucune deuxième vague à la hauteur de la première (seuls certains pays asiatiques voient augmenter lentement le nombre de contaminations, en raison de mesures encore renforcées de diagnostic et de contrôle) ou de cas sporadiques (retour de citoyens chinois aux frontières Nord-Est du Heilongjiang) qui montrent qu’il nous faut concevoir de vivre désormais avec ce virus, comme nous l’avons fait avec tous les autres depuis trois cent mille ans », remarque ainsi le professeur Jean-François Toussaint directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes) dans une interview publiée sur le site de l’Université de Paris. De la même manière, Dominique Dupagne relève sur son blog : « Dans les pays qui ont connu une deuxième vague, celle-ci n’a jamais atteint une intensité supérieure au quart de la vague initiale ».Exemples étrangers et historique
Si les certitudes sont donc impossibles, différents éléments peuvent permettre de construire des hypothèses sur la probabilité d’une deuxième vague ou tenter d’évaluer son ampleur, même si les mesures de confinement ont bouleversé nos représentations habituelles des épidémies. On l’a vu, l’analyse des situations étrangères est un premier axe riche d’enseignement. Ainsi, le professeur Jean-François Toussaint, interrogé par la Charente Libre, signale que la position consistant à mettre en doute la possibilité d’une deuxième vague : « se base sur des arguments d’analyse dans les 188 pays qui ont déclaré des cas et sur la dynamique évolutive de la maladie ». L’historique de la maladie est également un filtre pertinent. Or, le professeur Tubiana et le professeur Jean-François Toussaint constatent que si le virus a circulé en Europe avant le mois de février et dès la fin 2019, l’hypothèse d’une deuxième vague perd de sa solidité.Un virus qui ne toucherait pas tout le monde
Ces experts mettent également en avant le fait qu’une partie de la population pourrait « résister » au virus. « Très vite, nous sommes nombreux à réaliser qu'une bonne partie de la population ne semble pas pouvoir être touchée par le virus. La confirmation est venu récemment de deux belles études dans Cell et Nature (…) : il y aurait une immunité croisée avec d'autres virus » relève Yonathan Freund. « Une partie non négligeable de la population pourrait ne pas être sensible au coronavirus, parce que des anticorps non-spécifiques de ce virus peuvent l’arrêter » observe également le professeur Toussaint. Les implications de telles théories sur la circulation du virus sont nombreuses, tandis que l’on constate également des zones d’ombre autour des données sérologiques. « Il y aurait donc une bonne proportion de la population que le virus ne peut toucher. Par ailleurs, les sérologies ont de nombreux faux négatif. On peut donc dire qu’il y a beaucoup plus de 5 % de patients avec des anticorps » se risque Yonathan Freund. « Ce virus n’est pas un marathonien, c’est un sprinter : il s’épuise très vite, et c’est peut-être notre chance », compare Jean-François Toussaint.La deuxième vague en retard ?
Enfin, les données d’hospitalisation de ces derniers jours en France pourraient inciter à l’optimisme et pourraient conforter l’idée d’un virus n’affectant qu’une partie restreinte de la population. Plusieurs éléments sont ainsi mis en avant par Yonathan Freund : « Premier indice, le 93 et d'autres régions à forte densité de population, ou le confinement n'est pas possible ou en tout cas pas autant qu'ailleurs. Très vite, dans ces lieux, plus de circulation de virus et quasiment plus d'infection aiguë symptomatique. (…) Là où j'ai été très étonné, c'est sur le modèle qu'a constitué notre service d'urgences. Les deux premières semaines de "la vague", il y a eu près de 20 % des médecins (séniors ou internes) touchés. Tous les trois jours un nouveau. Et ce alors que nous prenions des précautions énormes. Au bout d'un moment, on s'est relâché, comme tout le monde. On est humain. Entre nous, et avec les malades. Un peu moins de précaution. Il n'y a plus eu un seul infecté. Donc 80 % du service n'a pas été touché malgré une certaine exposition. Tous les tests sérologiques de ces "non infectés" étaient négatifs, donc il ne s'agissait pas d'infection asymptomatique. Ou en tout cas pas celle qui fait de l'anticorps qu'on retrouve » détaille-t-il avant de conclure : « Le confinement était vraiment limite sur la fin à Paris, et dans certains quartiers en particulier (dont chez moi). Pourtant, 3-4 semaines après ces relâchements, zéro nouveaux cas diagnostiqués dans notre hôpital. Constat partagé ailleurs ».Le déconfinement est-il trop prudent ?
Entendre ces considérations sur une deuxième vague possiblement limitée, voire inexistante, pourrait inciter à reconsidérer les mesures de déconfinement adoptées. Ceux qui veulent croire à l’absence de deuxième vague s’inquiètent ainsi d’un excès de précaution. Yonathan Freund est ainsi un partisan d’une véritable réouverture des écoles, des parcs et des plages. Dominique Dupagne, rappelant combien l’âge est le premier facteur de risque de formes graves commente également : « En tenant compte de ces données de mortalité, une autre stratégie se dessine, qui mériterait d’être envisagée : continuer la pédagogie sur les mesures barrières, orientée vers les sujets à haut risque : essentiellement les sujets âgés ou ceux qui cumulent les facteurs de risque, continuer à encourager le télétravail pour les plus de 50 ans. Ne plus lutter contre la diffusion du virus dans les populations quasiment sans risque de complications graves : enfants, adolescents, adultes de moins de 30 ans sans facteurs de risque. Trouver des solutions intermédiaires pour les sujets jeunes qui cohabitent avec des sujets à haut risque. Réserver l’autorité publique coercitive aux rares situations mettant en danger la vie d’autrui, comme les visites en EHPAD sans masque. Le principe serait de restaurer un libre-arbitre réfléchi, chacun choisissant ou non de s’exposer en fonction de son risque personnel ou familial et de ses priorités de vie. Cette attitude accélèrerait considérablement la constitution d’une immunité de groupe, avec des conséquences modérées en terme de surcroît de décès. Ses bénéfices sociaux, économiques et humains seraient en revanche considérables. Par ailleurs, même si nous n’avons pas de certitudes, il paraît hautement probable que les sujets ayant une sérologie SARS-CoV-2 positive présentent un risque infime de retomber malade et d’être de nouveau contaminant à court terme. Dès que nous disposerons de sérologies très fiables (dont la spécificité sera supérieure à 99 %), il sera utile de tester massivement la population. On pourrait donc permettre à une part importante des français de reprendre une vie normale, d’aller au restaurant, au cinéma et de prendre en charge les enfants. Cette population de moins de 50 ans (et donc à faible risque) se contaminerait sans danger significatif et accroîtrait considérablement l’immunité collective, au bénéfice du reste de la population qui continuerait à se confiner volontairement ».En tout état de cause, même si l’inquiétude sur une deuxième vague est légitime, on ne peut que s’interroger sur certaines mesures du déconfinement, dont certaines se révèlent ubuesques. Ainsi, comment comprendre, comme le remarque Dominique Dupagne, que les salles du château de Chantilly soient ouvertes au public, mais pas son jardin, où les risques de contamination sont bien plus faibles que dans des lieux confinés et où l’aération n’est sans doute plus optimale ? Cet exemple constitue une des nombreuses incohérences des mesures de déconfinement, alors que parallèlement l’information sur les risques des plus menacés apparaît très restreinte.
Faut-il craindre, plus qu’une deuxième vague, un déconfinement sous l’eau ?
On pourra relire :
Le blog de Dominique Dupagne : https://www.atoute.org/n/article385.html
Le thread de Yonathan Freund : https://twitter.com/yonatman/status/1263509575522750464
Les interviews de Jean-François Toussaint dans la Charente Libre : https://www.charentelibre.fr/2020/05/20/il-n-y-aura-pas-de-deuxieme-vague-deux-scientifiques-francais-expliquent-leur-these,3600838.php et sur le site de l’Université de Paris https://u-paris.fr/covid-19-le-point-de-vue-de-jean-francois-toussaint/
Aurélie Haroche