
Paris, le lundi 22 mars 2022 – Le Pr Amyne Benyamina a rendu jeudi dernier son rapport sur la pratique du chemsex en France.
Tiré de l’anglais « chemicals », le chemsex désigne le fait de consommer de la drogue afin de faciliter, de prolonger ou d’améliorer ses relations sexuelles. Si le fait de prendre des substances psychoactives avant un rapport sexuel remonte sans doute à la nuit des temps, la pratique du chemsex a semble-t-il pris son essor durant les années 2000 à la faveur de deux phénomènes : l’apparition des applications de rencontre d’une part (qui favorisent les « aventures d’un soir ») et la disponibilité croissante des drogues de synthèse comme les cathinones (dérivé du khat). Si on entend régulièrement les médecins ou les associations s’inquiéter de l’essor de cette pratique (notamment depuis le confinement), aucun travail exhaustif sur le sujet n’avait été mené jusqu’ici.
Le chemsex, une pratique née dans la communauté gay
C’est désormais chose faite, puisque le Pr Amyne Benyamina, chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse de Villejuif et président de la Fédération française d’addictologie, a rendu ce jeudi un rapport sur la question (commandé par le ministère de la Santé en octobre dernier). Le premier objectif de ce rapport, qui repose sur les nombreuses études menés sur le sujet à travers le monde, est de quantifier et de cerner le phénomène.
A ce titre, le Pr Benyamina rappelle ce qui avait déjà été observé par la plupart des acteurs de terrain : « le phénomène Chemsex semble encore largement centré sur les populations HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes »). En novembre dernier, l’étude « Sea, Sex and Chems » estimait qu’environ 75 % des « chemsexeurs » étaient des HSH. Mais si cette pratique est née dans la communauté gay, elle tend à essaimer chez d’autres populations. Le rapport constate qu’il est difficile de quantifier précisément le nombre d’adeptes du chemsex, notamment parce qu’il n’existe pas de définition exacte de cette pratique. Il estime au final qu’environ 20 % des homosexuels masculins pratiquent occasionnellement le chemsex, soit entre 100 000 et 200 000 personnes.
S’agissant des drogues utilisées, le Pr Benyamina note que les produits caractéristiques du chemsex sont le GHB/GBL et les cathinones, des molécules de synthèse généralement produites dans des laboratoires clandestins d’Inde ou de Chine et qui portent des noms barbares comme le 4-methylmethcathinone (4-MMC). Mais des produits plus « classiques » sont également utilisés par les chemsexeurs comme la cocaïne ou la kétamine.
Multiplier les politiques de « aller vers » et de réduction des risques
Le rapport du Pr Benyamina s’intéresse enfin aux conséquences sanitaires du chemsex. Selon une étude menée par le centre d’addictologie de Paris, 24 personnes sont décédées d’une overdose liée au chemsex entre 2008 et 2017. Sur les 235 cas de chemsex analysés par l’étude, les principales complications rapportées sont les troubles de l’usage (63 %), les troubles neurologiques (50 %) et les manifestations cardiovasculaires (50 %). On dénombre également 22 cas de coma (généralement lié la consommation de GBL) et 1 cas de contamination au VIH. La séropositivité semble être à la fois une conséquence et un facteur du risque du chemsex, de nombreux adeptes de cette pratique étant déjà contaminés. Les chemsexeurs sont également plus à risque de présenter des troubles psychiatriques que les autres homosexuels masculins.
Le rapport se conclut sur les actions à mettre en place pour mieux repérer les adeptes de chemsex afin d’améliorer leur prise en charge. Le Pr Benyamina préconise une politique de « aller vers », passant notamment par les associations de toxicomanes ou d’homosexuels, consistant à multiplier les discours sur la réduction des risques. Dans ce cadre, le projet Accompagnement en Réseau Pluridisciplinaire Amélioré (ARPA), porté par les associations Aides et Fédération Addiction, vise à « expérimenter et améliorer l’offre pluridisciplinaire de réduction des risques » via « l’auto support », c’est-à-dire des « démarches de santé engagées par les usagers eux-mêmes ».
Enfin, conscient que son rapport ne répond pas à toutes les questions qui entourent le chemsex, le Pr Benyamina estime nécessaire de mettre en place une « stratégie de suivi de cette pratique » via notamment la mise en place d’une cohorte nationale de chemsexeurs.
Nicolas Barbet