Les soignants se mobilisent pour sauver un hôpital en crise

Paris, le mardi 7 juin 2022 – Les soignants sont appelés à manifester pour alerter sur la crise des urgences. Dans le viseur des critiques, la mission « flash » lancée par le Président de la République.

Entre l’hôpital public et le gouvernement, la rupture semble (déjà) consommée. Ce mardi, à l’appel de neuf syndicats hospitaliers, ce sont sans doute des milliers de soignants qui vont manifester dans plus de 50 villes de France pour alerter l’exécutif et la population sur la crise que traverse l’hôpital public et en particulier les services des urgences. A Paris, les manifestants défileront devant le ministère de la Santé à partir de 13h30.

60 % des infirmiers sont insatisfaits au travail

Les données du problème sont connues : 120 services d’urgence en France connaissent des difficultés dans l’accueil des patients selon l’association SAMU-Urgences de France et certains, comme celui du CHU de Bordeaux, sont contraints d’offrir un service « dégradé » et de ne plus accueillir tous les patients. Le manque de soignants et de lits ainsi que les lourdeurs administratives découragent les personnels hospitaliers qui sont nombreux à jeter l’éponge et à partir dans le privé, aggravant encore l’épuisement de ceux qui restent, dans un cercle vicieux qui semble difficile à stopper.

Selon un sondage paru la semaine dernière, 73 % des professionnels de santé estiment que leur métier n’est pas reconnu à leur juste valeur et 50 % d’entre eux sont insatisfaits au travail (un chiffre qui monte à 60 % chez les infirmiers).

L’intersyndicale à l’origine de l’appel à manifester craint un été particulièrement cauchemardesque et une possible saturation des urgences. « Il va y avoir des morts » alerte un tract diffusé sur les réseaux sociaux. Les syndicats dénoncent l’attitude des précédents gouvernements qui n’ont pas, selon eux, entendu leurs nombreux messages d’alerte depuis trois ans et n’auraient eu comme seul horizon que la baisse des dépenses publiques.

Leurs revendications sont bien connues : recrutement de soignants, augmentation des salaires et plus globalement la garantie d’ « une prise en charge optimale en termes de qualité et de sécurité des soins pour tous partout ».

Les pistes de réflexion du Dr Braun

Surtout, les syndicats insistent sur la nécessité de prendre des mesures immédiatement, sans attendre les conclusions de la « mission flash » sur les urgences que le Président de la République Emmanuel Macron a confiée au Dr François Braun, chef du service des urgences du CHU de Metz. Une mission qui doit aboutir à des premières décisions « dès juillet » a promis le chef de l’Etat mais qui n’est du goût de tout le monde. « On s’attend à un mois de juillet particulièrement difficile et un mois d’août horrible et cette mission flash, c’est un peu une insulte pour nous » estime le Pierre Schwob-Tellier, infirmier et membre du collectif Inter Urgences.

Les premières pistes de réflexion du Dr Braun sont déjà connus, puisqu’il les a lui-même révélées dans une lettre ouverte à la ministre de la santé Brigitte Bourguignon publiée sur le site de l’association Samu-Urgences de France. Certaines mesures sont assez attendues comme le recrutement de nouveaux personnels ou la revalorisation des gardes et des heures supplémentaires.

D’autres sont bien plus polémiques, comme le fait « d’imposer une régulation médicale préalable à toute entrée aux urgences, au moins la nuit ». Une solution « injouable » pour le Dr Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France (AMUF) qui prédit une saturation du 15 et craint une perte de chance pour les patients.

L’intérim, un problème difficile à résoudre

L’autre dossier épineux auquel Brigitte Bourguignon et le Dr Braun devront s’attaquer est celui de l’intérim. Si le recours aux intérimaires est devenu parfois vital pour certains hôpitaux afin d’assurer la continuité des soins, il grève les budgets des établissements de santé et affecte l’organisation des services et la cohésion des équipes.

L’intérim a le vent en poupe, notamment aux urgences et le phénomène touche désormais également les infirmiers. Non seulement les intérimaires touchent plus que les titulaires (jusqu’à 3 fois plus) mais leur statut est finalement plus enviable que celui des fonctionnaires, puisqu’un intérimaire peut généralement choisir ses horaires et ses jours de travail, là où un titulaire se les voit imposer et peut parfois devoir régulièrement changer de poste. « Il n’y a plus de plus-value à être fonctionnaire hospitalier » résume Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI).

Si le nombre de médecins intérimaires avait été évalué à 6 000 dans un rapport parlementaire de 2013 (rédigé par un certain Olivier Véran), leur nombre est désormais estimé à 10 000. Pour Frédéric Valletoux, président de la Fédération Hospitalière de France (FHF), « l’intérim est un cancer pour l’hôpital puisque cela déstabilise à la fois financièrement et dans les organisations ».

Un décret de 2017 était venu limiter la rémunération des intérimaires à 1 170 euros brut (environ 950 euros net) pour une garde de 24 heures mais de nombreux hôpitaux n’avaient pas pu respecter cette règle, ne pouvant pas se passer d’intérimaires. Adoptée le 14 avril 2021, la loi RIST avait créé un dispositif permettant au comptable public de rejeter tout paiement supérieur au montant légal.

Mais alors que la mesure devait entrer en vigueur en octobre, le ministère de la Santé l’a finalement abandonnée, promettant qu’elle deviendrait effective « dès que possible en 2022 » sans plus de précision. On touche ici le cœur du problème de l’intérim, pratique à la fois très critiquable mais nécessaire pour faire tenir l’hôpital public.

Quentin Haroche

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