
Paris, le samedi 22 octobre 2016 – Dans une comédie française sans prétention, un jeune médecin incarné par Omar Sy est victime d’un méchant running gag. A chaque fois qu’il se présente auprès d’un patient, ce dernier le prie d’aller chercher un « vrai » médecin ou encore d’effectuer les tâches effectuées habituellement par les aides-soignants. La multiplication de ces discriminations le conduit à rappeler quelque peu brusquement que contrairement à ce que pourrait dicter l’image d’Epinal, un noir n’est pas forcément un brancardier ou un agent d’entretien mais peut parfaitement être médecin.
Discrimination à la volée
Ce type de situation est loin d’être uniquement le prétexte à sourire. Il est le quotidien de nombreux praticiens noirs américains. Une jeune femme de 28 ans, interne en gynécologie, a ainsi récemment raconté sur Facebook sa singulière aventure sur un vol intérieur ralliant Detroit à Houston. Alors qu’un des passagers était victime d’un malaise grave, le personnel de bord appelle les passagers médecins ou professionnels de santé à se signaler. Tamika Cross lève la main. L’hôtesse lui répond gentiment : « Désolée, nous sommes à la recherche d’un médecin, nous n’avons pas le temps de nous occuper de vous pour le moment ». Il faudra plusieurs minutes avant que Tamika Cross parvienne à lui faire comprendre qu’elle est elle-même médecin. L’hôtesse l’interroge alors minutieusement sur son lieu d’exercice, sa spécialité, les raisons de son voyage à Détroit. Au même moment, un homme blanc se signale comme praticien ce qui conduit la responsable de la cabine à décliner l’offre de Tamika. Pourtant, quelques minutes plus tard, sollicitée directement par le médecin blanc, Tamika sera invitée à prêter main forte à l’équipe, conduisant l’hôtesse à s’excuser pour sa réticence initiale. Pour le jeune praticien de Houston, l’incident n’est cependant pas clos. Il est au contraire le reflet d’une discrimination constante, la confirmation de la persistance de clichés et préjugés racistes. Aussi, à peine rentrée chez elles, Tamika décrit l’anecdote sur son compte Facebook.
Des excuses en 2008
Ce témoignage va connaître un très large écho : le post de Tamika est ainsi partagé plus de 48 000 fois en moins de dix jours, tandis que sur Twitter se crée le hashtag #WhatADoctorLooksLike à partir duquel des dizaines de médecins femmes et noires invitent l’Amérique à contempler l’un des multiples visages de sa communauté médicale. Le témoignage de Tamika libère ainsi la parole et permet à de nombreuses autres professionnelles d’évoquer des situations semblables. Plus de cinquante après la fin de la ségrégation, les noirs américains continuent chaque jour à essuyer des discriminations. Parallèlement à la stigmatisation policière dont sont parfois rudement victimes les communautés noires les plus pauvres de certaines banlieues, même ceux qui sont parfaitement installés dans la société en pâtissent. Il faut dire que les médecins noirs ont été comme les autres les cibles de la ségrégation : pendant longtemps les hôpitaux leurs ont refusé tout poste de statutaire. Cette discrimination a d’ailleurs incité de nombreux médecins noirs des années 50 à s’engager dans les mouvements défendant leur cause. Il aura cependant fallu attendre 2008 pour que la puissante association médicale américaine ne s’excuse pour le rejet dont ont fait l’objet les praticiens noirs pendant des décennies.
Aurélie Haroche