
Une évolution rapide en France
En France, les pouvoirs public ne semblent pas enclins à un
tel empressement et à devancer l’avis de la Haute autorité de Santé
(HAS) attendu dans les jours à venir.
Cependant, s’il y a encore une dizaine de jours, le ministre
de la Santé signalait la nécessité d’attendre des données plus
complètes et insistait sur l’importance de se concentrer d’abord
sur la vaccination des plus à risque, la perspective est désormais
considérée de façon plus positive. Ainsi, le responsable de la
campagne vaccinale, le professeur Alain Fischer a affirmé que dès
le courant du mois de juin les 16-17 ans pourraient être éligibles
à la vaccination (pour le moment seuls les sujets à haut risque de
cette tranche d’âge sont concernés) et a renvoyé à septembre celle
des 12-15 ans.
Déjà le « plafond » de verre ?
On pressent bien derrière cette inflexion du discours que les pouvoirs publics se convertissent peu à peu à l’idée que pour espérer atteindre une « immunité collective », il sera indispensable de vacciner les adolescents. Les différentes modélisations disponible conduisent en effet à considérer qu’une couverture vaccinale de 70 % des adultes et de 90 % de l’ensemble de la population est nécessaire pour pouvoir retrouver une vie sans distances physiques, masques et autres jauges. Or, compte tenu des réticences qui s’expriment, difficile d’espérer dépasser 80 % d’adultes protégés par la vaccination. C’est le spectre du fameux « plafond de verre », qui commence déjà à se profiler. Aujourd’hui, on observe en effet que le rythme de la vaccination ne progresse plus : il est de 484 000 injections quotidiennes, contre 570 000 autour du 20 mai. Bien sûr, l’utilisation par les pharmaciens et médecins du vaccin Moderna et l’ouverture à tous les adultes de tous les créneaux de vaccination à partir d’aujourd’hui pourraient avoir une influence sur cette cadence. Néanmoins, il apparaît déjà que dans certaines tranches d’âge, un seuil paraît être atteint : ainsi, la part des 80-89 ans vaccinés ne progresse quasiment plus et ne dépasse pas les 80 %. La stagnation concerne également les 75-79 ans.Un quart des nouvelles vaccinations aux Etats-Unis ont lieu entre 12 et 15 ans
Aux Etats-Unis, la vaccination des 12-15 ans depuis trois semaines a inversé la tendance qui inquiétait les autorités sanitaires. Ainsi, après avoir légèrement diminué en avril et en mai, le nombre quotidien de vaccinations est reparti à la hausse, relève le New-York Times. Ce sont en effet 2,5 millions de « teenagers » qui ont reçu une première dose de vaccin depuis le 10 mai, sur les 17 millions que compte le pays. Aujourd’hui, ils représentent un quart des nouvelles vaccinations.Des évaluations encore parcellaires alors que l’intérêt individuel est quasi nul
La vaccination des adolescents n’échappe cependant pas à un inévitable questionnement éthique. D’abord, parce que les évaluations sont encore parcellaires. L’EMA a accordé son feu vert au vaccin Pfizer/BioNTech sur la base d’une étude qui portait sur 2 260 adolescents : sur les 1 005 qui ont été vaccinés, aucun n’a été atteint de Covid, tandis que sur les 978 qui ne l’ont pas été, 16 ont été malades. Or, compte tenu de la part plus limitée de formes symptomatiques et plus encore de formes graves chez les adolescents, pour apprécier l’efficacité clinique réelle du vaccin, des cohortes plus importantes pourraient être nécessaires. Si s’appuyer sur des études en cours concernant les adultes et plus encore les plus de 50 ans pouvait se justifier en janvier compte tenu de la gravité potentielle de la maladie chez ces derniers, l’urgence apparaît à certains moins légitime en ce qui concerne les adolescents. On rappellera en effet que sur les 110 000 premiers morts de la Covid en France, treize avaient moins de 18 ans. De la même manière, des études plus robustes sont indispensables pour assurer l’absence d’effets secondaires (en tout cas à court terme), alors que des signalements de myocardite (dont on ne sait s’ils sont liés à la vaccination) ont été rapportés chez des sujets jeunes (mais majeurs). L’EMA confirme d’ailleurs que la taille « limitée » de l’essai pourrait avoir laissé échapper des effets indésirables « rares ». Si les centaines de milliers d’adolescents vaccinés aux Etats-Unis et bientôt au Canada et en Israël offriront des informations précieuses, une proportion même infime d’effets secondaires aura nécessairement une incidence sur le rapport bénéfice/risque du produit.Immunité collective… et retour d’une vie scolaire et sociale normale
Néanmoins, malgré un bénéfice médical individuel très limité, la vaccination des adolescents, en permettant d’éviter de nouvelles fermetures d’établissements scolaires, sportifs et collectifs pourrait lui conférer un avantage certain. C’est ce que plaide le professeur, Odile Launay (directrice du centre d’investigation clinique en vaccinologie Cochin-Pasteur) qui signale encore que le devenir des Covid longues chez certains adolescents n’est pas connu. « C’est indispensable de commencer à vacciner les adolescents cet été pour atteindre l’immunité collective d’ici la rentrée », assure-t-elle.La vaccination des adultes devrait-elle rester la priorité ?
Certains spécialistes cependant se montrent plus réservés. Ils considèrent que l’accent devrait d’abord être mis sur les adultes et notamment les adultes à risque et estiment que la vaccination des plus jeunes est loin d’être une priorité avant la protection de leurs aînés. C’est par exemple la position exprimée par le professeur Caumes. D’autres font également remarquer qu’il serait également plus pertinent de vacciner les adultes des pays pauvres (alors que certains indices suggèrent que la mortalité pourrait y être sous-estimée). Beate Kampmann, professeur en maladies infectieuses pédiatriques à la London School of Hygiene and Tropical Medicine insiste ainsi : « On éviterait plus de souffrances en laissant les vaccins à des pays où il y a beaucoup de gens gravement malades et de morts, comme en Inde, plutôt qu’en faisant vacciner nos adolescents ». C’était également le sens d’un message lancé la semaine dernière par Emmanuel Macron à l’heure d’annoncer le don de 30 millions de doses au programme Covax d’ici la fin de l’année. « Nous n'avons pas le droit de stocker les vaccins dans certains pays alors que d'autres en manquent. Et il est choquant qu'on commence parfois à vacciner les enfants là où on n'a pas encore commencé à vacciner les plus âgés, les plus fragiles dans d'autres pays » a plaidé le Président de la République alors que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a également exprimé ses réticences vis-à-vis de la vaccination immédiate des adolescents et des enfants.La vaccination des enfants, sans pertinence même épidémiologique ?
Il semble cependant peu probable que malgré ces généreuses déclarations d’intention, la France choisisse longtemps de se démarquer de l’Allemagne ou des Etats-Unis. La question sera cependant probablement très différente en ce qui concerne la vaccination des 6-12 ans. Pour eux, en effet, outre un bénéfice individuel plus discutable encore que pour les adolescents, la pertinence épidémiologique est, elle aussi, discutée. L’INSERM remarquait ainsi fin mars que compte tenu du rôle limité que paraissent jouer les jeunes enfants dans la transmission, l’intérêt de les immuniser vis-à-vis de la circulation du virus apparaît très limité. Odile Launay ajoute dans Le Figaro : « Nous ne sommes pas du tout dans une configuration de type grippe. Les plus jeunes ont des risques de complication avec une grippe, ce qui n’est pas le cas avec le Covid. Qui plus est, les vaccins anti-Covid sont très efficaces chez les plus âgés et les plus fragiles, il n’y a donc, a priori pas besoin de déployer un bouclier supplémentaire pour les protéger ».Des parents plus que réticents
La vaccination des enfants, ainsi que celle des adolescents, se heurtera en outre à une très probable réticence de l’opinion. Aux Etats-Unis, les parents ne sont ainsi aujourd’hui qu’un tiers à dire vouloir faire vacciner leur enfant ou adolescent dès que possible, tandis que 25 % s’y refusent complètement. En France, les enquêtes manquent encore, mais sur le site du Point un sondage en ligne qui a récolté 28 957 réponses révèle 78 % de réponses négatives à la question : « Etes-vous prêt à faire vacciner vos enfants contre la Covid ».Aurélie Haroche