La France va (enfin) expérimenter le dépistage organisé du cancer du poumon

Paris, le mercredi 2 février 2022 – Après des années d’incompréhension, pendant lesquelles sociétés savantes et presse médicale (dont le JIM) réclamaient la mise en place d’un dépistage organisé du cancer du poumon, la lourde machinerie de la HAS (Haute autorité de santé) a enfin fait le pas nécessaire pour jeter les bases de son expérimentation en France.

En effet, depuis l’essai Nelson qui mettait en évidence, dès 2011, une réduction de la mortalité liée au cancer du poumon grâce à un dépistage systématique et régulier par scanner thoracique faible dose chez les fumeurs, l’enthousiasme était de mise chez une part non négligeable des oncologues, pneumologues et radiologues. Ainsi, beaucoup militaient en faveur d’un programme organisé.

Mais, ils avaient essuyé une fin de non-recevoir de la HAS, en 2016, qui concluait que les conditions de qualité, d’efficacité et de sécurité n’étaient pas réunies.

Hier, dans un avis qualifié « d’historique » par certains spécialistes correspondants du JIM, elle a actualisé sa position et recommandé « l'engagement d’un programme pilote visant à documenter les prérequis à la mise en place d’un dépistage organisé ».

Les raisons d’un revirement

Pour expliquer ce changement de position, la HAS souligne avoir passé au crible des « revues systématiques, avec ou sans méta-analyse, incluant les essais cliniques comparatifs internationaux disponibles et évaluant l’efficacité d’un dépistage du cancer broncho-pulmonaire par scanner thoracique faible dose sur une population ayant un risque élevé de ce cancer ». Elle a conclu de cette analyse minutieuse que « le dépistage du cancer broncho-pulmonaire par tomodensitométrie à faible dose chez les personnes ayant un risque augmenté de ce cancer réduit la mortalité spécifique de celui-ci » et qu’avec la mise en place d’un dépistage systématique chez les populations « fortement exposées au tabac, on pourrait observer une diminution significative de la mortalité spécifique de ce cancer, de l’ordre de 5 vies sauvées pour 1000 personnes dépistées (en fonction des modalités de dépistage) ».

La question de la mortalité globale évacuée

Concernant la question de la mortalité globale, à propos de laquelle l’effet du dépistage organisé reste discuté, la HAS se range du côté des sociétés savantes et précise qu’en tout état de cause « ce critère manque de pertinence étant donné l’interférence des comorbidités liées au tabac et de l’âge qui augmentent la mortalité ».

Un point que ne partagera sans doute pas l’Académie de médecine qui au début de l’année dernière s’opposait au dispositif en particulier parce que la baisse de la mortalité par cancer ne présage pas d’une baisse de la mortalité globale.

La HAS soulève également l’épineuse question des faux positifs pouvant générer une anxiété, des examens complémentaires, des traitements et des risques accrus de complication. Il « a ainsi été rapporté par les auteurs des études analysées le fait qu’entre 0,1 % et 1,5 % des personnes incluses ont reçu un bilan diagnostique invasif en raison d’un résultat faux positif lors du dépistage et des taux de complications mineures à graves faisant suite aux examens complémentaires de 0,1 % à 1,3 %. Ces données sont à confirmer par des études complémentaires selon des modalités de dépistage en adéquation avec le système de soins français » détaille la HAS.

Y’a-t-il un avion pour le pilote ?

Quoi qu’il en soit de ces réserves et s’appuyant sur des résultats qu’elles jugent aujourd’hui encourageants (alors qu’ils sont les mêmes qu’en 2016 !), la HAS préconise que l’INCA engage un programme pilote « en vue d’obtenir les réponses encore manquantes et indispensables à la mise en place d’un programme de dépistage organisé efficace et sûr ».

Mais ne nous enthousiasmons pas trop vite. Les contours de cette expérimentation pilote restent flous et avant sa mise en place, la HAS demande à l’INCA de définir la population cible et la procédure de dépistage…Une étape qui pourrait prendre au moins quelques mois.

Les plus impatients rétorqueront qu’il suffirait de se référer aux études pour décider, par exemple, d’un dépistage chez les fumeurs et anciens fumeurs de 50-74 ans (avec un tabagisme supérieur ou égal à 15 paquets années) à un rythme annuel puis bisannuel après deux scanners négatifs comme le proposait, dès 2018, au JIM, le Pr Gerard Zalcmann (Oncologie thoracique, Hôpital Bichat, Paris).

Une fois en place, l’analyse des données recueillies par le programme pilote devraient permettre de répondre aux (nombreuses) questions que se pose encore la HAS : « est-ce qu’une meilleure prise en charge thérapeutique précoce et efficace des cancers du poumon permettrait une augmentation de la qualité de vie du malade (sic), une diminution de la charge financière de cette maladie, tout en associant des actions de lutte contre le tabagisme ? Comment prendre en compte les risques liés à la répétition des examens de dépistage, à un surdiagnostic ou à un surtraitement ? Comment prendre en compte les disparités possibles entre machines de scanner ? Quelle est l’acceptabilité de ces programmes de dépistage : par la population cible ? Quel est son impact sur le sevrage tabagique ? Quel sera son impact budgétaire ? Sera-t-il contrebalancé par la diminution de la létalité de la maladie ? Quel est le rapport coût-efficacité du dépistage ? ». Autant de questions qui sont loin de concerner uniquement le cancer du poumon, tandis que les plus vigoureux défenseurs de ce dépistage souligneront que les études et les programmes déjà en place à l’étranger y ont déjà largement répondu…

De La Rochefoucauld à nos jours, c’est bien « une grande folie que de vouloir être sage tout seul ».

F.H.

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Vos réactions (1)

  • Bonnes questions

    Le 06 février 2022

    Les questions que se pose la HAS sont pertinentes. Alors, pourquoi ne se les pose-t-elle pas à propos du dépistage systématique du cancer du sein? ( Ciblage des personnes à risque, faux positifs, sur diagnostic, traitements inutiles, coût pour la société...).

    Daniel Riou

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