
Papeete, le mardi 16 mai 2023 – Selon une étude de l’Inserm, les essais nucléaires français ne seraient responsables que de 2,3 % des cancers de la thyroïde en Polynésie Française.
Près de 60 ans après la première explosion d’une bombe nucléaire française dans le ciel de Mururoa le 2 juillet 1966, la question des essais nucléaires français et de leur impact sur la santé des habitants continuent d’empoisonner les relations entre les Polynésiens et la métropole. Si, jusqu’à présent, aucune étude scientifique n’avait permis d’établir un lien entre ces essais et une augmentation des cancers de la thyroïde dans la région, la plupart des Polynésiens sont persuadés que ce lien existe et réclament une indemnisation de la part de Paris.
Une nouvelle étude de l’Inserm, dont les résultats ont été publiés dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) le 5 mai dernier, relance le débat. Si 193 essais nucléaires ont eu lieu en Polynésie Française entre 1966 et 1996, les chercheurs de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif se sont concentrés sur les 41 essais aériens qui ont eu été tirés entre 1966 et 1974, car ce sont lors de ces essais qu’a été libéré dans l’atmosphère de l’iode 131, une particule radioactive pouvant favoriser le cancer de la thyroïde. Conclusions de l’étude : les essais nucléaires ont eu un impact « faible, mais pas du tout inexistant » sur l’augmentation du nombre de cancers de la thyroïde, selon les termes du Dr Florent De Vathaire, premier auteur.
La mémoire des mères polynésiennes
Dans le cadre de cette étude, les chercheurs de l’Inserm ont comparé la situation de 395 Polynésiens chez qui un carcinome de la thyroïde a été diagnostiqués entre 1984 et 2016 avec celle de 555 habitants sains. Ils ont pu avoir accès, pour la première fois dans une étude de ce genre, à des données déclassifiées par l’armée française en 2013 sur les essais nucléaires. Ces informations leur ont notamment permis de se rendre compte que la dose moyenne de radiation reçue par chaque habitant au moment des essais nucléaires aériens était de 5 mGy et non de 2 mGy comme ils le pensaient initialement. Des données météorologiques ont également permis de reconstituer le parcours des nuages radioactifs.
Enfin, pour essayer de déterminer du mieux possible la dose de radiation reçue par chaque individu, les auteurs ont utilisé la méthode dite du « focus group », déjà utilisée par des scientifiques qui ont tenté d’évaluer l’impact sanitaire des essais nucléaires soviétiques menées au Kazakhstan. « Cela consiste à interroger les femmes qui ont eu un enfant au cours de cette période, car elles ont des souvenirs plus précis de ce qu'elles et leurs enfants mangeaient à cette époque » explique le Dr De Valthaire. « Cette étude est assez unique, c'est la première fois que l'on parvient, en s'appuyant sur de multiples sources, à reconstituer précisément les populations de l'époque, ce qu'elles mangeaient, là où elles vivaient et leur niveau d'exposition ».
Seulement 2,3 % des cancers de la thyroïde dûs aux essais nucléaires aériens
Finalement, les chercheurs ont conclu, comme l’avait déjà fait l’Inserm dans un précédent travail en 2021, qu’il n’existe pas de lien clair entre la dose de radiation reçue et le risque de développer un cancer de la thyroïde. Ils estiment tout de même que 29 cancers de la thyroïde au total sont attribuables aux essais nucléaires aériens réalisés entre 1966 et 1974, soit 2,3 % seulement des cancers de la thyroïde diagnostiqués dans la région. « Il y a certainement une augmentation des cancers de la thyroïde liées à ces essais, mais cette augmentation est faible » conclut le Dr De Valthaire.
Comment l’on pouvait s’y attendre, les résultats de cette étude ont été très mal reçus en Polynésie française, notamment dans les milieux indépendantistes. « Je suis scandalisée qu’on puisse encore publier des articles qui minimisent les conséquences des 193 essais nucléaires en Polynésie » a réagi Hinamoeura Cross, une élue de l’Assemblée de Polynésie, qui souffre elle-même d’une leucémie qu’elle estime radio-induite. Les militants anti nucléaire avancent notamment que la Polynésie française présente l’une des prévalences du cancer de la thyroïde la plus élevée au monde, mais des épidémiologiques estiment que cela s’explique par d’autres causes (tabagisme, alcoolisme, obésité…).
Nouveau président de la Polynésie française depuis samedi, Moetai Brotherson préfère voir le verre à moitié plein et le fait qu’un impact sanitaire des essais nucléaires, même mineur, a été reconnu. « On va reprendre tous ces éléments et on va entrer en discussion avec l’Etat là-dessus » a-t-il commenté, lui qui réclame 838 millions d’euros d’indemnisation à la France. Lors d’un déplacement à Papeete en 2021, Emmanuel Macron avait expliqué que la France avait une « dette » envers la Polynésie du fait de ces essais, semblant ouvrir la porte à une plus large indemnisation.
Quentin Haroche