Désorganisation et tri des patients : le quotidien affligeant des hôpitaux Antillais

Fort-de-France, le lundi 23 août 2021 – Aujourd’hui, les premiers soignants de métropole arrivés le 10 août pour aider les hôpitaux de Martinique et de Guadeloupe sont de retour dans l’hexagone, alors que de nouveaux renforts restent nécessaires a alerté ce week-end le patron de l'Agence régionale de santé. Tout au long de ces presque quinze jours, ils auront pu mesurer le caractère indispensable de leur présence. « On a reçu vraiment beaucoup d'aides de la métropole. Ça a commencé avec les réservistes et après il y a eu ces aides qui ont été très médiatisées et ça change tout. Ça a amené beaucoup d'énergie et ça a permis d'éviter que l'hôpital ne s'écroule » a ainsi confié le directeur général du CHU de Martinique, Benjamin Garel à France TV. Grâce à ces médecins, infirmiers et aides-soignants venus de la France entière, le nombre de lits disponibles a en effet pu considérablement augmenter. Ainsi, le nombre de places en soins critiques a été multiplié par quatre en Martinique, pour atteindre 100 lits, dont cinquante-cinq au CHU et dix-huit au sein du module militaire de réanimation. Même exploit en Guadeloupe où l’on compte désormais quatre-vingt-quatre lits de réanimation, contre vingt-sept hors période de crise.

Des améliorations structurelles possibles

Si les augmentations plus que significatives de ces capacités ne peuvent que donner aux soignants venus en renfort le sentiment d’une parfaite utilité de leur mission, les médecins et infirmiers reviennent cependant souvent durablement marqués par les quelques jours passés aux Antilles.

Plusieurs ont exprimé leur sidération sur Twitter ou dans les médias. Ils ont ainsi par exemple évoqué leur sentiment d’une désorganisation des établissements. En Guadeloupe, le Professeur Louis Bernard, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Tours déplore interrogé par France Bleu : « S'il y avait une meilleure structure, les choses seraient différentes. Nous pourrions gérer plus facilement les flux de malades. Il devrait y avoir une organisation quasiment militaire dans une période de guerre contre le Covid mais ce n'est pas le cas. On se retrouve avec des patients qui restent 48-72 heures aux urgences, qui aggravent leur cas et qui contaminent d'autres personnes qui sont admises pour d'autres raisons » décrit-il. Il remarque encore : « C'est compliqué de dire ce qui ne va pas, de leur faire changer de mode de fonctionnement. On ne veut pas froisser non plus les équipes guadeloupéennes. Mais c'est vrai qu'on s'attendait à être en renfort et on est plus finalement suppléants de dysfonctionnements. On remplace des gens qui ne sont pas là ». Il faut dire que faute de vaccination notamment, un nombre important de soignants antillais a été contaminé par la Covid.

Inévitable tri

Plus encore que la désorganisation, c’est l’inévitable tri des patients qui marque les esprits. Les déclarations en début de semaine dernière de deux infirmières dans la Voix du Nord, affirmant que le CHU de Pointe-à-Pitre n’accueillait plus aucun patient de plus de 50 ans en réanimation, avaient soulevé une forte émotion. Elles sont néanmoins nuancées. Le docteur Marc Valette assure ainsi dans le Monde : « La priorisation se fait à un moment donné, en fonction du nombre de demandes à cet instant-là et du nombre de lits disponibles (…). Le jour où l’article de La Voix du Nord disait « pas de patients de plus de 50 ans en réanimation », on accueillait des malades de 63 ans en réanimation, et aujourd’hui [mercredi 18 août], une patiente de 69 ans est partie en évacuation sanitaire ». « Nous raisonnons par l'éthique : concrètement, nous évaluons qui a le plus de chance de s'en sortir. Le choix peut être lié à l'âge, mais aussi aux comorbidités et aux conditions physiologiques en général. Nous faisons au cas par cas », renchérit de son côté, cité par le Figaro, Benjamin Garel. De la même manière, tous les réanimateurs tiennent à rappeler que la priorisation fait partie du quotidien de leur métier. Valentin de la Noue, interne en Champagne et membre de l'Association Nationale des Jeunes Médecins Intensivistes Réanimateurs signale ainsi dans le Figaro : « Le tri est le quotidien des réanimateurs, même en temps normal. La décision est simplement logique lorsque la réanimation et sa pratique invasive risquent de mettre le patient à trop rude épreuve, étant donné leurs capacités physiologiques. Mais le choix devient problématique lorsqu'il ne relève plus du seul intérêt du patient, mais d'un manque de moyens et de lits ». Ainsi, tous les soignants confirment que beaucoup de patients qui lors des vagues précédentes auraient été admis en réanimation sont écartés. « On a actuellement vingt-deux patients en attente d’une place en réa. Et encore, si on appliquait les critères de la troisième vague, ça nous ferait une bonne centaine de patients en attente. Vous avez cinquante patients, il y a deux places : comment faire ? » résume ainsi dans Le Monde, le docteur Cyrille Chabartier, chef du service de réanimation polyvalente à l’hôpital Pierre-Zobda-Quitman (Fort-de-France).

Des patients de plus en plus jeunes

Les équipes sur place confirment également qu’un nombre important de patients sont jeunes. « Aujourd'hui, un tiers de nos lits sont occupés par des jeunes entre 20 et 35 ans. Certains jours, les patients que nous accueillons ne dépassent pas 40 ans », remarque par exemple Benjamin Garel.

Cependant, refusant la fatalité, les soignants utilisent toutes les forces en présence. Au sein du Chu, le docteur Sébastien Couraud, chef du service de pneumologie à l’hôpital Lyon-Sud a ainsi déployé six lits d’oxygénothérapie haut débit. « L’idée, c’est de proposer une alternative thérapeutique, dans des conditions dégradées. On sait que c’est un traitement efficace pour des personnes qui n’ont pas accès à la réanimation dans l’immédiat », relève-t-il dans Le Monde. Cependant, les renforts savent que leur inventivité peut être limitée par le manque de moyens matériels. Ainsi, si l’acheminement par la marine nationale de 100 tonnes d’oxygène médical depuis la Guyane éloigne le spectre de la pénurie, « on est limité par le débit d’oxygène dans l’établissement. Les tuyaux ne sont pas dimensionnés pour les débits qu’on administre actuellement sur le site », relate le docteur Cyrille Chabartier.

Les décès en hausse de 129 % en Guadeloupe entre le 9 et le 15 août

Dans cet enfer, les équipes médicales savent que la baisse de l’incidence (961/ 100 000 ce 23 août en Martinique, contre 1147/100 000 entre le 9 et le 15 août) observée ces derniers jours ne leur offrira du répit que dans dix ou quinze jours et que la pression dans les établissements devrait encore être forte dans les prochaines semaines. Aujourd’hui en effet, la tension hospitalière atteint 245 % en Guadeloupe et 485 % en Martinique. Derrière ces chiffres, l’envolée des décès est également éprouvante. On recense en moyenne 12 décès quotidien en Guadeloupe et huit en Martinique. L’excès de mortalité générale a été confirmé dans son dernier bulletin par Santé Publique France : la hausse a ainsi atteint du 9 au 15 août + 129 % en Guadeloupe. Santé publique France indique encore que depuis début juillet, 40 % des décès aux Antilles sont liés au Covid 19.

Dans ce contexte, les autorités commencent à réfléchir en Martinique comme en Guadeloupe à un report de la rentrée, alors que la forte contagiosité du variant Delta n’épargne pas les enfants et adolescents. Des décisions pourraient être annoncées cette semaine, alors qu’à l’issue d’une rencontre au rectorat, le président du Conseil Exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique, Serge Letchimy a annoncé vendredi le report de la rentrée des agents qui travaillent dans les collèges et lycées qui était prévue aujourd’hui. De leur côté, les parents d’élève de Guadeloupe ont fait part de leur inquiétude quant aux conditions de la rentrée. Cependant, il est notable que leur communiqué ne se concentre pas uniquement sur la situation épidémiologique mais aussi sur la vaccination.

« Nous sommes contre toutes les formes d’obligation vaccinale liées au Covid-19 », « contre l’application du passe sanitaire », « contre les campagnes vaccinales en milieu scolaire […] et contre l’éviction systématique des élèves cas contacts non vaccinés », s’insurge ainsi la fédération des associations de parents d’élèves de Guadeloupe. Cette intervention témoigne que la gravité de la situation n’a nullement conduit les anti vaccins à modérer leurs ardeurs. La présentatrice de Radio Caraïbes International qui répète chaque jour le nom des morts en Martinique en est un exemple marquant : après avoir exhorté la population à écourter cette liste grâce à la vaccination, elle a reçu de très nombreuses insultes.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • Sont-ils devenus fous ?

    Le 24 août 2021

    Alors que la situation est apocalyptique aux Antilles, que beaucoup de jeunes de moins de 40 ans sont en réanimation, que les hôpitaux sont bien plus que débordés (merci aux soignants venus en renfort, merci à l'Armée), que la mortalité explose et qu'une présentatrice radio demandant à écourter sa liste de décès par la vaccination se fait insulter, voilà qu'une association de parents d'élèves ose écrire: "« Nous sommes contre toutes les formes d’obligation vaccinale liées au Covid-19 », « contre l’application du passe sanitaire », « contre les campagnes vaccinales en milieu scolaire […] et contre l’éviction systématique des élèves cas contacts non vaccinés ».

    Anti-vax et anti tout à n'en pas douter.
    Je suis totalement incompétent pour expliquer ce refus dans ces territoires. Je crois savoir qu'il y a des causes profondes, historiques, culturelles voire religieuses à cette méfiance envers ce qui vient de la métropole. Il y a aussi des antivax déterminés.

    Mais nous nous devons de protéger nos concitoyens français de ces territoires et les empêcher de décimer leur jeunesse sous quelque prétexte que ce soit.
    Dans ces territoires, c'est un véritable état de guerre (contre le virus).
    Des mesures adaptées voire coercitives s'imposent.

    Dr Thibault Heimburger

  • Contradiction...consternante !

    Le 29 août 2021

    Bravo l'association des parents d'élèves : pas de contrainte vaccinale, pas de pass sanitaire, pas de refus d'admettre les elèves dans les écoles...l'épidémie n'est pas prête de s'arrêter...
    En Guadeloupe, on rejette les lois de la simple logique...parce qu'elles ont été établies il y a fort longtemps par des ancêtres européens lointains ? Mais sont pourtant bien les mêmes sur tous les continents, à l'exception de quelques îles irréductibles qui ne voient pas l'intérêt de mesures sanitaires logiques préconisées par un corps médical mondial...
    Belle mentalité : pauvres soignants venus de métropole pour "aider" (?). Ils n'ont pas fini!
    Absolument consternant.

    Dr Astrid Wilk

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