La licence d’office pourrait-elle être une arme contre la Covid-19 ?

Paris, le mercredi 6 janvier 2021 - C’est un son de cloche qui revient régulièrement depuis le début de la crise sanitaire. Le 14 mai dernier, au micro de RTL, Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise dessinait les contours de sa politique en matière de négociations d’achats des futurs vaccins contre la Covid-19 : « Le ministre de la Santé dont c’est la mission doit dire à Sanofi : soit vous mettez à disposition de la France le vaccin à nos conditions, soit nous émettons une licence d’office, c’est-à-dire une nationalisation du brevet. ».

Plus récemment, l’idée a été remise au centre du débat public par Manuel Bompard, député européen du mouvement, notamment sur le plateau de LCI.

L’histoire voudra finalement que le vaccin proposé par le laboratoire français ne sera commercialisé « que » fin 2021. Ce qui en temps normal aurait été considéré comme une prouesse médicale exceptionnelle est désormais perçu comme un camouflet, au moment où les laboratoires Pfizer-BioNTech, AstraZeneca et Moderna inondent les marchés d’un vaccin porteur d’espoir.

Reste néanmoins la question de savoir dans quelles conditions la France pourrait, comme le propose la France Insoumise, avoir recours au mécanisme de la « licence d’office » ?

De quoi s’agit-il ?

La licence d'office constitue par excellence un acte d’intervention fort de l’État dans le domaine de la propriété intellectuelle. En ayant recours à la licence d’office, l’État va réquisitionner un brevet, lorsqu’il estime que des intérêts de défense nationale, économiques ou sanitaires d’extrême urgence sont en cause (sur le même modèle que la nationalisation d’urgence).

Dans une étude publiée en 2019, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle recensait 156 pays ou territoires reconnaissant l’exception relative aux licences obligatoires qui permet l’utilisation d’un brevet sans autorisation du titulaire. En pratique, ces mécanismes sont utilisés comme des moyens de pression dans le cadre de négociations sur l’exploitation de brevets (ils furent employés notamment par les Etats-Unis dans les années 2000 pour obliger les laboratoires à réduire le coût des traitements contre le VIH pour permettre un meilleur accès aux produits en Afrique). Mais parce qu’ils constituent un acte susceptible d’atteindre le secteur privé, les conventions internationales entendent limiter leur recours aux seules « situations d’urgence ».

Dès les premiers jours de la crise de la Covid-19, le directeur général de l’OMS s’est déclaré favorable à la mise en place d’un accès libre ou d’une licence à des conditions raisonnables pour tous les pays sur les médicaments, vaccins et produits de diagnostic ciblant le nouveau coronavirus.

Un mécanisme rendu plus accessible… par la majorité !

En France, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, modifiée le 9 juillet, a introduit un nouvel article L.3131-15 dans le code de la santé publique permettant au Premier Ministre par décret de « prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire ».

A l’époque, l’hypothèse du recours aux licences d’office avait été envisagée par le Ministre de la Santé lui-même ; Olivier Véran ayant déclaré le 19 mars 2020 devant les sénateurs : « Je n’exclus pas d’être amené à demander des licences d’office ou des plafonnements de prix de médicaments qui ne seraient pas produits en France, par exemple, pour des produits dont l’efficacité serait démontrée (…) par exemple, un séquestre de médicaments qui, sinon, sortiraient de France. Des mécanismes trop complexes font perdre du temps ».

Cependant, pour pouvoir être soumise au régime de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique, l’invention en cause doit d’abord faire l’objet d’un « brevet délivré » (et non en cours d’obtention). Il peut s’agir d’un médicament, un dispositif médical ou de diagnostic, un produit d’obtention, mais aussi un produit nécessaire à la fabrication d’un autre.

Par ailleurs, la licence d’office ne peut être mise en œuvre que si le marché est approvisionné de manière insatisfaisante soit en raison d’une production insuffisante, soit en raison de prix trop élevés. Régulièrement, les associations de patients et parlementaires d’opposition sollicitent la mise en place d’une licence d’office pour le sofosbuvir, traitement aux prix très élevé indiqué dans l’hépatite C. Mais les gouvernements précédents se sont systématiquement opposés à la mise en place de ce mécanisme.

Une solution difficile à envisager pour les vaccins ?

Compte tenu des délivrances assurées par les différents laboratoires commercialisant le vaccin contre la Covid-19, difficile d’imaginer en l’état une mise sous licence du produit. Il faudrait alors envisager l’hypothèse d’une soudaine flambée des prix (qui à l’heure actuelle sont bien loin de concurrencer les traitements les plus chers) pour envisager un tel recours. Enfin, rappelons qu’en tout état de cause, la mise en œuvre de la licence d’office implique également une indemnisation du laboratoire faisant l’objet d’une réquisition.

C.H.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions

Soyez le premier à réagir !

Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.

Réagir à cet article