Vaccination : la colère cosmétique de Macron n’efface pas cacophonie et suspicions

Paris, le lundi 4 janvier 2021 – Le week-end a vu s’amplifier la colère de très nombreux médecins face aux débuts lents et chaotiques de la campagne de vaccination contre la Covid-19 en France, comparativement à de nombreux autres pays. Beaucoup ont affiché leur stupéfaction, tel le président de la Ligue contre le cancer, Axel Kahn, ou l’ancien directeur général de la Santé, William Dab, voulant contraindre le gouvernement à afficher clairement sa position : « Soit le gouvernement a confiance dans le vaccin et il faut absolument accélérer les choses, soit il a des doutes et il doit les exposer » a-t-il sommé.

Préférer croire que tout est voulu !

Un tel commentaire est assez emblématique de l’ambiance générale comme la Tribune du Dr Anastasia Roublev, publiée dans nos colonnes à quelques heures du Réveillon, paraphrasant Marc Bloch au sujet du désastre de 1940… Un grand nombre d’observateurs parviennent difficilement à croire que l’impréparation voire l’inefficacité de notre État puissent être en cause dans la situation actuelle et préfèrent (peut-être pour se consoler) envisager des raisons psychologiques. L’État aurait souhaité éviter le plus possible qu’une précipitation soit considérée comme une contrainte déguisée, ce qui n’aurait pu que conduire à braquer une population déjà très réticente ? Cependant, de nombreux éléments mettent à mal cette explication supposant l’existence d’une véritable stratégie et surtout d’une logistique à toute épreuve. 

La France roule-t-elle pour son industrie ?

D’abord, alors que tout le week-end, en réponse à la colère cosmétique d’Emmanuel Macron (car comment croire que celui qui préside la gestion de l’épidémie depuis le printemps à travers l’omniprésent Comité de défense ait tout ignoré du plan de vaccination français ?), le ministère de la Santé a paru vouloir assurer que les choses allaient être très rapidement corrigées, la cacophonie continuait pourtant à régner. Outre un sentiment de chaos concernant les annonces autour de la vaccination des professionnels de santé (voir notre article du jour), un tweet du ministre de l’Éducation supérieur, Frédérique Vidal a suscité la circonspection. Il pouvait en effet laisser entendre que la France pourrait avoir choisi d’attendre la validation du vaccin Sanofi. L’impression désastreuse suscitée par ce message a bientôt été corrigée par le ministre. « Il ne faut pas confondre recherche française pour trouver un vaccin efficace et la campagne de vaccination en cours. Mes propos sur @franceculture portaient bien sur la recherche » a-t-elle expliqué. Cependant, le message ambigu du ministre n’a pu que rappeler la polémique qui enfle dans la presse européenne concernant les pressions que certains accusent la France d’avoir exercé sur la Commission européenne pour que les précommandes du vaccin Pfizer/BioNTech soient limitées afin que tous les candidats vaccins bénéficient du même nombre de commandes, y compris notamment le produit de Sanofi (dont l’élaboration est retardée). Après les premières rumeurs de ce type diffusées par Der Spiegel en Allemagne, les journaux britannique The Telegrah et italien Corriere della Sera ont à leur tour repris ces informations, tandis que Die Zeit en Allemagne et le Brussel Times donnaient d’autres précisions. Selon Die Zeit et Der Spiegel notamment, BioNTech aurait proposé à l’Union européenne une dotation supplémentaire de 600 millions de doses. Mais cette offre aurait été déclinée en raison du souhait de la France de ne pas privilégier une firme plutôt qu’une autre. Toujours selon les médias allemands, le plaidoyer de l’Allemagne pour que les 27 acceptent cette disposition aurait été vain. Les membres du gouvernement (français) ne cachent pas leur agacement face à ces rumeurs. La semaine dernière, Olivier Véran a ainsi balayé : « C’est du grand n’importe quoi. La France a initié les démarches collectives européennes, et le premier contrat que nous avons passé, c’est avec la société anglo-suédoise AstraZeneca ! L’intérêt général et l’opportunité scientifique nous ont guidés ».

Objectifs revus à la baisse en quelques minutes

Les démentis du gouvernement n’empêchent pas la suspicion de progresser, et les rumeurs ont ainsi notamment été relayées ce matin par le patron des écologistes, Yannick Jadot. Il faut dire que la cacophonie du gouvernement sur l’ensemble de la campagne vaccinale ne peut guère favoriser la sérénité et la confiance. Ainsi, l’opération destinée à rassurer les Français ce week-end a été marquée par de nouvelles déclarations contradictoires. Quand le secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari évoquait un objectif de 26 millions de personnes vaccinées avant l’été, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal et le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer le corrigeaient presque immédiatement en indiquant que le but était d’atteindre 15 millions de vaccinés.

Impréparation logistique complète

Ces confusions rappellent la multiplication des indices confirmant l’impréparation de l’administration et du gouvernement. Ainsi, alors que dès l’automne un grand nombre de pays se mettaient en ordre de marche (que l’on pense par exemple aux autorisations délivrées aux pharmaciens américains pour qu’ils puissent administrer le vaccin contre la Covid dès le mois de novembre), il apparaît qu’en France, seuls des tâtonnements étaient perceptibles à la mi-décembre. Ainsi, l’Usine nouvelle dans un article du 14 décembre révèle comment à cette date, les prestataires logistiques demeuraient encore, selon l’expression du média « dans l’expectative ». Absence de directives, défaut d’appels à d’offre : les entreprises spécialisées dans le transport et la conservation ont parfois devancé le gouvernement. C’est également ce qu’évoquent les informations données ce week-end par la firme française Froilabo. Alors que cette dernière, spécialisée dans les systèmes de congélation, anticipant une forte demande, a dès le début décembre triplé sa production de congélateurs, elle a indiqué avoir été très sollicitée par différents états étrangers, tandis qu’aucun accord n’aurait encore été passé avec la France. Difficile de mesurer où en est l’installation dans les établissements hospitaliers qui manquaient de super congélateurs, dont une commande express avait pourtant été annoncée à grand renfort médiatique en novembre par le gouvernement. Ainsi, selon le Journal du Dimanche, une dizaine de supercongélateurs (sur la centaine déployée au total) nécessitaient toujours une validation (apparemment administrative) par les services de l’État pour pouvoir être mis en fonctionnement. Par ailleurs, les échos de la presse régionale révèlent qu’il a fallu souvent attendre après le 20 décembre pour que les équipements soient installés dans les CHU ; quand les centres de vaccination allemands étaient déjà à la même date dans les startings blocks.

Ces dysfonctions multiples pourraient être à l’origine d’un effroyable gâchis. Une note confidentielle de Bercy qui a été citée par plusieurs journalistes, ainsi que par l’économiste français Antoine Lévy, indiquerait que les défauts logistiques auraient conduit à perdre 30 % des doses de vaccination !

Ridicule

Face à la multiplication de ces signaux chaotiques, la communication du gouvernement tourne au ridicule, quand est annoncée hier soir dans ce contexte la constitution d’un comité de citoyens (avec tirage au sort de 35 Français ; nous y reviendrons dans nos prochains articles) pour « observer » la campagne de vaccination. De la même manière, les allures martiales d’un chef d’État en colère ne sont guère parfaitement crédibles, même si on ne peut qu’espérer que la réunion annoncée en urgence cet après-midi à 17h à l’Elysée augure un véritable changement de cap et des explications claires sur toutes les zones d’ombre.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • Pourquoi tant d'incompétence?

    Le 04 janvier 2021

    Le ridicule ne tue plus depuis longtemps. Il y a 40% de français d'accord pour se faire vacciner de suite, alors arrêtons les incroyables sottises autour du consentement...et de sa rétractation : il y a le feu au lac, et laissons ceux qui ne veulent pas être vaccinés se décider plus tard...ou pas. Ils verront bien les problèmes que ça leur posera.
    Le maire de Nancy ce matin a remarquablement répondu à Yves Calvi sur RTL : tout faire avec les acteurs locaux pour vacciner au plus vite ! L'incompétence du ministère de la Santé n'est malheureusement plus à démontrer et on ne voit aucun progrès à l'horizon...

    Dr Astrid Wilk

  • Le Ministre Véran doit démissionner

    Le 05 janvier 2021

    En effet priver 40 % de la population d'un vaccin alors que la surmortalité 2020 atteint 10 % (65 000 sur 650 000) est une décision inacceptable prise notamment par un médecin Ministre de la Santé qui doit démissionner comme le réclame une pétition sur CHANGE.ORG

    Pr Jean-Marie Rodrigues

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