Négociations conventionnelles : le gouvernement plante le décor

Paris, le lundi 31 octobre 2022 – Pour la onzième fois depuis 1971, le gouvernement sonne l’ouverture des négociations conventionnelles entre les syndicats de médecins libéraux et l’Assurance maladie en transmettant à la direction de cette dernière sa lettre de cadrage.
Signée par François Braun, ministre de la santé et Agnès Firmin Le Bodo, ministre délégué chargé de l'organisation territoriale et des professions de santé, cette missive de cinq pages fixe quatre axes de discussion aux conventionnels (à qui on espère un destin plus heureux que ceux de 1792…).

Cette négociation, qui doit aboutir à une nouvelle convention pour 5 ans, s’ouvre alors que les travaux du Conseil national de la refondation (CNR) en santé ont été lancés le 3 octobre.

Il discutera « des sujets identifiés comme prioritaires dans ce cadre (objectif de 10 000 assistants médicaux d’ici 2025, accès à un médecin généraliste traitant pour tous, en particulier les personnes fragiles et en affection longue durée, développement de l’exercice coordonné et de la coopération interprofessionnelle, responsabilité collective pour garantir la continuité des soins en tout point du territoire, accompagnement des médecins proches de la retraite pour favoriser leur maintien en activité…) ». Face à un tel programme, certains dénoncent un court-circuitage des négociations.

Les 4 axes de discussions des négociations conventionnelles seront pour leur part l’accès aux soins, le temps médical (avec le développement des sacro-saints assistants médicaux), la prévention et le numérique en santé.

Au vu de la lettre de cadrage c’est sans nul doute l’amélioration de l’accès aux soins qui sera au centre des discussions.

Vers le médecin chef d’orchestre


Durant cette négociation, le gouvernement et la caisse tenteront de promouvoir leur vision du médecin chef d’orchestre : un praticien qui délègue et anime des équipes coordonnées.

Pour le gouvernement, le développement de la « collaboration » doit ainsi « être un axe fort de cette négociation avec l'enjeu de définir de nouvelles répartitions des compétences, un renforcement des protocoles de coopération formalisés ». Pour favoriser cet exercice coordonné, les médecins volontaires pourront être récompensés avec « une rémunération forfaitaire partiellement substitutive à l'acte ».

La permanence des soins, dont la grave crise a alimenté la chronique cet été, sera également un enjeu important. Le gouvernement invite donc les partenaires sociaux à redéfinir « les modalités de participation à la permanence des soins ambulatoires, les conditions de mobilisation des remplaçants et les modalités de rémunération de l'effection dans le cadre du service d'accès aux soins (SAS) en tirant les enseignements des mesures prises cet été pour faire face aux tensions hospitalières ».

En pratique, plusieurs des mesures tarifaires estivales pourraient être maintenues : « 4G » de l'heure (100 euros bruts) pour les médecins généralistes régulateurs et 15 euros hebdomadaire en plus pour tout acte effectué à la demande de la régulation Samu/SAS.

Pour inciter les médecins à s'installer en zones sous-denses la lettre appelle les parties prenantes à « valoriser la pratique et l'expertise médicale » pour jouer sur l'attractivité. « Les différents modes de rémunérations peuvent être utilisés à cette fin, en privilégiant les rémunérations valorisant un changement de pratiques », peut-on lire. François Braun et Agnès Firmin Le Bodo appellent également à la révision « des outils et leviers existants » en matière de régulation des dépassements d'honoraires, notamment les contrats Optam et Optam-Co.

Toujours concernant la rémunération, la ROSP devrait évoluer « pour être principalement centrée sur ces enjeux de prévention avec un nombre plus limité d'indicateurs ».

Sur le déploiement du numérique en santé (déploiement de l'ordonnance numérique d'ici 2024, alimentation du DMP, actualisation de la synthèse médicale du patient, utilisation des téléservices…), les ministres invitent l'Assurance-maladie à utiliser des leviers tels que « la modulation du forfait structure ». Cela promet des échanges tendus avec les syndicats, qui ont déjà refusé auparavant la prise en compte de l'exercice coordonné dans le calcul du forfait structure.

La feuille de route préconise par ailleurs que la nouvelle convention médicale réponde aux exigences de la limitation de l'impact environnemental de l'activité des médecins.

Des discussions qui s’engagent dans la douleur


Le climat d’ouverture de ces négociations sera pour le moins tendu, alors que plus de 8500 médecins se sont regroupés au sein d’un collectif baptisé « Médecins pour demain » afin de revendiquer une hausse de la consultation toutes spécialités confondues à hauteur de 50 euros. Un appel à la grève et à la fermeture totale des cabinets est même lancé pour le 1er décembre 2022.

La FMF et l’UFML-S ont d’ores et déjà annoncé leur soutien ou leur participation à ce mouvement et il n’est pas à exclure qu’elles claquent la porte dès l’ouverture des discussions...

Pour nos confrères du Généraliste, le Dr Jean-Paul Hamon, ex-patron de la FMF explique « la consultation à 50 euros ne serait pas un scandale, car elle n’a pas été revalorisée depuis sept ans, et plus longtemps encore pour les spécialistes. Je pense qu’il y a une marge à prendre du côté des complémentaires, de l’ordre de 20 milliards d’euros, lesquelles remboursent largement des naturopathes, magnétiseurs et ostéopathes à 60 ou 70 euros la séance…Nous allons naturellement appeler à la grève et voir le niveau de mobilisation aux manifestations. Il faut faire comprendre au gouvernement qu’il a trop tiré sur la corde. Les derniers exemples en date ? Les transferts de tâches aux kinésithérapeutes et infirmiers dans le PLFSS 2023 ou les cabines de téléconsultation dans les Monoprix ! J’espère que le gouvernement va bouger… ».

Pas de convention de « bouts de ficelle »


Si la CSMF ne soutient pas encore la fronde*, Luc Duquesnel, de la CSMF-Généralistes pointe : « avec un Ondam-ville fixé à 2,9 %, nettement en dessous de l’inflation, la marge est étroite ». « Comparativement à l’hôpital ou au secteur médico-social, la médecine de ville fait figure de parent pauvre. Avec un acte à 25 euros, on ne peut pas encourager la jeune génération à embrasser l’exercice libéral ! » fustige Philippe Vermesch, du SML.

« A la distorsion entre ville et hôpital s’ajoute une récession probable et une hausse des coûts de l’énergie qui aura un impact sur les cabinets », relève Patrick Gasser, d’Avenir Spé dans Le Monde. « Il ne s’agit pas de jouer les uns contre les autres, mais d’être clair : s’il faut faire avec des bouts de ficelle, si on n’obtient pas noir sur blanc la reconnaissance du rôle du médecin traitant dans le parcours de soins, on ne signera pas », tempête quant à elle Agnès Giannotti, de MG France.

Soulignons qu’à défaut du nombre de signataires suffisants pour ratifier le texte, un « règlement arbitral » serait entériné.

C’est dans ce contexte, qu’il reste à la CNAM le soin de fixer la date de la première réunion, celle du 9 novembre (historique s’il en est), serait retenue par la Caisse.

*Mise à jour du 7/11/22 : depuis la publication de cet article, tous les syndicats de médecins libéraux ont apporté leur soutien au mouvement Médecins pour demain.

F.H.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (3)

  • Appui des syndicats à la grève du 1/12/22

    Le 06 novembre 2022

    Contrairement à ce qui est écrit dans l’article, MGF et CSMF ont publié un communiqué appuyant le mouvement de grève lancé par le collectifs Medecinspourdemain.fr
    Il se dégage une unité syndicale pour les mêmes revendications.

    Dr O Vanduille

  • Convention : contrat de dupes

    Le 06 novembre 2022

    C’est bouclé ; on croirait lire la nouvelle convention ! De négociation, aucune trace.
    Possibilité de récompenses, nécessité de collaborer, obligation de permanence des soins, on croirait subir une dictature étatiste. La médecine libérale gardait un petit sens libéral, mais là
    il n’en reste rien.
    Dans ma vie professionnelle de 48 ans, je suis allé manifester 3 fois à Paris, sans le moindre effet, car le conseil de l’ordre nous imposait d’organiser un service de garde, et donc la grève n’avait aucun effet !
    Ma petite-fille qui est en 2ème année d’internat souhaiterait de meilleures conditions d’exercice !

    Dr J Philippe

  • Nouvelle convention

    Le 06 novembre 2022

    Le texte gouvernemental recommande : « accès à un médecin généraliste traitant pour tous, en particulier les personnes fragiles et en affection longue durée, développement de l’exercice coordonné et de la coopération interprofessionnelle, responsabilité collective pour garantir la continuité des soins en tout point du territoire… »
    Autrement dit, ce texte fait appel à une « conversion » des médecins dont la profession reste marquée par l’individualisme, la concurrence et la hiérarchie, ce qui compte tenu des diverses réponses des syndicats ne semble pas du tout entendu.
    Vingt ans après (quasiment jour pour jour) les médecins se rassemblent à nouveau pour une augmentation du prix de la consultation, seul thème capable semble-t-il de mobiliser la profession dans son ensemble. On se rappellera que c’est au sortir de cette grève, fin 2001, que la profession a modifié une règle déontologique constitutive du métier (la suppression de la garde obligatoire), à l’origine de bien des manques de notre profession : impermanence des soins (urgences, soins non programmés) responsable en partie de la sur-saturation des urgences, de l’impossibilité d’assurer des soins continus, d’assurer la diffusion des soins palliatifs à domicile…
    On se rappellera qu’à cette occasion la profession a inventé un nouveau concept de responsabilité collective : la profession s’engage collectivement à assurer la permanence des soins mais « l’engagement collectif ne doit pas traduire une obligation individuelle » (Quotidien du médecin N°7224 du vendredi 22 novembre 2002 pages 4 et 5).
    Cette nouvelle mobilisation n’augure d’aucune avancée vers un meilleur accès aux soins de chacun.
    Les médecins (tous : généralistes, spécialistes, chirurgiens, libéraux, hospitaliers, SOS médecins, médecins coordinateurs des EHPAD, HAD, EMSP, EMG...)
    - pourront-ils un jour se mettre d’accord sur l’objectif commun d’offrir à tous un vrai service de soins ?
    - pourront-ils comprendre, accepter que la réalisation de cet objectif passe par une coopération et une coordination avec tous ceux qui participent à ce service (médecins entre eux, médecins et infirmiers, infirmières, médecins et aides soignantes, aides soignants, kinésithérapeutes, pharmaciens, psychologues, orthophonistes, ergothérapeutes, AMP, assistantes sociales, services d’aide à domicile, auxiliaires de vie, bénévoles...) ?
    Seule une vraie coopération au service d’un même objectif peut créer les conditions d’une immense disponibilité seule garante de l’espoir de réalisation.

    Dr R Fardel

Réagir à cet article