Covid-19 : de l’immunité à l’immunité croisée

Dans leur recherche sur les cibles antigéniques du virus reconnues par les lymphocytes T au cours de la Covid 19, une équipe américaine a retrouvé une immunité CD4 dépendante chez tous les patients infectés et CD8 dépendantes chez 70 %, les réponses étant dirigées contre la protéine spike mais aussi contre d’autres protéines. Mais elle a aussi détecté une réactivité contre les cibles antigéniques du SARS-CoV-2 chez des sujets non exposés à la Covid-19.

Des résultats majeurs (dont il a été déjà fait mention sur ce site) pour les stratégies vaccinales mais aussi pour éclairer d’un jour nouveau l’épidémiologie de cette infection où l’immunité croisée pourrait jouer un rôle imprévu.

Apparue à Wuhan en Chine en novembre 2019, la Covid-19 due au coronavirus SARS-CoV-2 s’est rapidement répandue sur la majeure partie du globe : fin mai elle affectait plus de 5 millions de personnes et était responsable de plus de 360 000 décès. Du fait de l'ampleur de cette pandémie, de l'absence de traitement spécifique, le développement d'un vaccin est un enjeu crucial pour prévenir la survenue de nouveaux cas (correspondant soit à la pandémie actuelle, soit à une reprise de celle-ci dans les zones où elle a pu être jugulée soit encore à la survenue éventuelle d'une nouvelle épidémie impliquant un virus apparenté). Ainsi plus de 90 équipes institutionnelles ou de grands trusts pharmaceutiques s'y emploient actuellement dans le monde.

La connaissance approfondie de l'immunité adaptative lymphocytes T dépendante au SARS-CoV-2 s'avère nécessaire pour le développement d'un vaccin, pour l'interprétation du mécanisme physiopathogénique de la COVID-19 comme pour l'optimisation des mesures de contrôle de la pandémie.


Pour mieux connaître l'immunité adaptative développée en cas de Covid-19, A Grifoni et coll. se sont attachés, grâce à l'établissement de mégapools de peptides prédits comme spécifiques de SARS-CoV-2 et liés aux antigènes HLA de classe I ou II, à quantifier les lymphocytes T CD4+ et CD8+ spécifiques du SARS-CoV-2 ainsi qu'à déterminer les antigènes viraux cibles de la réponse immune. L’identification de tels antigènes est en effet importante pour le développement de tests sérologiques permettant de détecter la réponse immune chez les sujets ayant été possiblement infectés, comme elle est importante pour le développement de vaccins qui à l'heure actuelle, lorsqu'ils ont pour cible antigénique une protéine de la membrane virale, exploitent uniquement la protéine spike.

Des CD4 spécifiques du SARS-CoV-2 chez tous les convalescents de la Covid 19…

Pour cette étude, 20 patients adultes ayant guéri de la Covid-19 sans avoir été hospitalisés ont été recrutés. Les prélèvements sanguins ont été effectués 20 à 35 jours après le début des symptômes alors que ceux-ci avaient complètement disparu. Le diagnostic de Covid-19 avait été, chez tous les patients, confirmés par PCR sur prélèvement par écouvillon nasal. Pendant la convalescence il a été observé que les patients avaient développé des anticorps mis en évidence par test d'immunochromatographie de flux latéraux et par test ELISA utilisant comme antigène la protéine spike, les anticorps étant dans tous les cas de type IgG mais aussi dans la majeure partie des cas de type IgA et IgM. Comme sujets contrôles, il a été fait appel à 20 donneurs de sang sains (vus entre 2015 et 2018, donc bien avant la survenue de la Covid-19) dont les cellules mononucléées du sang périphérique et le plasma avait été conservés.

Au niveau du sang circulant, grâce au panel de mégapools de peptides mentionné plus haut, les lymphocytes T CD4+ et CD8+ spécifiques du SARS-CoV-2 ont été retrouvés respectivement chez 100 % et 70 % des patients ayant eu la Covid-19 et testés lors de leur convalescence.

S'agissant des lymphocytes T CD4+, l'antigène reconnu principalement et de façon robuste était la protéine de membrane spike (principale cible d'ailleurs de la plupart des vaccins développés actuellement), et la réponse cellulaire corrélait fortement avec la production d'anticorps de type IgG ou IgA mesurés par ELISA. Plus précisément, les protéines M, spike et N représentaient chacune 11 à 27 % de la réponse immune CD4+ dépendante mais il existait aussi une réponse additionnelle vis à vis principalement des protéines nsp3, nsp4, ORF3a et ORF8 parmi d'autres. Ce type de réponse était présente chez tous les patients.

S'agissant des lymphocytes T CD8+, les protéines spike et M étaient les principales cibles mais leur réponse était aussi dirigée vers au moins 8 autres protéines de type ORF spécifiques de SARS-CoV-2.

…et pour la moitié des sujets contrôle n’ayant pas eu la Covid-19

De façon intéressante enfin, les cellules T CD4+ reconnaissant la protéine spike ou les protéines non-spike étaient également présentes chez 50 % environ des donneurs sains n'ayant pas été infectés par la Covid-19, avec une signification statistique respectivement de 0,067 et 0,039. Quatre coronavirus chez l'homme sont connus pour être des virus saisonniers (présents surtout lors des basses températures) affectant principalement les voies aériennes supérieures : HCoV-OC43, HCoV-HKU1, HCoV-NL63, et HCoV-229E. Les donneurs sains étudiés ont donc été testés au plan sérologique vis à vis de 2 de ces coronavirus : HCoV-OC43 et HCoV-NL63 représentant respectivement un betacoronavirus et un alphacoronavirus. Tous les sujets étaient positifs témoignant du caractère endémique de ces virus.

Le panel antigénique reconnu par les cellules T CD4+ SARS-CoV-2 spécifiques retrouvées chez des sujets n'ayant pas été exposés à la COVID-19 diffère de celui reconnu en cas d'infection par la COVID-19. Ainsi, si la protéine S reste une cible relativement prédominante représentant en moyenne 23 % des antigènes impliqués, il n'y avait pas de réactivité (ou minimale) dirigée contre les protéines N et M du SARS-CoV-2 et une réponse dirigée vers les protéines 2nsp14, nsp4 et Nsp6.

Chez ces sujets n'ayant pas été exposés à la COVID-19, les cellules CD8+ retrouvées chez au moins 4 donneurs reconnaissaient certes mais de façon beaucoup moins nette et moins large que les CD4+ des antigènes spécifiques du SARS-CoV-2.

Des résultats importants pour la conception d’un vaccin

Au total, dans cette étude, les auteurs ont démontré la présence de cellules lymphocytaires T spécifiques du SARS-CoV-2, de type CD4+ chez tous les patients en convalescence de Covid-19 et de type CD8 + chez 70 % d'entre eux. L'étude des cibles antigéniques impliquées a été réalisée pour les 25 protéines codées par le génome viral. S'agissant des réponses médiées par les lymphocytes T CD4+, les antigènes des protéines spike, M et N sont co-dominants et d'autres antigènes sont également impliqués : nsp3, nsp4, ORF3s, ORF7a, nsp12 and ORF8.

Ces résultats différent de ce qui a été observé pour les autres coronavirus: SARS-CoV-1 et MERS-1 où la réponse à la protéine spike était fortement majoritaire. Pour le développement d'un vaccin mimant au plus près la réponse des CD4+ vis à vis de la maladie naturelle, il conviendrait ainsi de considérer l'importance non seulement de la protéine spike mais aussi celle des autres protéines reconnues comme agents immunogènes.

De même, s'agissant de la réponse médiée par les lymphocytes T CD8+, au plan antigénique la protéine spike n'est pas la protéine prédominante : d'autres sont impliquées, en premier lieu les protéines M et N mais aussi les protéines nsp6 et ORF3a. Ces résultats là encore peuvent être importants pour le développement d'un vaccin mimant au plus près la réponse immunitaire naturelle.

Et la possibilité d’une protection par immunité croisée avec d’autres coronavirus saisonniers

Enfin, cette étude a montré la présence de lymphocytes T CD4+ chez 40-60 % des sujets n'ayant pas été exposés à la Covid-19, arguant pour l'existence d'une réaction immunologique croisée chez certains sujets (mais non chez tous) avec d'autres coronavirus saisonniers. Une étude biochimique précise des épitopes mis en jeu n'a pas été possible. De même, il n'a pas été possible de montrer si la présence de telles cellules lymphocytaires T ''mémoires'' conférait un effet protecteur en cas de survenue de Covid-19, comme des expériences chez la souris le laissent supposer (Zhao J et al: Immunity 2016; 44: 1379-1391.) 

Dans le futur, d'autres études sur le statut immunologique des patients ayant fait une forme modérée de Covid-19 devraient être effectuées par d'autres équipes de même que, par comparaison, sur le statut immunologique des patients ayant fait une forme sévère de Covid-19. Il serait important d'estimer aussi la durée de l'immunité acquise. Ces résultats comme nous l'avons souligné peuvent guider la stratégie vaccinale.

Si enfin, un certain degré de réaction immunologique croisée vis à vis d'infections par des coronavirus saisonniers est confirmé, les études estimant son caractère protecteur seront de la plus grande importance, à l'instar de ce qui a été réalisé pour les infections par les virus de la grippe, étant donnée l'ampleur qu'a prise l'épidémie par le SARS-CoV-2 .

Dr Sylvia Bellucci

Références
Grifoni A et coll. : Targets of T cell responses to SARS-CoV-2 coronavirus in humans with COVID-19 disease and unexposed individuals. Cell 2020 : Publication avancée en ligne le 20 mai. doi.org/10.1016/j.cell.2020.05.015.

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Vos réactions (9)

  • Arrêtez avec la covid

    Le 29 mai 2020

    Svp je sais que l'Académie française est sensé être une référence mais de grâce arrêtez de la suivre aveuglement. L'usage c'est de dire LE covid (pour le corona) et pas LA (pour la maladie).

    AB

  • SVP continuez à écrire : "LA" Covid et non pas "LE" Covid

    Le 04 juin 2020

    Réponse à monsieur AB :
    La Covid est une maladie, c'est féminin.
    Le SARS-Cov-2 est un virus, c'est masculin.
    Les médecins français parlent en général français, une langue où les mots sont féminins (bactérie) ou masculins (microbe) mais pas neutres comme en anglais (disease).

    La grammaire française est ainsi faite, et tant mieux, car ça apporte de la clarté au langage. iI y a un consensus international depuis le 18ème siècle pour reconnaître que quand un document diplomatique international est rédigé en Français, il est plus précis que dans toute autre langue.

    L'honorable auteur "AB" du commentaire précédent (dans le Jim) est d'un avis opposé au mien. Je suis surpris que, par suivisme grégaire, il s'agace de la rigueur, et se déclare en faveur de la confusion langagière. C'est ce renoncement panurgique à la qualité qui sévit à l'Éducation Nationale (lutte acharnée pour faire disparaître le passé simple), régression qu'on appelle le nivellement par le bas, et qui contribue, à mon modeste avis, à la régression générale de la pensée. Mon maître le néphrologue Jean Hamburger le constatait aussi : il écrivait "La langue, c'est la pensée".

    « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur des hommes » (Albert Camus).
    «Si j'avais le pouvoir, je commencerais par redonner leur sens aux mots » (Confucius)
    « L'incapacité à nommer est révélatrice de l'incapacité à comprendre » (Max Gallo).
    «Verbaliser, c'est baliser par le verbe" (Étienne Klein)
    « Le caractère négligé de notre langue nous incite à penser mal » (Georges Orwell)

    Dr Etienne Robin, néphrologue, qui songe sérieusement à s'immoler par le feu, le jour où le mot pathologie aura complètement et stupidement remplacé les mots distincts et précis "affections", "maladies" "syndromes", mots indispensables pour que nos étudiants n'aient pas que de la sauce blanche dans leur juvénile calebasse.
    Que ceux qui ont des oreilles pour entendre, entendent...

  • Du fil à retordre aux immunologistes

    Le 04 juin 2020

    Un paradoxe est que la symptomatologie (sauf rares exceptions) s'accroît avec l'âge.
    On pourrait croire pourtant que les plus âgés doivent avoir été plus exposés aux coronavirus, et être donc mieux protégés contre l'infection.
    A moins qu'une précédente sensibilisation ne soit un facteur péjoratif d'hyperimmunité ?
    Décidément, le genre coronavirus est bien spécial, et a déjà donné bien du fil à retordre aux immunologistes.

    Dr Pierre Rimbaud

  • Immunités croisées ?

    Le 07 juin 2020

    Paraxdoxe ?
    Oui ...
    Sauf si on considere que l’immunité n’est ni tres longue ni tres forte et que les plus immunisés sont sont ceux qui ont le plus récemment et le plus souvent été exposés aux coronavirus saisonniers ....
    Comme les enfants ... leur entourages immédiats privés et scolaires ...

    On a tous vécu ça ...l’horreur du premier stage en pédiatrie ... et puis plus rien après ... ni gastro ni inf orl ni grippe ...en 10 ans de sos médecin je n’ai jamais rien eu. Pourtant ce ne sont jamais les même virus ... mais toujours des cousins ...

    La vrai question c’est pourquoi des médecins hospitaliers en première ligne du virus, sans EPI adaptés (sans aucun EPI devrais je dire ?) sont seronegatif ? Comment est ce possible pour un virus aussi contagieux ?

    Dr A P

  • Non significatif

    Le 12 juin 2020

    Cet article est déjà ancien.
    0,067 ce n'est pas significatif.
    Les méthodes ne sont pas présentées.
    Bref. On passe.

    Et la Suède a autant de morts que la France mais sur une population même pas égale à celle de Paris.
    Et le ministre suédois a une commission d'enquête sur le dos.

    Didier Marc Poisson

  • La réponse de la rédaction sur la Suède

    Le 12 juin 2020

    La Suède a autant de morts par million d'habitants que la France (et non en valeur absolue).

    La rédaction

  • Immunité selon l'âge

    Le 12 juin 2020

    Depuis le départ, l'une des hypothèses pour expliquer le faible taux d'infection chez les enfants, est précisément l'immunité croisée avec les Coronavirus communs, immunité qui serait beaucoup plus solide chez eux puis décroitrait avec l'âge. Phénomène bien connu pour le pneumocoque par exemple.
    Une étude de cette qualité immunologique comparant l'immunité des non infectés par le SARS-Cov-2 par tranche d'âge serait très intéressante pour étayer l'hypothèse.

    Dr Yves Hatchuel

  • Un français rigoureux

    Le 12 juin 2020

    Sinon bien d'accord avec le Dr Etienne Robin sur l'impérieuse nécessité d'une langue de qualité, précise et bien articulée. En commençant par une complète maitrise de sa langue maternelle, avant que de plonger dans les délices fangeux du globish.

    Je convulse à chaque relecture de CRH de mes internes mais, pour l'immolation par le feu, j'attendrai quelque peu.

    Dr Yves Hatchuel

  • Petit problème de langue

    Le 23 juin 2020

    Je trouve comique de pinailler sur le genre de Covid et de Sars-Cov-2.
    Notre puriste devrait savoir que ces 2 mots sont de toute façon de l'Anglais et que si l'on veut être puriste il faudrait dire la maladie infectieuse du coronavirus (Coronavirus infection disease) et le SRAS-Cov-2 et non le SARS. Comme ce n'est pas le cas, il semble souhaitable de continuer à dire le Covid 19, comme nous disons le Choléra, le Chikungunia, le SIDA etc .
    Quant à la nostalgie de la langue française comme langue diplomatique, elle a quelque chose de ringard, et oublie que la langue de la diplomatie est le reflet de la puissance de la nation qui l'utilise et donc des rapports de force internationaux et non d'une quelconque caractéristique qui tiendrait à sa supériorité sur les autres langues. Aujourd'hui la France n'est plus la puissance qu'elle était quand on faisait usage de sa langue dans la diplomatie.

    Dr Alain Siary

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