
Des médecins madrilènes stakhanovistes
Ainsi, ce lundi, les médecins généralistes madrilènes ont
entamé une grève illimitée pour dénoncer leurs conditions de
travail de plus en plus difficiles. Cinquante à soixante
rendez-vous par jour pour une rémunération qui atteint en moyenne
53 000 euros par an (contre 92 000 euros en France), les praticiens
sont soumis à un rythme effréné que les autorités peinent à
reconnaître. Les solutions qu’elles proposent (comme la
généralisation des téléconsultations dans les centres de soins
primaires ouverts 24h/24) sont très loin de satisfaire les
praticiens.
Et si l’absence de dialogue avec l’actuel ministre de la Santé
(parfois comparé à Donald Trump) n’a fait qu’aggraver les tensions,
la crise est bien plus ancienne et dépasse la seule région
madrilène. Symptôme de cette dernière : entre 2011 et 2021, 18 000
médecins ont demandé leur certificat d’aptitude, sésame pour aller
exercer à l’étranger.
Délais d’attente : le NHS renoue avec ses tristes défauts
Peu avant les praticiens espagnols, c’est en Grande-Bretagne
que le désarroi des infirmières du NHS (National Health Service)
s’est manifesté. Le Royal College of Nursing (RCN) a ainsi
interrogé ses 300 000 adhérents : « êtes-vous prêts à faire la
grève pour obtenir des hausses de salaire ? ». Une majorité
d’infirmières a répondu favorablement : se dessine donc un
mouvement qui, fait rare, pourrait concerner toute la
Grande-Bretagne avant Noël.
Il faut dire qu’outre une baisse du pouvoir d’achat de 20 %
des infirmières, le NHS dernier connaît à nouveau une crise
profonde, après une réelle amélioration à la fin des années 2000 et
son heure de gloire au plus fort de la pandémie. Mais aujourd’hui,
toutes les failles du système éclatent au grand jour et la vieille
institution renoue avec l’une de ses plus tristes caractéristiques
: les interminables délais d’attente.
Ainsi, 6,5 millions de patients anglais sont aujourd’hui en
attente d’un rendez-vous, tandis que la statistique qui est la plus
commentée outre-manche concerne les 35 % de Britanniques qui
doivent attendre plus de deux mois entre le diagnostic d’un cancer
et la mise en place du traitement. La situation est aujourd’hui
telle qu’un grand nombre d’établissements du NHS ne pourrait
survivre sans le soutien de donateurs privés.
De l’Allemagne à la Suède, en passant par la Grèce et la Belgique : partout, la pénurie
Que l’on regarde en Allemagne et l’on découvre également des
signes d’essoufflement avec un indispensable recours à la main
d’œuvre étrangère. Pour cause, 35 000 postes de soignants étaient
vacants fin 2021, ce qui représente une augmentation de 40 %. «
La situation des personnels dans nos hôpitaux, nos maisons de
retraite et nos centres de soins se détériore à vue d’œil. Si rien
n’est fait, le système risque de s’effondrer », prévenait il y
a déjà un an le président de la Chambre fédérale des médecins,
Klaus Reinhardt.
Rien à espérer de mieux en Belgique où la pénurie de médecins
n’a d’égale que celle d’infirmières : les hôpitaux ont ainsi
largement participé à la journée de grève générale qui s’est
déroulée il y a quelques semaines. Et plus loin, les situations
sont également tendues, qu’il s’agisse de la Grèce, avec un exode
de plus en plus marqué des médecins ou de la Suède pourtant souvent
citée en exemple qui doit de plus en plus souvent se résoudre à
fermer des lits, voire des unités pendant de courte période en
raison d’un nombre insuffisant de personnel.
Une crise bien antérieure à la pandémie
Partout, les prémices de la crise se sont fait sentir bien avant l’épidémie de Covid, mais cette dernière a souvent accéléré les départs et en tout cas révélé au grand jour des manques qui ont une incidence majeure sur la qualité des soins, dans des pays qui ont toujours cru pouvoir bénéficier sans frein des progrès de la médecine.
Le monde occidental se réveille de cette pandémie en acceptant peut-être de reconnaître sa cécité et sa surdité face aux alertes de ses soignants. Mais pour beaucoup qui ont choisi soit l’exil soit d’autres activités, il est trop tard. Tandis que les états doivent désormais faire preuve de créativité et d’audace pour réinventer leurs systèmes de santé.
Aurélie Haroche