Manaus, métropole brésilienne de 2,2 millions d’habitants en plein
cœur de la jungle amazonienne et de la pandémie de Covid-19 pose
une énigme épidémiologique qui soulève des hypothèses inquiétantes
pour le reste de la planète. Le Brésil fait partie des pays qui ont
plutôt mal géré l’épidémie, mais Manaus s’est particulièrement
distinguée par une politique de laisser-aller, plus subie que
voulue : le virus a eu ainsi la plus grande latitude pour circuler
assez librement, les autorités locales ayant jugé que la ville et
ses habitants ne survivraient pas économiquement et socialement à
un confinement. Les gestes barrières ont été préconisés avec plus
ou moins de conviction, au point que globalement étaient réunis la
plupart des facteurs propres à favoriser l’immunité de groupe.
C’est ce qui, semble-t-il, est arrivé : une étude de séroprévalence
effectuée en octobre 2020 chez des donneurs de sang a révélé que 76
% d’entre eux avaient été infectés par le SARS-CoV-2. Un chiffre
rassurant qui semblait bien indiquer l’acquisition d’une immunité
collective capable de protéger la population des attaques futures
du virus.
Janvier 2021 : un rebond épidémique inattendu
Or, au cours du mois de janvier 2021, l’augmentation brutale
et massive des hospitalisations pour cause de Covid-19 est venue
déjouer tous les pronostics : en un mois, le nombre des admissions
a été multiplié par six après être resté parfaitement stable et
relativement bas pendant les mois (mai- novembre 2020) qui ont
suivi la première vague de l’épidémie dont le pic s’est situé en
avril 2020.
Mystère à Manaus ? Oui, ce rebond épidémique surprend et amène
à formuler, pour l’expliquer, au moins quatre théories qui
d’ailleurs peuvent se combiner tout en laissant la porte ouverte à
d’autres hypothèses.
En premier lieu, il se pourrait que l’intensité de la première
vague épidémique ait été surestimée et que l’immunité de groupe
n’ait pas été finalement atteinte. De plus, les donneurs de sang ne
seraient pas vraiment représentatifs de la population générale de
la ville et il existerait des incertitudes sur la valeur réelle de
la séroprévalence qui est susceptible de varier significativement
d’un quartier à l’autre en fonction de la situation sanitaire
locale le plus souvent médiocre.
Baisse de l’immunité de groupe et/ou émergence de
variants
Autre hypothèse : il se pourrait que l’immunité individuelle
développée au moins six mois auparavant ait commencé à décroître en
décembre 2020 suffisamment pour s’éloigner de l’immunité de groupe.
Les changements de comportement ont-ils aussi joué un rôle ? Cela
semble peu probable, car la mobilité des habitants a plutôt diminué
à la fin de l’année 2020.
En troisième lieu, faut-il y voir les effets des nouveaux
variants du SARS-CoV-2 qui mettraient en échec l’immunité de groupe
développée au contact du virus originel ? Trois lignées récemment
détectées (B.1.1.7, B.1.351 et P.1) pourraient y prétendre du fait
que chacune d’entre elles présente une constellation de mutations
potentiellement importantes d’un point de vue biologique. Deux
d’entre elles circulent activement au Brésil (B.1.1.7 et P.1) dont
l’une (P.1) a été détectée le 12 janvier 2021 à Manaus.
Le génome de cette dernière lignée abrite au moins une dizaine de
mutations intéressant les gènes qui codent pour la protéine
spike, dont E484K et N501K et la lignée P.2 d’identification
encore plus récente a un profil génétique qui n’inspire pas plus de
confiance. Or ces génomes ont été détectés chez des patients
réinfectés par le virus, alors même qu’in vitro, les
mutations semblent bien réduire le pouvoir neutralisant des
anticorps de convalescents. La valse des variants qui s’abat
désormais sur le monde inspire à juste titre les plus vives
inquiétudes, même si sa répercussion sur l’efficacité des vaccins
n’est pas connue.
Des lignées nouvelles envahissantes et préoccupantes
Enfin, les lignées du SARS-CoV-2 qui circulent avec la
deuxième vague de l’épidémie seraient plus aisément transmissibles
que les lignées qui se sont manifestées lors de la première vague.
La lignée P.1 a d’abord été identifiée à Manaus et dans une étude
préliminaire, il semble bien qu’en décembre 2020, sur un effectif
restreint (n = 31), elle corresponde à 42 % des génomes identifiés,
alors qu’elle était absente entre mars et novembre 2020 au sein de
26 prélèvements. Sa transmissibilité est mal connue, mais elle
serait élevée en raison de la présence de plusieurs mutations
partagées avec les mutants identifiés au Royaume-Uni et en Afrique
du Sud et déjà réputés pour leur contagiosité.
Ces lignées nouvelles de SARS-CoV-2 sont à l’évidence
préoccupantes à Manaus comme ailleurs, car elles peuvent alimenter
des rebonds épidémiques brutaux et pires que les précédents du fait
de leur contagiosité accrue et de leur résistance potentielle à une
immunité de groupe acquise au contact d’antigènes différents. Sans
parler d’une mise en échec potentielle des vaccins qui arrivent
actuellement sur le marché et d’une virulence supérieure à
l’origine d’une mortalité supérieure à celle induite par les
premières lignées du virus.
Angoisse et perplexité
L’expérience immunologique à ciel ouvert de Manaus incite à
préciser le plus rapidement possible les caractéristiques
génétiques, immunologiques, cliniques et épidémiologiques des
nouveaux variants du SARS-CoV-2 qui plongent la planète dans la
perplexité et l’angoisse, aucun pays n’étant à l’abri du scénario
brésilien. La surveillance sérologique et génomique généralisée est
plus que jamais à l’ordre du jour à un moment où la pandémie
reprend du poil de la bête, aidée en cela par la flexibilité que
lui offrent les nouveaux variants et leur résistance potentielle
face à tous les moyens mis en œuvre dans l’extrême urgence pour la
contrer. Le succès de la vaccination dans l’induction éventuelle
d’une immunité de groupe pourrait être sérieusement remis en
question si certaines des hypothèses suscitées par l’énigme de
Manaus se confirmaient.
L’efficacité vaccinale se limiterait alors à protéger les
sujets les plus fragiles ou les plus vulnérables ce qui permettrait
d’éviter la saturation des hôpitaux. Ce ne serait déjà pas si mal
en attendant de pouvoir faire mieux…mais le mystère plane encore
sur la métropole amazonienne confrontée à un désastre sanitaire
d’une incroyable ampleur qui renvoie aux ravages des grandes
épidémies du passé…alors qu’il n’existait ni médicaments ni
vaccination.
Elle devrait permettre de produire des vaccins ad hoc, quasiment à la demande, sans même avoir besoin de refaire le chemin de développement réglementaire. Et nous aurons bientôt besoin de formulations "multivariants" !
Dr Pierre Rimbaud
Essais vaccinaux et émergence de variants ?
Le 01 février 2021
Peut-on envisager un lien entre émergence des variants et essais sur les vaccins tant en Afrique du Sud qu'au Brésil ?
Jean-Michel Budet
Pauvre Amazonie
Le 01 février 2021
C'est justement à Manaus qu'un trop fort dosage de HCQ avait provoqué le décès de patients à antécédents cardiaques le printemps dernier (voir le lien). La voilà à nouveau frappée par le sort. Avec la déforestation, le Brésil traverse une mauvaise passe.