
Paris, le mercredi 26 janvier 2022 – Le gouvernement a
introduit et fait voter dans le projet de loi instituant le passe
vaccinal un article qui traite de l’isolement et de la contention
en psychiatrie.
18 mois chez Ubu roi
Rappelez-vous, le 19 juin 2020, saisie d’une question
prioritaire de constitutionnalité (QPC), l’institution présidée par
Laurent Fabius censurait la loi de 2016 encadrant les mesures
d’isolement et de contention, considérées comment constitutives «
d’une privation de liberté » et qui ne pouvaient donc se
passer du contrôle du juge judiciaire.
Les ministères de la santé et de la justice avaient ensuite
fait voter, dans la loi du 14 décembre 2020, un nouveau dispositif
permettant aux médecins de renouveler ces mesures « à titre
exceptionnel » au-delà de la limite légale de quarante-huit
heures pour un isolement et de vingt-quatre heures pour une
contention, à la condition que le médecin informe « sans délai
le juge des libertés et de la détention [JLD], qui peut se saisir
d’office ». Mais le texte a fait l’objet d’une nouvelle QPC et
d’une nouvelle censure le 4 juin 2021 ! Selon cette décision, cette
information n’empêchait en rien de renouveler indéfiniment des
mesures sans réel contrôle par le juge. L’institution a alors
reporté au 31 décembre l’effet de cette censure, le temps pour le
législateur d’établir un nouveau texte.
Un minutieux équilibre
Cette fois-ci le Conseil a validé l’article (bien qu’une même
critique aurait été possible !), permettant à la nouvelle loi
d’être enfin proclamée.
Elle reprend les durées limites des mesures d'isolement (12
heures) et de contention (6 heures), définies par la Haute Autorité
de santé (HAS), ainsi que la possibilité pour le médecin de les
renouveler respectivement jusqu'à 48 et 24 heures. Dans ce cas, le
directeur d'établissement doit informer sans délai le Juge des
libertés et de la détention (JLD), le médecin et les proches du
patient.
Outre ce devoir d’information, le nouveau texte prévoit la
saisine obligatoire du juge, de la part du directeur de
l'établissement, avant l'expiration de la
72e heure d’isolement ou de la 48e heure de
contention. Le JLD a alors 24 heures pour rendre son avis
(mainlevée ou maintien).
La nouvelle mouture simplifie enfin le rythme des évaluations
lors du renouvellement des mesures, en prévoyant deux évaluations
par vingt-quatre heures pour les mesures d’isolement et deux
évaluations par douze heures pour les mesures de
contention.
Le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux parle ainsi
désormais, dans un communiqué, « d’une version définitive,
équilibrée, (…) qui a fait l’objet d’une minutieuse
concertation ».
Droits de l’homme en psychiatrie : la question reste posée
En avril 2021, alors que nous étions sous l’emprise d’une
réforme proche (celle du 14 décembre 2020 qui n’avait pas été
encore censurée), l’UNAFAM dénonçait une nouvelle fois, rapport à
l’appui, les « graves violations des droits de l’homme »
qu’engendrent les soins sans consentement.
Elle se basait sur les rapports des Commissions
Départementales des Soins Psychiatriques (CDSP) de 2017,2018 et
2019, soit les années qui ont suivi la loi de santé de 2016 qui
prévoyait (déjà !) de réduire les pratiques d’isolement et de
contention.
Quatre de ces commissions dénonçaient aussi des «
certificats médicaux (…) ne décrivant pas comme il est
exigé les motifs de recours à ces procédures exceptionnelles
(…). La tendance à établir des certificats médicaux vides de sens
est observée de façon plus générale dans l’ensemble des étapes du
parcours du patient en soins sans consentement : des certificats
médicaux identiques produits par copier-coller chaque mois sont
signalés par au moins huit commissions ».
L’UNAFAM pointait également la mauvaise tenue des registres
institués pour assurer le contrôle de ces
prescriptions.
De nombreuses Commissions déploraient également que les
chambres d’isolement soient le plus souvent vétustes et dangereuses
pour leurs occupants. « Huit commissions (soit une sur cinq)
s’indignent de « la vétusté et l’inadaptation de certaines chambres
d’isolement (seau comme toilettes), des sanitaires hors d’âge, des
portes avec serrures moyenâgeuses » (au centre hospitalier de
Bézier). La commission du Val de Marne relève en outre l’existence
de chambres d’isolement [qui] ne disposent pas de fenêtres et sont
des pièces totalement aveugles (au CHI Villeneuve St Georges). La
même proportion de commissions alerte sur les conditions de
sécurité, en particulier l’absence de sonnette d’appel (pourtant
obligatoire) dans ces chambres. Deux CDSP s’inquiètent en outre
d’un risque de suicide du fait d’installations électriques
accessibles » rapportait l’UNAFAM.
L’association signalait enfin les brimades du quotidien dont
font l’objet certains malades mentaux : « interdictions de
téléphoner, de recevoir ses proches, d’accéder à des activités et
espaces de détente, d’utiliser ses propres habits
».
Les services au bord de la crise de nerfs ?
Du côté des psychiatres rappelons-nous des propos du Dr Gilles Martinez (chef de pôle au GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences), recueillis par le JIM, qui expliquait : « Ce texte va avoir des conséquences logistiques et organisationnelles considérables. Les médecins vont passer leur temps à faire des certificats (ce qui est déjà le cas !), les infirmiers vont passer leur temps à faire imprimer et signer des notifications aux patients et les secrétaires vont passer leur temps à envoyer des documents aux proches et au JLD ».Gageons qu’avec ce texte aussi, les nerfs des soignants seront mis à rude épreuve, d’autant que la crise de la psychiatrie, éclipsée par la pandémie, reste des plus vives.
*UNAFAM : Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques
Emmanuel Haussy