
Paris, le lundi 13 novembre 2023 – 3 500 médecins ont signé une déclaration commune appelant à soigner gratuitement les migrants malgré la suppression de l’AME. D’autres souhaitent même sanctionner leurs confrères qui ont voté cette suppression.
Ce mardi, le Sénat a cédé à une vieille revendication de la droite et de l’extrême-droite en supprimant l’aide médicale d’Etat (AME), ce dispositif qui permet aux immigrés clandestins de bénéficier de soins totalement gratuits sous conditions de ressources. Les sénateurs ont ainsi adopté un amendement au projet de loi sur l’immigration prévoyant de remplacer l’AME, accusé d’être un mécanisme incitant à l’immigration et trop couteux (1,2 milliards d’euros par an) par une aide médicale d’urgence (AMU), limité aux soins urgents et vitaux et à la prévention.
Si la suppression de l’AME est loin d’être entérinée, puisque le projet de loi doit désormais être examiné par l’Assemblée Nationale, la simple éventualité de cette suppression provoque un tollé dans le monde médical. Depuis le vote de ce mardi, les déclarations de fédérations hospitalières (FHF, FHP), des syndicats (MG France, UFML) et de personnalités du monde médicale se multiplient pour dénoncer ce qu’ils considèrent être une faute éthique et une aberration sanitaire.
Un appel à la désobéissance médicale
Cette fronde médicale a pris une plus grande ampleur ce samedi avec la diffusion d’une « déclaration de désobéissance ». Signée par plus de 3 500 médecins hospitaliers, salariés et libéraux, dont notamment le Dr Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), ce texte appelle les médecins à continuer à soigner les immigrés clandestins gratuitement quand bien même l’AME venait à être supprimée. « Moi, médecin, déclare que je continuerais à soigner gratuitement les patients sans papiers selon leurs besoins, conformément au serment d’Hippocrate que j’ai prononcé » peut-on lire dans ce texte publié à l’initiative du Pr Antoine Pelissolo et du Pr Jean-Marc Baleyte, tous deux chefs de service de psychiatrie à Créteil.
« Je resterais indifférent à leurs conditions sociales ou financières, ainsi qu’à leur langue et leur nationalité » poursuit la déclaration, qui fait écho à une autre tribune de médecins publiée le 2 novembre dernier dans Le Monde appelant au maintien de l’AME. « La déontologie prescrit le juste soin pour chaque personne qui consulte, la sagesse dénonce la faute éthique et en passant l’erreur épidémiologique » conclut la déclaration, reprenant l’argument selon lequel la suppression de l’AME pourrait favoriser le développement de maladies contagieuses chez les migrants clandestins.
« Beaucoup de médecins libéraux ont signé, généraliste ou spécialistes » se félicite le Pr Pelissolo. « S’ils reçoivent un patient non couvert, ils ne seront pas payés, c’est une prise de position très forte. Dans les hôpitaux, c’est bien une désobéissance. Dans le cas d’une hospitalisation, ce sera aux frais de l’hôpital. C’est ma décision même si c’est contre les règles habituelles de l’hôpital » commente-t-il.
Deux plaintes contre des médecins sénateurs
Tous les professionnels de santé ne sont cependant pas unanimes sur la question de l’AME, comme l’a montré notre récent sondage indiquant que la majorité de nos lecteurs sont favorables au remplacement de l’AME par l’AMU. Parmi les sénateurs ayant voté en faveur de la suppression de l’AME, on trouve ainsi une quinzaine de professionnels de santé.
Des soignants qui doivent rendre des comptes estiment certains partisans de l’AME. Deux d’entre eux, le Dr Georges Yoram Federmann, psychiatre à Strasbourg et le Dr Jean Doubovetsky, généraliste à Albi, ont déposé ce vendredi deux plaintes au Conseil de l’ordre des médecins contre le Dr Jean-François Rapin et le Dr Marie Mercie, deux sénateurs ayant voté la suppression de l’AME.
Ils reprochent à leurs confrères parlementaires d’avoir violé plusieurs dispositions du Code de la Santé Publique, dont notamment l’article R. 4127-7 qui dispose que « le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quelles que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé ».
Les deux médecins à l’origine des plaintes estiment que voter contre l’AME est « contraire au serment prêté par les médecins de protéger toutes les personnes sans aucune discrimination ». Ces procédures disciplinaires n’ont a priori aucune chance d’aboutir, puisque la Constitution interdit de sanctionner un parlementaire pour la teneur de ses votes et que le serment des médecins ne concerne que leur activité professionnelle.
Que les médecins et associations opposés à l’AME se rassurent : le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a affirmé ce dimanche que lors de l’examen du texte à l’Assemblée Nationale à partir de la mi-décembre, le gouvernement demanderait le rétablissement du dispositif.
Quentin Haroche