Catherine Vautrin à la Santé, un choix qui interroge

Paris, le vendredi 12 janvier 2024 – La nomination de l’ancienne ministre de Jacques Chirac à un grand ministère regroupant le travail et la santé irrite les médecins.

On attendait Olivier Véran, Nicolas Revel, Frédéric Valletoux ou pourquoi pas le Pr Philippe Juvin. Ce jeudi soir, Emmanuel Macron et son nouveau Premier Ministre Gabriel Attal ont étonné tous les spécialistes du monde de la santé en nommant en remplacement d’Aurélien Rousseau, démissionnaire, Catherine Vautrin, une ancienne ministre méconnue de Jacques Chirac, comme ministre de la Santé. Sortie des projecteurs après sa défaite aux élections législatives de 2017, la présidente du Grand Reims fait donc un retour fracassant, deux ans après avoir déjà été pressentie pour le poste de Première Ministre.

La nomination de Catherine Vautrin, une « inconnue au bataillon » ironise le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML, interroge tout autant que l’intitulé de son poste. La rémoise se retrouve en effet propulsée à la tête d’un immense ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités. Chacun aura noté que la Santé ne dispose donc plus d’un ministère attitré et se retrouve reléguée au second plan, alors même qu’Emmanuel Macron répéte régulièrement à qui veut bien l’entendre que le renforcement de notre système de santé est l’une des priorités de son second quinquennat (une de plus).  « Le travail c’est la santé » s’amuse sur X (ex-Twitter) le Pr Yonathan Freund, urgentiste à la Pitié-Salpêtrière, qui ironise sur les « médecins du travail mis à l’honneur ».

Le travail c’est la santé

Avant son premier Conseil des ministres depuis près de 17 ans ce matin à 11 h, la nouvelle ministre a donc dû enchainer deux passations de pouvoir ce matin, d’abord au ministère de la Santé puis au Ministère du Travail. Première bourde pour la ministre : elle n’a pas manqué de remercier sa prédécesseure comme ministre des Solidarités « Aurélie Bergé » (au lieu d’Aurore Bergé). Il est plus que probable qu’un ministre délégué ou un secrétaire d’Etat chargé de la Santé soit nommé dans les prochains jours pour épauler Catherine Vautrin. Selon plusieurs médias (BFM TV et France Info), c’est Agnès Pannier-Runacher, qui était jusque-là ministre de la Transition énergétique, qui devrait occuper le poste.

Le ministère de la Santé perd également dans son titre son volet « prévention », cher à François Braun et à Aurélien Rousseau. S’agissant de la prévention justement, certains internautes n’auront pas manquer de noter que la bannière du compte X de la nouvelle ministre est une publicité pour…un vignoble. Si la ministre ne devrait donc pas avoir du mal à s’entendre avec le Président de la République, grand amateur de vin, il est peu probable que le gouvernement change rapidement sa politique complaisante vis-à-vis de l’alcool.

Si le choix de Catherine Vautrin comme ministre de la Santé interroge et inquiète certains observateurs, c’est également en raison de ses anciennes prises de positions. Issus des rangs de l’UMP, elle s’était opposée en 2013 à la légalisation du mariage entre personnes de même sexe et avait participé à la « manif pour tous » (prise de position qu’elle a dit regretter dix ans plus tard). « Nous sommes extrêmement inquiets parce que cette personne, par son positionnement, a nourri l’homophobie » a immédiatement réagit l’association SOS Homophobie alors que l’adjoint à la mairie de Paris David Belliard estime qu’Emmanuel Macron a « ressuscité la manif pour tous ». Selon le militant pro-euthanasie Jean-Luc Romero-Michel, la nouvelle ministre de la Santé serait également une « opposante à la légalisation de l’aide active à mourir », alors même qu’elle devra porter dans les prochains mois cette importante réforme de société, à la suite du départ d’Agnès Firmin Le Bodo.

Sans expérience sur les questions de santé

La fin de vie donc, mais également les négociations conventionnelles, la crise de l’hôpital public ou encore les pénuries de médicaments : les chantiers de Catherine Vautrin sont nombreux et ce alors même que son inexpérience en matière sanitaire est flagrante. Selon le journal Libération, elle avait d’ailleurs déjà refusé une nomination au poste de ministre de la Santé il y a deux ans. Dans son parcours politique, l’ancienne députée de la Marne s’était essentiellement consacrée à des problématiques sociales (égalité des chances, cohésion sociale, retraite…). Son dernier poste national en date : la présidence de l’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Loin, très loin donc des questions de santé.

Tout cela explique que les réactions des acteurs de la Santé étaient très mitigées hier soir et ce matin à l’annonce de la nomination de Catherine Vautrin. « Avons-nous les moyens d’avoir une personne qui intègre le ministère dans une phase d’expérimentation ? » s’interroge le Dr Marty, qui attend désormais le nom du futur ministre délégué à la Santé. « Il faudra voir à l’usage » réagit prudemment le Dr Luc Duquesnel, président de la CSMF, qui estime cependant qu’Emmanuel Macron a abandonné l’idée de garantir un « accès aux soins de qualité » pour les Français. Le Dr Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), est plus direct. « C’est catastrophique » lance l’urgentiste, « ils nommeront sans doute un secrétaire d’État pour gérer les dossiers spécifiques des libéraux et des hospitaliers, mais qui n’aura aucun accès aux cordons de la bourse ».

Catherine Vautrin est déjà la quatrième ministre de la Santé du second quinquennat d’Emmanuel Macron, après l’éphémère Brigitte Bourguignon, François Braun et Aurélien Rousseau (la cinquième si l’on rajoute Agnès Firmin Le Bodo, intérimaire durant quelques semaines).

Une versatilité qui empêche de prendre les décisions de fond qui s’imposent pour sortir de l’ornière un système de santé en grande difficulté.

Quentin Haroche

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Vos réactions (12)

  • 2 poids 2 mesures ?

    Le 12 janvier 2024

    Le JIM pourrait-il rechercher dans ses archives si la nomination de Mme Touraine en 2012 ( et pour 5 années) au manettes du ministère de la Santé et des Affaires Sociales avait fait l’objet d’un article aussi négatif quant à son inexpérience totale du monde de la santé et au périmètre élargi de son ministère ?

    Dr J-Y. Marandon

  • Expérience dans le domaine de la santé..

    Le 14 janvier 2024

    Qu'elle n'en ait pas ça n'a aucune importance, ce ne sont pas les ministres qui commandent, mais les hauts fonctionnaires.

    Dr D. Muller

  • Nouveau ministre de droite

    Le 14 janvier 2024

    Ouf enfin du changement.
    "Première bourde pour la ministre : elle n’a pas manqué de remercier sa prédécesseure (?) comme ministre des Solidarités « Aurélie Bergé » (au lieu d’Aurore Bergé)...vous plaisantez j'espère, il y a eu des bourdes bien plus graves à mon avis, n'oublions pas "responsable mais pas coupables" de Georgina Dufoix qui a tué combien de séro-positifs...

    Dr J. Grosbois

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