Dr Bernard, femme médecin

Indianapolis, le samedi 17 juin 2023 – Sanctionnée pour avoir avorté une petite fille de 10 ans violée, le Dr Caitlin Bernard est devenu l’égérie du mouvement pro-choix aux Etats-Unis.

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Caitlin Bernard a toujours eu envie de devenir médecin. Elle n’a que cinq ans lorsqu’elle exprime pour la première fois ce souhait. Ses parents, des progressistes convaincus, joueront un rôle essentiel dans sa vocation. Sa mère la fait venir à des manifestations féministes et lorsqu’elle n’a que 12 ans, son père l’emmène dans une mission humanitaire au Guatemala. Elle se souviendra longtemps de ce moment où son père organisera le transfert vers l’hôpital d’une jeune femme victime d’une hémorragie de la délivrance. « Cela m’a montré à quel point l’accompagnement médical était important dans la vie des femmes ». Son choix est fait : Caitlin Bernard sera gynécologue-obstétricienne.

Une patiente qui va marquer sa carrière

Après des études brillantes à New York, le Dr Bernard partira exercer dans l’Indiana. Nous sommes au début des années 2010 et les militants anti-avortement donnent de plus en plus de la voix pour remettre en cause ce droit acquis aux Etats-Unis depuis plus de 50 ans. Inacceptable pour le Dr Bernard, qui décide alors de s’engager pleinement dans le militantisme pro-choix. « Je trouvais cela fou que l’on puisse dire que ce que l’on faisait était mal, que nous n’avions pas le droit de protéger nos patientes et de rester fidèle à nos valeurs d’honnêteté et de transparence » se souvient-elle. A l’époque, la célébrité du Dr Bernard, qui prend régulièrement la parole dans des manifestations pour le droit à l’avortement, ne dépasse pas les frontières de l’Indiana.

Mais la vie du Dr Bernard et de millions de femmes américaines va basculer le 24 juin 2022. Ce jour-là, la Cour Suprême des Etats-Unis prend la décision controversée de revenir sur une jurisprudence cinquantenaire et de redonner aux Etats le droit de légiférer comme bon leur semble sur l’avortement. A peine six jours plus tard, le Dr Bernard reçoit une patiente qui va marquer sa carrière médicale : une petite fille de 10 ans enceinte après avoir été violée (arrêté depuis, le violeur présumé sera jugé en juillet prochain). La petite fille qui vient de l’Etat voisin de l’Ohio a dû faire des centaines de kilomètres pour venir se faire avorter dans l’Indiana, après que l’Ohio ait interdit l’avortement après six semaines de grossesse. Le Dr Bernard se charge de l’intervention. 

Le début du cauchemar pour la gynécologue de 38 ans. Alors que les esprits sont encore échauffés par la décision de la Cour Suprême, le cas de cette petite fille devient un symbole du débat sur l’avortement. Le président américain Joe Biden lui-même évoque l’affaire. De nombreux militants pro-vie dénoncent l’histoire comme étant une pure invention. C’est pour rétablir la vérité sur cette sinistre histoire que le Dr Bernard commencera à prendre publiquement la parole, devenant bien malgré elle une célébrité nationale et l’égérie des militants pro-choix. Comme souvent, cette célébrité apporte malheureusement pour le Dr Bernard son lot d’injures, de harcèlement et de menaces, contre elle mais également contre sa famille.

« A la fin des fins, je reste un médecin »

Profondément opposé à l’avortement, le procureur général de l’Indiana Todd Rokita décide de lancer une procédure contre le Dr Bernard. « Elle a utilisé une petite fille de 10 ans traumatisée par son viol pour pousser son agenda idéologique et elle a été aidé en cela par des « fake news media » a lancé ce supporter de Donald Trump. Bien qu’une enquête interne de l’hôpital où le Dr Bernard exerce ait conclu qu’elle avait respecté la loi et notamment le secret médical de sa patiente (dont le nom n’a jamais été révélé), l’Ordre des médecins de l’Indiana a finalement condamné le Dr Bernard à 3 000 dollars d’amende le 25 mai dernier (mais n’a pas prononcé d’interdiction d’exercer malgré les demandes du procureur). 

Pour le Dr Bernard, cette condamnation est avant tout un moyen de faire pression sur les gynécologues, de moins en moins nombreux à accepter de pratiquer des IVG dans l’Indiana. « Je continue de recevoir des courriers de remerciement de femmes me remerciant de les aider et cela me donne de l’espoir pour le futur » préfère retenir cette infatigable optimiste.

Si elle refuse son statut d’égérie de la cause féministe (« je ne veux pas que les gens pensent que je suis quelqu’un d’exceptionnel, je ne le suis pas »), elle continue de jongler entre ses rôles de médecin, de mère et de militante, alors que le gouvernement de l’Indiana tente actuellement de faire adopter une loi interdisant l’avortement. « A la fin des fins, je reste un médecin et j’essaie juste de prendre soin de mes patients » conclut-elle simplement.

Quentin Haroche

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Vos réactions (2)

  • l'Ethique

    Le 18 juin 2023

    Chapeau bas : n'importe quel médecin digne aurait accepté de pratiquer cet avortement (une fillette de 10 ans violée !), mais le poids de la société (société nord américaine en 2023, cela s'entend) est très lourd à porter, et quand notre éthique -la morale médicale- vient se heurter à la loi, à nos propres conventions religieuses ou morales, le chemin est difficile.
    Dans un monde parfait la loi, la morale, la religion et l'Ethique marchent de concert.
    Dans ce bas monde si imparfait le Dr Bernard a trouvé le juste chemin, en faisant son travail et juste son travail, en résistant au "système" (à ce propos, je plains les américains...) sans se faire aider d'amis encombrants (pro choix politisés et radicaux), en respectant le secret médical pour le bien de sa patiente.
    Elle a été un médecin parfait et un exemple pour nous tous.

    Dr F Chassaing

  • Et pour les sectes ?

    Le 15 juillet 2023

    Bravo à ce médecin courageux.
    Mais en France, les secteurs n'en finissent pas d'imposer leurs croyances délétères.
    Rappelons que le CHU de Bordeaux a dû verser 3 000 € au titre de réparation du préjudice, plus 1 000 euros pour défaut d'information, à une de ses anciennes patientes, vu son appartenance aux Témoins de Jéhovah.
    La patiente avait fait une hémorragie massive pendant son intervention, une situation "menaçant la vie de l'intéressée", selon la Cour. Les médecins lui avaient alors fait deux transfusions sanguines. Celles-ci ont été jugées légales par la Cour d'appel administrative, qui reproche au CHU une troisième injection.
    Celle-là a été faite le surlendemain "alors que la patiente, qui avait repris connaissance, avait réitéré son refus de bénéficier d’un tel traitement". La Cour relève aussi que cette transfusion a été faite "après une sédation non consentie de l’intéressée".

    Dr A Krivitzky

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