La pédopsychiatrie impuissante face à la jeunesse en détresse

Nantes, le jeudi 18 août 2022 – Depuis le début de la crise sanitaire, les services de pédopsychiatrie sont submergés par un nombre toujours plus important d’adolescents en détresse psychologique voire suicidaires.

Pendant deux ans, les Français ont vécu dans la crainte d’une saturation des services de réanimation par les patients Covid-19. Mais alors que le paroxysme de la crise sanitaire semble derrière nous, ce sont désormais les services de pédopsychiatrie qui sont submergés, dans une certaine indifférence.

Depuis le deuxième confinement fin 2020, les pédopsychiatres observent en effet une très forte augmentation du nombre d’enfants et adolescents souffrant de troubles dépressifs et qui commettent des tentatives de suicide et la fin des contraintes sanitaires n’a pas fait refluer la vague.

Selon un bilan établi par Santé Publique France en avril dernier, « les passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur se maintiennent à des niveaux élevés » au premier trimestre 2022, « comparables voire supérieurs à ceux observés début 2021 ».

Les jeunes filles sont bien plus touchées que les jeunes garçons par cette vague de dépression, avec cinq filles pour un garçon parmi les patients hospitalisés. Tous âges confondus, les passages aux urgences pour gestes suicidaires ont augmenté de 27 % au premier trimestre 2022.

Manque cruel de lits en Loire-Atlantique

Cette augmentation d’enfants et d’adolescents en grande détresse psychologique a heurté de plein fouet une pédopsychiatrie déjà en grande difficulté avant l’épidémie. Les soignants et les lits manquent pour accueillir cet afflux nouveau de patients.

La situation est particulièrement difficile dans la région nantaise. Le département de Loire-Atlantique ne compte en effet que 6,9 lits de pédopsychiatrie pour 100 000 habitants, contre 16,5 à l’échelle nationale.

Au CHU de Nantes, 900 mineurs de moins de 16 ans sont passés par les urgences pédiatriques pour des troubles psychiatriques en 2021 et 430 ont été hospitalisés, contre seulement 250 avant la pandémie de Covid-19. « On aurait dû en hospitaliser davantage, mais on n’avait aucune solution » constate amèrement le Dr Laurence Dreno, chef de l’unité de pédopsychiatrie du CHU, citée par Le Monde.

« Avant on faisait du soin, on voyait les patients, on les prenait en charge, désormais on fait du tri ».

Les centres médico-psychologiques (CMP) sont également débordés, avec des délais de prise en charge qui peuvent aller jusqu’à 6 mois. « Ces structures enregistrent quinze demandes par semaine au bas mot quand, auparavant, elles assuraient quinze consultations par mois » explique le Dr Dreno.

Régulièrement, certains mineurs sont renvoyés chez eux sans prise en charge ou envoyés dans des services de pédiatrie générale ou de psychiatrie adulte où la prise en charge est inadaptée. Plus de 250 mineurs de moins de 16 ans ont ainsi été admis dans un service de psychiatrie adulte à Nantes en 2021.

Crise sanitaire, changement climatique et trouble identitaire

Les professionnels constatent un rajeunissement des patients, avec de plus en plus d’enfants de 12 ans et moins hospitalisés. Outre la crise sanitaire, la détresse de la jeunesse est accentuée par l’angoisse du changement climatique et par « une souffrance morbide s’accentuant autour des questionnements identitaires sur la sexualité et le genre » explique le Dr Vincent Delaunay, chef du pôle de psychiatrie au CHU de Nantes.

Les appels à l’aide répétés de la psychiatrie nantaise commencent à être entendus. Depuis 2018, la région Pays de la Loire bénéficie d’une dotation annuelle de 18 millions d’euros pour rattraper son retard en nombre de lits.

Des dizaines de lits de pédopsychiatrie devraient ouvrir dans ces cinq prochaines années tandis qu’un hôpital de jour « postcrise » comptant 15 places devraient voir le jour dans la banlieue de Nantes en 2023. Mais pour les praticiens sur place, c’est surtout vis-à-vis du manque de personnel qu’il est important d’agir.

« La volonté de financer est là, mais ce qui manque désormais ce sont les bras » explique le Dr Delaunay. « Ce qui est désolant, c’est d’avoir attendu d’être face à la catastrophe pour réagir enfin ».

Quentin Haroche

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Vos réactions (1)

  • Peut-être encore moins bien ailleurs

    Le 21 août 2022

    Dans le Gard ce n'est pas mieux, et possiblement moins bien (je n'ai pas les chiffres).
    En effet, pour les trois secteurs de pédopsychiatrie il n'y a qu'une dizaine de lit "temps plein" pour les ados, et deux hopitaux de jours, dont un fait du 6 à 16ans (en alternance enfants/ados). Un des secteurs n'a plus de pédopsychiatre, un autre commence seulement à en retrouver, mais au détriment du troisième qui se vide.
    Le constat sur le manque "de bras' tient également un peu partout, notamment en ce qui concerne ceux qui sont formés, ou plutôt ceux avec de l'expérience, car la formation IDE psy à disparue il y a 30 ans maintenant...
    Je suis par contre un peu dubitatif sur les délais d'attente en CMPEA : ici nous sommes plus proche de un an, voir 18 mois, et pour avoir travaillé dans les Alpes Maritimes, c'était pareil là-bas.

    Dr Jean Matteacci-Allo

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