
Des avertissements demeurés sans écho
Il faut dire que la dégradation a été soudaine. En Guadeloupe le nombre de cas quotidien est ainsi passé de 10 la première semaine de juillet à 1 019 actuellement. De la même manière en Martinique, le nombre de cas a été multiplié par 10 en un mois. Une telle explosion ne pouvait faire que des ravages dans une population faiblement vaccinée (avec à peine 21 à 22 % des Guadeloupéens et Martiniquais partiellement protégés). Pourtant, cette insuffisante couverture vaccinale avait suscité dès le mois de juin plusieurs avertissements et cris d’alerte, notamment de la part de la communauté médicale locale.La responsabilité des autorités locales
Ces appels n’ont malheureusement pas été entendus et certains
n’hésitent pas à mettre en cause la responsabilité des autorités
locales. « La Collectivité territoriale de la Martinique a voté
contre l’extension du pass sanitaire, contre l’obligation
vaccinale » a ainsi rappelé ce matin le professeur Gilles
Pialoux. De fait dans une motion sur l’extension du pass sanitaire
et l’institution de la vaccination obligatoire pour les soignants,
la Collectivité territoriale de la Martinique avait émis le 27
juillet plus que des réserves prenant acte notamment : « Du
refus d’une part de la population de se voir imposer la
vaccination » et déclarant « avec force que chaque personne
doit pouvoir décider librement de se faire vacciner ou de ne pas le
faire : la vaccination doit être proposée pas imposée ».
L’Assemblée de Martinique évoquait également « la diversité des
points de vue sur les enjeux de la vaccination, y compris au sein
du milieu médical ». Enfin, elle martelait qu’elle refusait «
toute pression exercée sur le personnel soignant qui a assumé
tant de risques lors des premières vagues de l’épidémie et dit
inadmissible la menace de toute sanction à laquelle s’expose tout
soignant ou tout salarié refusant la contrainte de la vaccination
obligatoire ».
Déconnexion
La lecture de ces positions politiques apparaît sous un jour
cruel face à la situation actuelle. L’épidémie est en effet
largement une épidémie de « non vaccinés », selon
l’expression de Serge Romana, chef du service d’histologie à
l’hôpital Necker, co-signataire d’une tribune sur la vaccination en
Outre-mer. « Ce qui est terrible c’est le contraste entre la
peur du vaccin et la catastrophe sanitaire dans laquelle on se
trouve. Il y a comme une sorte de déconnexion » n’a-t-il pu que
remarquer interrogé sur France Inter. Les chiffres confortent cette
analyse, avec notamment 98 % des personnes hospitalisées par Covid
au CHU de Pointe-à-Pitre qui n’ont pas été vaccinés, selon le
président de la commission médicale de l’établissement. Cette
insuffisante vaccination s’ajoute en outre à un état de santé moins
favorable de la population antillaise (avec une forte prévalence du
diabète et de l’obésité), tandis que même chez les plus âgés les
taux de protection sont faibles (moins de 30 % chez les plus de 70
ans) selon Gilles Pialoux. Dans un tel contexte, le spécialiste est
fortement pessimiste : « La situation ne va faire qu’empirer
» assure-t-il.
Le spectre des déprogrammations hante à nouveau les équipes hospitalières
Le contre-exemple de l’Outre-mer est une nouvelle piqûre de rappel pour la métropole quant à l’importance de la vaccination. Or, les taux actuels pourraient ne pas être complètement suffisants pour échapper à une nouvelle vague problématique. Les alertes commencent en effet à se multiplier, notamment en Occitanie et en PACA où la tension hospitalière a dépassé les 50 %. Ainsi, dans un communiqué diffusé hier, l’Assistance publique – hôpitaux de Marseille décrit une situation difficile : « Les taux d’incidences sont élevés : 234 cas pour 100 000 habitants en France, 586 en région PACA, et 678 dans notre département des Bouches-du-Rhône. Cette forte circulation du virus a désormais des répercussions sur le fonctionnement hospitalier. Les nombres d’appels au SAMU, de venues pour diagnostic et prise en charge à l’IHU de Marseille, de passages aux urgences, d’hospitalisations conventionnelles ou d’entrées dans nos services de réanimation sont désormais en augmentation constante. (…) Parce que nous savons que la situation va continuer de s’aggraver dans les prochains jours, nous sommes en plan blanc depuis le 4 août afin de mobiliser tous les moyens disponibles pour faire face à l’augmentation du nombre de malades. Nous sommes désormais contraints une fois encore d’organiser la déprogrammation de certains soins moins urgents et de reporter des interventions chirurgicales ou des prises en charge médicales pour les patients pour lesquels ces délais seront les moins inquiétants » explique le communiqué. Ce dernier indique encore que 94 % des patients admis en réanimation ne sont pas vaccinés. Partout en France, et même si le taux d’occupation des lits par des patients atteints de Covid n’excède pas au niveau national 33 %, la même inquiétude de devoir reprendre les déprogrammations s’installe.Vaccination possible « à chaque coin de rue »
Ce contexte pousse le gouvernement à prendre de nouvelles mesures. A l’issue du Conseil de Défense, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal a ainsi annoncé que le pass sanitaire serait exigé à l’entrée d’une partie des centres commerciaux : près d’un tiers des structures sont concernées, la majorité dans le sud du pays et en Ile-de-France. Par ailleurs, le porte-parole a confirmé la fin de la gratuité des tests au mois d’octobre. Faudra-t-il aller encore plus loin ? Ceux qui depuis le début de l’épidémie répètent des messages fortement alarmistes le craignent à nouveau. Ainsi, le professeur Jean-Michel Constantin (anesthésie réanimateur, Pitié-Salpêtrière) considère « Sur le plan sanitaire, il est impossible de dire qu’on va pouvoir passer sans reconfinement ». Mais d’autres ne partagent pas un tel pessimiste. Dans le Parisien, l’épidémiologique Bruno Piarroux tempère : « Nous sommes loin du tableau cataclysmique des trois premières vagues avec des pics à 7 000, 5 000 et 6 000 patients en soins critiques. Il est peu probable qu’on monte jusqu’à ces niveaux-là. Si le nombre de cas continue d’augmenter de 5 % par semaine, on peut le compenser par la vaccination. Il reste 13 millions de personnes de plus de 12 ans qui ne sont pas du tout vaccinées. Si on en vaccine quelques millions de plus, on peut s’attendre à ce que les courbes se mettent à baisser ». La clé est donc encore et toujours la vaccination. Cependant, probablement en raison du mois d’août, les records du mois de juillet semblent aujourd’hui s’émousser : le nombre de premières injections est en effet en baisse de 23 % par rapport à la semaine dernière. Le gouvernement espère qu’avec sa promesse de rendre accessible la vaccination « à chaque coin de rue » et l’annonce de campagnes dès la pré-rentrée dans les établissements scolaires, une nouvelle dynamique s’imposera bientôt. La course contre la montre est sans fin.Aurélie Haroche