Paris, le vendredi 15 octobre 2021 – Et si le spectacle d’une
société si bienveillante qu’elle a été prête à sacrifier son
économie pour protéger les plus âgés n’était finalement qu’un
trompe l’œil ? Et si à la stigmatisation du comportement présenté
comme inconscient de certains jeunes vis-à-vis de l’épidémie
répondait une déconsidération de nos aïeux, jugés incapables de
déterminer eux-mêmes comment ils souhaitaient affronter l’ennemi
invisible qu’est le virus ?
Pourtant, on se félicite. Interrogé par le groupe de réflexion
CRAPS dédié à la protection sociale, l’ancien député Jérôme Guedj,
auteur d’un rapport sur l’isolement des personnes âgées remis en
juillet 2020 au ministre de la Santé remarque : « Nous avons eu
affaire à un virus particulièrement âgiste qui a remis au coeur des
débats la question de la place des personnes âgées dans la société.
Le premier enseignement à retenir c’est que nous y avons apporté
une réponse collective extraordinaire puisque nous avons mis
l’économie à l’arrêt et une grande partie de la vie sociale pour
protéger les plus fragiles. C’est une forme de maturité
civilisationnelle et d’un point de vue anthropologique c’est
rassurant car globalement, malgré des débats qui ont pu surgir sur
le thème « on en fait trop pour les vieux qui vont de toutes façons
mourir bientôt », nous avons une société qui a pris des décisions
drastiques, parfois attentatoires aux libertés notamment à celle
d’aller et de venir, avec des contraintes sanitaires fortes, pour
préserver les personnes à risque et singulièrement les personnes
âgées ».
Pauvre petite vieille chose
Tous ne font cependant pas le même diagnostic. Et il semble en
tout cas que la crise ait conduit à renforcer certains réflexes «
agistes ». C’est en tout cas le bilan tiré par le Défenseur
des droits. « Les personnes âgées ont été vues comme
uniformément frêles et vulnérables tandis que les jeunes ont été
présentés comme invincibles ou imprudents voire irresponsables
» remarque ainsi un récent rapport de l’institution, tandis que
l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a récemment de son côté
déploré les « discours infantilisants ». Le Défenseur
observe encore qu’un tiers des plus de 65 ans n’ont pas eu le
sentiment d’être protégés par la société, tandis que 15 % estiment
avoir été mis à l’écart. « Pendant la période Covid, on a
priorisé une sorte de sécurité aux liens et à l'écoute des
personnes âgées » remarque dans le Bien Public, le sociologue
spécialisé dans les questions de vieillissement Serge
Guérin.
L’Adieu interdit
Avec plus de colère encore, Marie de Hennezel, psychologue et
écrivain, connue pour ses nombreux essais sur la mort et la fin de
vie, relève dans une tribune dans le Monde combien la période a
consacré une forme de déresponsabilisation des plus âgés et insiste
également sur la façon dont beaucoup ont été privés d’une mort
digne. « On m’objectera que l’on a « sacrifié », depuis le début
de la crise sanitaire, l’économie de notre pays, le travail et le
bien-être des jeunes pour protéger les personnes âgées, et que les
décisions sanitaires ont eu d’abord comme objectif d’empêcher un
désastre dans les Ehpad. Un objectif louable, certes, car, au vu de
la culpabilité collective à l’égard des âgés isolés et vulnérables,
nos responsables ne pouvaient se permettre d’accepter un tsunami de
décès chez nos anciens. Nous avions été marqués par la canicule de
2003. On a donc protégé nos vieux, mais on les a désespérés. Comme
je l’ai dénoncé dans mon livre L’Adieu interdit (Plon, 2020), bon
nombre d’entre eux, privés de ce qui leur donnait le goût de vivre,
se sont laissés mourir dans la plus grande indignité. Car quoi de
plus indigne que de mourir seul, sans un adieu, sans le visage, les
mots, la présence d’un être aimé ? » s’irrite-t-elle dans un
texte publié dans Le Monde.
Une mort digne à défaut d’une fin de vie digne ?
La psychologue n’y voit qu’une marque supplémentaire de
l’âgisme et plus encore du mépris de nos dirigeants pour les plus
vieux d’entre nous (qui sont et vont être de plus en plus nombreux,
constituant un enjeu de société majeur). L’abandon confirmé de la
loi grand âge n’en est qu’une manifestation plus éclatante encore.
Tout en louant la « maturité civilisationnelle » qui nous
aurait conduit à (sur ?) protéger nos anciens, Jérôme Guedj,
reconnait : « Alors même que les enjeux du vieillissement, des
fragilités, de la dépendance et de la perte d’autonomie ont été
largement soulignés pendant la crise, je ne suis pas certain que
nous en ayons tiré toutes les conséquences. Les ajustements
structurels auxquels nous devons procéder ne sont peut-être pas au
rendez-vous. C’est un peu comme après le traumatisme de la canicule
de 2003, il y a eu des progrès et une réelle prise de conscience,
mais le changement de braquet n’a sans doute pas été opéré ».
Là encore, Marie de Hennezel se montre bien plus virulente et ne
manque pas de s’interroger sur la concomitance entre l’abandon de
ce projet, si attendu, et la présentation d’une proposition de loi
destinée à légaliser l’euthanasie : « L’abandon récent du projet
de loi « grand âge et autonomie », sur lequel comptaient fermement
les personnes âgées en perte d’autonomie et leurs familles, les
professionnels de santé, les associations et les acteurs engagés
dans l’amélioration de leurs conditions de vie, est un choc. Ce ne
sont pas les récentes annonces de Jean Castex (10 000 postes
supplémentaires dans le secteur du grand âge d’ici à cinq ans) ni
le tarif plancher pour mieux rémunérer les interventions à domicile
qui peuvent les rassurer. Il faudrait dix fois plus d’embauches
pour assurer la dignité des fins de vie de nos âgés. Si l’on
rapproche cet abandon, dont les raisons restent opaques, du
mouvement actuel en faveur d’une loi sur le droit de mourir dans la
dignité, (…) le choc est encore plus percutant. Car il est le signe
même de l’âgisme nauséabond de notre société. Comment expliquer que
trois présidents de la République se soient engagés fermement sur
cette loi grand âge et que trois fois de suite cette promesse ne
soit pas tenue ? Qu’est-ce qui, dans l’inconscient de nos
décideurs, explique ces promesses non tenues, sinon l’âgisme
rampant qui vise en fin de compte à exclure les vieux et les
vieilles de leurs arbitrages politiques, budgétaires, et même
sociétaux », s’interroge-t-elle.
Vers une épidémie de suicides ?
Face à ce constat, les perspectives seraient très sombres : «
Que se passera-t-il lorsque la génération des boomeurs, plus
consciente et réactive sans doute que la génération de leurs
parents, arrivera dans quelques années dans les contrées fragiles
de la grande vieillesse ? La plupart disent aujourd’hui qu’ils ne
veulent pas terminer leur vie dans l’Ehpad tel qu’ils le
connaissent. S’ils n’ont pas les moyens de vieillir dans des
structures mieux adaptées, ou de rester chez eux, ils choisiront
pour beaucoup de mettre un terme à leur vie. C’est ce que j’entends
dans les groupes de seniors que j’anime, pour lesquels mourir dans
la dignité, c’est d’abord vieillir dans la dignité. Et si cette
dignité ne leur est pas possible – ce qui, je le rappelle, était un
des objectifs de la loi « grand âge » –, s’ils ont le sentiment de
peser sur leurs enfants et sur la société, s’ils se sentent de trop
sur cette terre, ils préféreront quitter ce monde de manière
anticipée. Ce sera leur dernier acte citoyen. La loi sur le droit
de mourir dans la dignité, si elle est votée un jour, et même si
elle est conçue pour les grands malades, pourra être alors aisément
détournée et offrir une réponse toute trouvée. Et nous qui avons
voulu éviter une hécatombe dans les Ehpad, pendant la crise
sanitaire, nous aurons alors une épidémie de suicides assistés.
L’inconscient âgiste aura eu le dernier mot »
conclut-elle.
Sa prophétie, si elle pourra être considérée comme
probablement trop catastrophiste (catastrophisme probablement
destiné à renforcer la force de la démonstration) fait écho à «
l’impensé » que constitue encore aujourd’hui le suicide des plus
âgés. « Impensé » qui était le sujet cet été d’un billet signé par
l’anthropologue Frédéric Balard (Université de Lorraine) dans The
Conversation.
Solidarité intergénérationnelle : les Français invités à
prendre leurs responsabilités !
Marie de Hennezel se désole également de constater que
l’abandon de la loi grand âge n’ait suscité que de « molles
réactions ». Cependant, sans s’exprimer de façon aussi frontale
qu’elle, beaucoup ont manifesté leur déception. La contestation de
Luc Carvounas, président de l’Union nationale des centres communaux
et intercommunaux d’action sociale (Unccas) a notamment été
remarquée. Au-delà du dépit ressenti face à l’abandon de la loi
Grand âge, le patron de l’Unccas n’a pu que déplorer le « cynisme »
du gouvernement. En effet, alors qu’était annoncée l’absence de loi
Grand âge, Brigitte Bourguignon, ministre délégué chargé de
l’autonomie signait dans le Monde une tribune exhortant à la
solidarité intergénérationnelle. Une façon d’inviter les Français à
prendre leurs responsabilités à défaut de pouvoir compter sur le
gouvernement pour le faire. Superbement bienveillant, le texte
insistait : « Alors que notre pays semble être sur la voie de la
reprise économique et d’un retour à une vie sociale de plus en plus
normale, il n’est pas possible de laisser des plaies béantes au
sein d’une nation. Moins visible que des conflits sociaux comme les
« gilets jaunes » ou des manifestations politiques traditionnelles,
cette ligne de front est pour autant extrêmement pernicieuse sur le
long terme, en particulier dans une société comme la France où le
contrat social repose sur une solidarité entre générations. Avec,
d’un côté, des établissements d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes (Ehpad) davantage ouverts sur l’extérieur, le
développement de solutions d’accompagnement à domicile et la lutte
contre l’isolement, de nouvelles vocations professionnelles dans le
métier du grand âge. Et, de l’autre côté, l’appui des anciens au
développement des plus jeunes, des investissements pour favoriser
les formations professionnelles dans le secteur de l’autonomie, des
lieux de vie communs pour des projets communs sportifs et
culturels. Ce sont autant de pistes de travail qu’il faut
développer pour souder ces populations. Il est parfois des réformes
politiques qui ne peuvent se faire qu’avec une véritable
transformation de la société. Le défi du lien entre générations est
de celles-là. Alors que ce 1er octobre est célébrée la Journée
internationale pour les personnes âgées et que la Semaine bleue
pour les retraités et personnes âgées entame le 4 octobre sa 70e
édition, nous mettons toutes nos forces en commun pour impulser un
profond changement et en appelons aux Français pour faire évoluer
leur regard mutuel entre générations » s’exaltait le texte. Ce
dernier n’a cependant pas forcément suscité l’élan escompté.
Ainsi, Luc Carnouvas s’est emporté : « On n’arrête pas le
cynisme. Juste après l’abandon de la loi grand âge, Brigitte
Bourguignon, ministre chargée de l’autonomie, co-signe une tribune
publiée par Le Monde ce vendredi 1er octobre 2021, intitulée « Pour
accompagner la relance et refaire société, il semble indispensable
de recréer un lien intergénérationnel ». N’y avait-il pas cadeau
plus approprié pour célébrer la journée internationale pour les
personnes âgées et les 70 ans de la semaine bleue ? L’UNCCAS y voit
une façon de se dédouaner à peu de frais de l’abandon de la loi
grand âge, qui devait être l’une des grandes réformes sociales du
quinquennat. Dans ce cadre, oser dire que : « il serait indécent de
laisser une partie de la population recluse en raison de son âge »
ou plus loin « il est parfois des réformes politiques qui ne
peuvent se faire qu’avec une véritable transformation de la
société. Le défi du lien entre générations en est de celles-là »
laisse au mieux perplexe, au pire terriblement amer. Nos ainés, et
avec eux les élus locaux et leurs CCAS qui s’investissent depuis de
très nombreuses années en faveur de la réussite de cette semaine
bleue de mobilisation nationale, méritaient mieux que cela »
a-t-il ainsi dénoncé dans un communiqué remarqué.
S’il ne s’agissait que du spectacle politico-médiatique habituel,
les choses n’auraient que peu d’importance. Mais ces turbulences
signent l’absence certaine de vision à long terme, alors que la
question du vieillissement de la population ne peut probablement
pas demeurer l’objet de mesures de rafistolage. A cet égard, son
absence totale dans les premiers débats de l’élection
présidentielle, à la différence de ce qui a pu être observé il y a
quelques semaines en Allemagne, ne peut que laisser songeur.
Pour tenter de nourrir cette réflexion éteinte, on pourra relire
:
Bien sur que ce faux humanisme "on ne peut pas laisser l'épidémie de Covid faire une hécatombe dans les EHPAD" dans une société civilisée comme la nôtre ne s'accompagne d'une vraie réflexion sur le vieillissement de la population. On préfère aborder le sujet par la réforme des retraites, l'immigration avec le fameux E. Zemmour et tous ces étrangers qui viennent repeupler le pays, la dette considérable supérieure au PIB, bref tout sauf quelles priorités pour le pays, quelle société nous voulons avec quels objectifs, comment réduire le train de vie de l'Etat et réorienter les dépenses vers des objectifs humanistes, comment permettre un maintien à domicile des personnes devenant dépendantes, comment concilier liberté et perte d'autonomie. Quel homme politique aimerait vivre dans un EHPAD aujourd'hui ? Alors pourquoi ne s'en préoccupent ils pas ?
Dr Pierre-André Coulon
Les infirmiers sont le maillons fort du grand âge !
Le 27 janvier 2022
Cela fait tellement d’années que le grand âge est devenu une manne financière pour certains que du coup le dossier traîne la patte et passe à la trappe.
Combien de signalements des personnels en EHPAD de familles muselées ou prises au piège du silence ( si on élève la voix vont-ils encore s’occuper de ma mère,grand père ect..?) Pour rappel lorsque les infirmiers libéraux pouvaient intervenir dans les structures, un œil extérieur veillait sur le glissement vers la maltraitance. Ils apportaient une expertise et une remise en question des pratiques et des glissements de prises en charge non appropriés. Rappelons que les contrôles de fonctionnement du domicile et des structures d’accueil du grand âge ne sont jamais des contrôles "surprise" toujours annoncé et d’une inutilité coûteuse.
Combien de suicide,de démission faudra-t-il encore pour que l’état et les actionnaires comprennent que l’on est passé en 15 ans de : Maison d’accueil pour personne âgées en Structures pour personnes totalement dépendantes et coûteuses ? Beaucoup de PA veulent rester chez eux à domicile avec une pression ingérable sur les familles et aidants qui tremblent à l’idée de devoir envoyer PA en structures, aggravé par le covid qui en plus allait empêcher de voir le PA et de lui tenir la main si ses derniers instants étaient là. Combien d’arrêt maladies des personnels du domicile et des structures sont remplacés ou renforcés lorsque cela est indispensable à la bonne prise en charge ? Qui c’est sourcillé des braves infirmiers libéraux qui en plus de leurs 12 h par jours ont dû aller en renfort en structures ou paliers à l’absence des aides ménagères auxiliaires de vie et familles en période covid ou autres maladie ?
Bien sûr toutes les structures ne sont pas à mettre dans le même panier mais n’oublions jamais que les professionnels libéraux ont l’œil pour analyser signaler compléter les problématiques du grand âge, les infirmiers et leurs bas coût d’intervention ne doivent plus être la roue de secours d’une Maltraitance de ces grands âges ou dépendants car demain cela sera vous ou moi de l’autre côté de la vitre, enfermé dans un système national qui privilégie l’argent des actionnaires d’un côté et l’aveuglement de l’autre en remettant toujours à plus tard ce grand problème de société. Les infirmiers sont le maillons fort du grand âge ! Il en faut assez en structures par PA en les payant correctement. Il en faut en ville avec là aussi des rémunérations correctes pour éviter les burn-out qui n’arrêtent pas d’augmenter à 13h/js 7/7 on ne tiendra pas longtemps.