
Paris, le mercredi 21 avril 2021 - Le rôle exact qui pourrait être joué par les autotests dans le contrôle de l’épidémie de Covid-19 est difficile à déterminer aujourd’hui. Néanmoins, en s’appuyant sur des modélisations (dont les limites sont connues !) et sur quelques expériences étrangères, certains épidémiologistes considèrent que l’utilisation deux fois par semaine par toute la population de ces tests de dépistage (dont la sensibilité n’est pas aussi performante que les tests PCR mais qui dépasse cependant 80 % chez les sujets symptomatiques) pourrait avoir un effet réel sur la transmission de SARS-CoV-2. Dès lors, faut-il permettre un large accès à ces dispositifs, en considérant que la quantité compensera leur sensibilité limitée (avec une pédagogie réduite, les autoprélèvements risquent en effet d’être moins performants) ou au contraire préférer une distribution encadrée, donc en pharmacie, en considérant qu’elle est gage d’une plus grande efficacité ? C’est, à la différence d’un grand nombre de ses voisins, le second choix qu’a préféré la France en réservant la distribution des autotests aux pharmacies.
Une longue bataille entre les officinaux et la grande distribution
Ce choix est soutenu par une majorité de professionnels de santé comme l’indique un sondage réalisé sur notre site la semaine dernière et auquel ont participé 1 079 lecteurs.
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Sondage réalisé en ligne auprès des lecteurs du site JIM.fr du 5 au 17 avril |
Ainsi, 52 % des répondeurs se sont déclarés opposés à la vente des autotests Covid en grande surface, tandis que 44 % se disent favorables à une telle mesure, quand 4 % considérant peut-être difficile d’apprécier les enjeux ne se prononcent pas. Cependant, ces résultats globaux dissimulent un clivage très net entre les médecins et les pharmaciens. Ainsi, 54 % des médecins répondeurs approuvent l’idée de la vente des autotests par la grande distribution, quand seuls 7 % des pharmaciens répondeurs se prononcent de façon similaire. Le rejet massif de la vente des autotests en supermarchés par 93 % des pharmaciens (dans notre sondage) n’est évidemment pas étranger au conflit qui existe depuis de nombreuses années entre les officinaux et la grande distribution. L’opération de communication récente de Michel-Edouard Leclerc pour dénoncer « l’absurdité » de la vente réservée des autotests en officine ne peut d’ailleurs que les conforter dans l’idée que la vigilance doit demeurer entière pour préserver le monopole pharmaceutique et rappeler constamment les enjeux de santé publique qui y sont associés. A propos de nombreux produits, les pharmaciens ont en effet mis en garde contre les risques d’une libéralisation : échouant en ce qui concerne par exemple les tests de grossesse, mais parvenant à faire prendre conscience des effets potentiellement délétères à propos des médicaments sans ordonnance ou des tests de dépistage du VIH.
Défiance et manque d’audace
L’autotest de dépistage de l’infection par SARS-CoV-2 étant un dispositif médical, les dangers liés à la banalisation de sa commercialisation ne doivent pas être éludés. Il est probable en effet que les explications du pharmacien concernant tant la méthode de prélèvement, l’utilisation du réactif et la lecture des résultats que l’attitude à adopter en cas de résultat positif offrent des garanties bien supérieures d’une meilleure observance que l’anonymat d’un supermarché. Néanmoins, la commercialisation par la grande distribution permettrait probablement de dépasser certains des obstacles d’approvisionnement que connaissent les pharmaciens (comme on l’a vu pour les masques) et une action plus dynamique sur les prix. Par ailleurs, même si la densité du maillage officinal limite les considérations concernant l’accessibilité, la multiplication des points de vente est par essence un moyen d’élargir la diffusion de ce dispositif. D’un point de vue plus politique, la limitation de la vente des autotests dans les pharmacies semble être un nouveau témoignage de la défiance des autorités vis-à-vis des Français et de leur capacité à s’emparer de ces outils et d’en faire un usage adapté et raisonné. C’est également peut-être aussi, penseront certains, un signe du manque d’audace de la France qui a caractérisé plusieurs de ses décisions dans la gestion de cette pandémie.
Le poids de l’expérience
Dans cette perspective, notre sondage suggère que les pharmaciens semblent (au-delà de l’indubitable influence du conflit d’intérêt) partager la volonté des autorités sanitaires d’accompagner les Français. Sans doute leur expérience quotidienne, à travers les questions posées par les patients, les récits qu’ils entendent et l’attitude de certains lors de la restitution de résultats positifs de tests antigéniques les conduisent à mettre en garde contre les dérives d’un accès sans filtre aux autotests. Par ailleurs, si chez les médecins, la confiance apparaît plus importante, leur adhésion à la vente des autotests en grande surface pourrait être tout autant liée à des considérations pragmatiques (coût, accessibilité…). A cet égard, on relèvera que les infirmières se montrent également assez réticentes à la commercialisation de ces dispositifs dans les supermarchés : 35 % s’y déclarant favorable et 39 % opposées et 7 % ne se prononçant pas.
Aurélie Haroche