
Une meilleure couverture vaccinale en France
La situation française cependant est (mais jusqu’à quand ?)
différente de celle qui s’observe en Autriche. Le taux d’incidence
est en effet cinq fois inférieur en France, bien qu’il ait de
nouveau dépassé les 100 cas pour 100 000 (même si cet indicateur
est très imparfait et plus encore aujourd’hui alors que les tests
sont devenus payants pour beaucoup et que les dépistages sont
limités dans la population vaccinée où le virus circule pourtant).
Par ailleurs, la couverture vaccinale française est également plus
élevée, atteignant 75 %, contre 65 % en Autriche. Or, cette
couverture vaccinale offre une protection réelle comme l’a mis en
évidence la situation cet été et encore aujourd’hui. Le professeur
Gilles Pialoux faisait ainsi remarquer sur BFM-TV : « Quand on
dit ‘il y a eu 42 % d’augmentation de l’incidence entre le
1er et 7 novembre, l’augmentation de
l’hospitalisation était de 8 % et l’entrée en réanimation de 10 %,
ce qui veut dire qu’il y a un écart entre la courbe de
l'augmentation des nouveaux cas et la courbe de l’entrée dans
l’hôpital. Cet écart est expliqué par l’effet de la vaccination
».
Un petit pic, mais suffisant pour encore exténuer l’hôpital ?
Pour autant, certains éléments restent inquiétants. Ainsi, plus
de 508 000 personnes âgées de 60 à 69 ans et plus de 470 000 de
plus de 80 ans (alors que la couverture est quasiment totale pour
les 70/79 ans) ne sont pas encore vaccinées contre la Covid. Par
ailleurs, quel que soit leur âge, jusqu’à 2 millions de personnes
souffrant de comorbidités n’ont reçu aucune dose de vaccin, tel 15
% des personnes atteintes d’obésité. Or, pour le médecin de santé
publique Martin Blachier, même restreinte, cette part de sujets non
vaccinés pourrait conduire à atteindre les 3 000 patients en
réanimation. Si ce chiffre est très inférieur à de précédents pics,
compte tenu des difficultés encore accrues de l’hôpital, il
représente un défi. « Si cette population arrive dans un temps
très court à l'hôpital, alors qu'il est déjà en grande difficulté,
ça va mettre une difficulté supplémentaire » note ainsi Martin
Blachier.
Une décision qui fait sens médicalement
Dès lors, pour protéger ces sujets non vaccinés de formes graves (alors qu’ils risquent entre autres de se contaminer au contact des personnes vaccinées chez lesquelles le virus circule également, même si c’est de façon moindre), faut-il les confiner ? Faut-il prendre cette mesure extrême qui outre une atteinte aux libertés ajoute une discrimination certaine (qui jusqu’alors avait toujours été refusée) pour convaincre les derniers réticents (si cela est possible) ? Les spécialistes qui s’expriment depuis le début de l’épidémie sont divisés. Plusieurs, dont les professeurs Gilles Pialoux, Gilbert Deray ou encore Catherine Hill n’ont pas caché leur adhésion à une solution de ce type. « D’un point de vue médical, ça a un sens » a ainsi estimé le premier qui a rappelé : « Le remplissage des services hospitaliers, le remplissage des réanimations et puis les décès sont très essentiellement dus aux non vaccinés. Sur les huit lits que j’ai, j'ai sept non-vaccinés ». Néanmoins, Catherine Hill a considéré que tous les moyens n’avaient pas été déployés pour permettre la vaccination de certaines personnes vulnérables, notamment les sujets âgés isolés. Le professeur Yves Buisson (Académie de médecine) juge également que la proposition, aussi dérangeante puisse-t-elle paraître, doit être examinée. « C'est une mesure forte qui pourrait donner à réfléchir. On peut la critiquer, mais elle a l'avantage de cibler ceux qui doivent être ciblés : les personnes non-vaccinées. Nous, nous avons eu un discours présidentiel qui ciblait les personnes déjà vaccinées pour qu'elles fassent leur injection de rappel », note-t-il.Rupture démocratique
L’idée cependant ne fait pas l’unanimité. D’abord, certains font remarquer qu’il ne faut pas se donner pour objectif, sans doute vain, d’empêcher la propagation du virus, notamment parce que la circulation existe aussi chez les vaccinés. C’est ce que rappelle régulièrement le Dr Martin Blachier, qui estime que les non vaccinés sont loin d’être les seuls responsables de la cinquième vague actuelle. D’autres, comme le Pr Djillali Annane, chef du service de réanimation à l'Hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine) et président du Syndicat des Médecins Réanimateurs (SMR) font valoir que la situation française est très différente du cas autrichien.Surtout, plusieurs s’inquiètent des dérives démocratiques d’une
telle disposition. Philippe Amouyel, professeur de santé publique
au CHU de Lille, est catégorique dans le Parisien : « Cette
décision est stigmatisante, elle crée un clivage social. Ce n’est
pas la bonne solution ». Pierre Parneix, médecin hygiéniste au
CHU de Bordeaux, abonde en notant que les Français sont souvent
très hostiles aux mesures qui entraînent une rupture d’égalité. Il
s’interroge en outre sur son efficacité face aux plus réticents à
la vaccination. Surtout, lui, comme d’autres, dont le Pr Antoine
Flahault relève que la différence avec les choix faits par la
France sont minimes. « La France a déjà, dans une certaine
mesure, confiné les non-vaccinés puisque l'on ferme les bars, les
cinémas, les salles de sport et les transports publics (longue
distance ndlr) à ceux qui ne détiennent pas le pass » remarque
dans la Dépêche le directeur de l'Institut de santé globale de
Genève. D’ailleurs, notent plusieurs observateurs, le
déremboursement des tests tend à faire évoluer le passe sanitaire
vers un passe vaccinal.
Le confinement non, mais le passe vaccinal pourquoi pas ?
Cependant, un tel dispositif semble plus facilement susciter l’adhésion que l’idée d’un confinement des non vaccinés. La principale différence est sans doute symbolique, même si les mesures autrichiennes vont un peu plus loin que ce qui pourrait être le passe vaccinal à la française (s’il avait le même champ d’application que le passe sanitaire). En effet, en Autriche, l’accès aux magasins non essentiels est interdit aux non vaccinés et le télétravail obligatoire quand cela est possible. Ainsi, peut-être en raison de ces différences minimes, le passe vaccinal est plus facilement envisagé. Le Dr Martin Blachier par exemple considère qu’il pourrait s’imposer aux personnes vulnérables (ce qui susciterait quelques problèmes techniques et juridiques en ce qui concerne les sujets souffrant de comorbidités) et l’Académie de médecine y est clairement favorable. « Avec l'Académie de médecine, nous recommandons d'être beaucoup plus incitatifs avec un pass vaccinal. La solution autrichienne, c'est finalement un pass vaccinal avec un champ extrêmement large » plaide ainsi le professeur Yves Buisson.Le contrôle social a encore de beaux jours devant lui
Difficile de prédire si le gouvernement pourrait s’orienter vers une telle mesure, tant les revirements ministériels et présidentiels ont été réguliers depuis le début de l’épidémie. Pour l’heure aujourd’hui on préfère insister sur l’importance d’une extrême vigilance en raison des signaux d’alerte qui se multiplient, tout en repoussant l’idée d’un quelconque confinement. Une source scientifique proche du gouvernement confie au Figaro la volonté de ce dernier d’éviter les dispositions qui pourraient encore aggraver les dissensions entre les Français, qui pourraient « jeter de l’huile sur le feu ».En tout état de cause, si un confinement des non vaccinés ou un passe vaccinal étaient adoptés, cela ne pourrait que conforter ceux qui jugent que le refus de décréter la vaccination obligatoire relève d’une certaine forme d’hypocrisie. Ces mesures accroîtront également les mises en garde vis-à-vis de la progression du contrôle social. A propos de cette tendance, la CNIL jugeait clairement il y a quelques mois à propos du passe sanitaire : « La mise en place d'un contrôle sanitaire à l'entrée de certains lieux ou moyens de transport questionne la frontière entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et ce qui relève du contrôle social. En principe, il ne doit pas y avoir de contrôle de l'état de santé à l'entrée de lieux de vie collective. »
Aurélie Haroche