Scénario catastrophe aux Antilles victimes d’une épidémie de « non vaccinés », tandis que la métropole retient son souffle

Pointe-à-Pitre, le jeudi 12 août 2021 – « Il tombe sous le sens que nous allons devoir durcir les mesures de freinage tant il y a urgence ». A l’heure d’annoncer le renforcement des mesures de confinement en Guadeloupe, qui vivait depuis quelques semaines sous un régime de confinement allégé, le ministre des Outre mer, Sébastien Lecornu, n’a pas caché l’inquiétude que lui inspire la situation dans l’île. Il se faisait l’écho des témoignages accablés des responsables hospitaliers. « La situation est inédite par son ampleur, ça dépasse tout ce qu’on avait pu imaginer. On doit décupler nos efforts pour ouvrir les lits de réanimation supplémentaires », observait ainsi ce matin Marc Valette, chef du service de réanimation du CHU de Pointe-à-Pitre. Comme en Martinique depuis déjà le début du mois d’août, les équipes sont contraintes de « trier » les patients, pour admettre dans les très rares lits de réanimation disponibles des sujets choisis en fonction de différents critères. Bien sûr, dans ce contexte, les renforts arrivés mardi soir et répartis entre Fort-de-France et Pointe-à-Pitre sont un soutien qualifié « d’inespéré », même s’ils ne permettront pas à court terme d’améliorer significativement la situation.

Des avertissements demeurés sans écho

Il faut dire que la dégradation a été soudaine. En Guadeloupe le nombre de cas quotidien est ainsi passé de 10 la première semaine de juillet à 1 019 actuellement. De la même manière en Martinique, le nombre de cas a été multiplié par 10 en un mois. Une telle explosion ne pouvait faire que des ravages dans une population faiblement vaccinée (avec à peine 21 à 22 % des Guadeloupéens et Martiniquais partiellement protégés). Pourtant, cette insuffisante couverture vaccinale avait suscité dès le mois de juin plusieurs avertissements et cris d’alerte, notamment de la part de la communauté médicale locale.

La responsabilité des autorités locales

Ces appels n’ont malheureusement pas été entendus et certains n’hésitent pas à mettre en cause la responsabilité des autorités locales. « La Collectivité territoriale de la Martinique a voté contre l’extension du pass sanitaire, contre l’obligation vaccinale » a ainsi rappelé ce matin le professeur Gilles Pialoux. De fait dans une motion sur l’extension du pass sanitaire et l’institution de la vaccination obligatoire pour les soignants, la Collectivité territoriale de la Martinique avait émis le 27 juillet plus que des réserves prenant acte notamment : « Du refus d’une part de la population de se voir imposer la vaccination » et déclarant « avec force que chaque personne doit pouvoir décider librement de se faire vacciner ou de ne pas le faire : la vaccination doit être proposée pas imposée ». L’Assemblée de Martinique évoquait également « la diversité des points de vue sur les enjeux de la vaccination, y compris au sein du milieu médical ». Enfin, elle martelait qu’elle refusait « toute pression exercée sur le personnel soignant qui a assumé tant de risques lors des premières vagues de l’épidémie et dit inadmissible la menace de toute sanction à laquelle s’expose tout soignant ou tout salarié refusant la contrainte de la vaccination obligatoire ».

Déconnexion

La lecture de ces positions politiques apparaît sous un jour cruel face à la situation actuelle. L’épidémie est en effet largement une épidémie de « non vaccinés », selon l’expression de Serge Romana, chef du service d’histologie à l’hôpital Necker, co-signataire d’une tribune sur la vaccination en Outre-mer. « Ce qui est terrible c’est le contraste entre la peur du vaccin et la catastrophe sanitaire dans laquelle on se trouve. Il y a comme une sorte de déconnexion » n’a-t-il pu que remarquer interrogé sur France Inter. Les chiffres confortent cette analyse, avec notamment 98 % des personnes hospitalisées par Covid au CHU de Pointe-à-Pitre qui n’ont pas été vaccinés, selon le président de la commission médicale de l’établissement. Cette insuffisante vaccination s’ajoute en outre à un état de santé moins favorable de la population antillaise (avec une forte prévalence du diabète et de l’obésité), tandis que même chez les plus âgés les taux de protection sont faibles (moins de 30 % chez les plus de 70 ans) selon Gilles Pialoux. Dans un tel contexte, le spécialiste est fortement pessimiste : « La situation ne va faire qu’empirer » assure-t-il.

Le spectre des déprogrammations hante à nouveau les équipes hospitalières

Le contre-exemple de l’Outre-mer est une nouvelle piqûre de rappel pour la métropole quant à  l’importance de la vaccination. Or, les taux actuels pourraient ne pas être complètement suffisants pour échapper à une nouvelle vague problématique. Les alertes commencent en effet à se multiplier, notamment en Occitanie et en PACA où la tension hospitalière a dépassé les 50 %. Ainsi, dans un communiqué diffusé hier, l’Assistance publique – hôpitaux de Marseille décrit une situation difficile : « Les taux d’incidences sont élevés : 234 cas pour 100 000 habitants en France, 586 en région PACA, et 678 dans notre département des Bouches-du-Rhône. Cette forte circulation du virus a désormais des répercussions sur le fonctionnement hospitalier. Les nombres d’appels au SAMU, de venues pour diagnostic et prise en charge à l’IHU de Marseille, de passages aux urgences, d’hospitalisations conventionnelles ou d’entrées dans nos services de réanimation sont désormais en augmentation constante. (…) Parce que nous savons que la situation va continuer de s’aggraver dans les prochains jours, nous sommes en plan blanc depuis le 4 août afin de mobiliser tous les moyens disponibles pour faire face à l’augmentation du nombre de malades. Nous sommes désormais contraints une fois encore d’organiser la déprogrammation de certains soins moins urgents et de reporter des interventions chirurgicales ou des prises en charge médicales pour les patients pour lesquels ces délais seront les moins inquiétants » explique le communiqué. Ce dernier indique encore que 94 % des patients admis en réanimation ne sont pas vaccinés. Partout en France, et même si le taux d’occupation des lits par des patients atteints de Covid n’excède pas au niveau national 33 %, la même inquiétude de devoir reprendre les déprogrammations s’installe.

Vaccination possible « à chaque coin de rue »

Ce contexte pousse le gouvernement à prendre de nouvelles mesures. A l’issue du Conseil de Défense, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal a ainsi annoncé que le pass sanitaire serait exigé à l’entrée d’une partie des centres commerciaux : près d’un tiers des structures sont concernées, la majorité dans le sud du pays et en Ile-de-France. Par ailleurs, le porte-parole a confirmé la fin de la gratuité des tests au mois d’octobre. Faudra-t-il aller encore plus loin ? Ceux qui depuis le début de l’épidémie répètent des messages fortement alarmistes le craignent à nouveau. Ainsi, le professeur Jean-Michel Constantin (anesthésie réanimateur, Pitié-Salpêtrière) considère « Sur le plan sanitaire, il est impossible de dire qu’on va pouvoir passer sans reconfinement ». Mais d’autres ne partagent pas un tel pessimiste. Dans le Parisien, l’épidémiologique Bruno Piarroux tempère : « Nous sommes loin du tableau cataclysmique des trois premières vagues avec des pics à 7 000, 5 000 et 6 000 patients en soins critiques. Il est peu probable qu’on monte jusqu’à ces niveaux-là. Si le nombre de cas continue d’augmenter de 5 % par semaine, on peut le compenser par la vaccination. Il reste 13 millions de personnes de plus de 12 ans qui ne sont pas du tout vaccinées. Si on en vaccine quelques millions de plus, on peut s’attendre à ce que les courbes se mettent à baisser ». La clé est donc encore et toujours la vaccination. Cependant, probablement en raison du mois d’août, les records du mois de juillet semblent aujourd’hui s’émousser : le nombre de premières injections est en effet en baisse de 23 % par rapport à la semaine dernière. Le gouvernement espère qu’avec sa promesse de rendre accessible la vaccination « à chaque coin de rue » et l’annonce de campagnes dès la pré-rentrée dans les établissements scolaires, une nouvelle dynamique s’imposera bientôt. La course contre la montre est sans fin.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (5)

  • Îles de la Désolation

    Le 13 août 2021

    Martinique et Guadeloupe sont devenues des boîtes de Pétri géantes, un modèle expérimental inattendu, une preuve dramatique de l'efficacité et de la nécessité du traitement vaccinal de l'épidémie. Une situation qui n'est pas sans rappeler les suicides collectifs des sectes de manipulés. Certains politiques aveuglément contradicteurs et quelques journalistes nécessairement polémistes ont du pus et du sang sur les mains.

    Dr P.Castaing

  • Le Dr Castaing a tout dit

    Le 14 août 2021

    Une leçon sera t'elle tirée de ce sinistre modêle trés " vie réelle " d'abstinence vaccinale ? Pas sûr.
    Et le Variant Delta n'est PAS (encore) majoritaire aux Antilles.
    Reste à devoir ... protéger le DG du CHU de la Guadeloupe , Mr Gérard Cotellon et à rapatrier vers la métropole les non-covid réanimatoires encore capables de voyager.

    Dr JP Bonnet

  • Devant une question de santé publique

    Le 15 août 2021

    Comment peut on défendre la notion de "liberté individuelle" pour la vaccination contre la covid 19 alors que l'on est devant un problème de santé publique qui impose d'utiliser le seul moyen à notre disposition pour lutter contre ce fléau:LA VACCINATION!

    Dr Jean-Paul Canivet

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