
Si nos connaissances sur l'histoire naturelle et la transmission de l'infection à virus Ebola se sont sensiblement accrues ces derniers mois à la faveur de l'épidémie meurtrière d'Afrique de l'Ouest, nous disposons encore de peu de données sur ce que devrait être, dans l'absolu, une prise en charge optimale des patients. En effet, l'immense majorité des malades ont été traités dans des centres africains manquant cruellement de techniques modernes de diagnostic et de réanimation.
Deux articles publiés en ligne sur le site du New England Journal of Medicine permettent d'en savoir un peu plus sur ce point. Ils décrivent par le menu le traitement de 3 patients rapatriés d'Afrique de l'Ouest dans des services spécialisés de pays occidentaux (deux dans le centre Emory des maladies transmissibles graves à Atlanta [Etats-Unis] et un dans le service des maladies infectieuses de l'hôpital universitaire de Hambourg [Allemagne]).
Deux américains traités par ZMapp
Les deux cas traités à Atlanta ont été largement médiatisés cet été (1). Il s'agissait d'humanitaires volontaires rapatriés du Libéria aux Etats-Unis avec une infection à Ebola évoluant depuis quelques jours. Outre des mesures de réhydratation non spécifiques et la rééquilibration électrolytiques nécessitées par les diarrhées profuses et les vomissements, ces deux patients ont bénéficié d'une antibiothérapie à large spectre et de transfusions sanguines (dans un cas de sang de donneur ayant guéri d'Ebola). De plus les deux malades ont reçu trois injections de ZMapp, cocktail d'anticorps monoclonaux anti-Ebola en cours d'investigation.
Les deux patients ont guéri cliniquement après une vingtaine de jours d'évolution et ont pu quitter l'hôpital après que deux RT-PCR semi-quantitatives pour le virus Ebola aient été négatives dans le plasma à 24 heures d'intervalle.
G Marshall Lyon et coll. qui rapportent ces observations ne peuvent évidemment conclure sur le rôle du ZMapp dans ces guérisons en raison des autres traitements administrés concomitamment et de la possibilité d'évolution spontanée favorable, mais tiennent à signaler une amélioration de leur état clinique dans les 8 heures suivant les injections. Seul un essai contrôlé permettra de trancher définitivement sur ce point.
Un patient sauvé en Allemagne
Le cas hospitalisé en Allemagne, un homme de 36 ans contaminé par un de ses collègues lors d'une mission épidémiologique de l'OMS en Sierra Leone, était a priori plus grave. Son état clinique était dominé par une hypovolémie sévère en rapport avec une diarrhée de plus de 8 litres par 24 heures durant les 3 jours ayant suivi son transfert à Hambourg. Une réhydratation massive allant jusqu'à 10 litres par voie veineuse/24 heures a été nécessaire durant les premiers jours. L'évolution a été marquée par une septicémie à bactérie Gram négatif à point de départ probablement intestinal vers le 12e jour, un anasarque, une acidose lactique, une encéphalopathie et une insuffisance respiratoire aiguë aggravée par l'inhalation d'une épistaxis. Grâce à une réanimation non spécifique comportant, entre autres, une antibiothérapie à très large spectre et une ventilation non invasive, le malade a pu quitter les soins intensifs au 28e jour de sa maladie et l'hôpital au 40e jour.
Aucune thérapeutique à visée anti-virale n'a été administrée.
Quelques enseignements et des interrogations
Plusieurs points méritent d'être soulignés dans ces 3 observations (3).
1) Le diagnostic d'Ebola, même dans un contexte d'épidémie et
chez des humanitaires au contact de patients, peut présenter des
difficultés dans les premiers jours d'évolution comme en témoigne
la négativité d'une première RT-PCR pour Ebola chez un des malades
américain. Ceci impose de répéter cette recherche en cas de forte
suspicion clinique.
2) La positivité de la recherche de P.falciparum, comme
c'était le cas pour la deuxième malade américaine, ne doit bien sûr
pas faire écarter le diagnostic d'Ebola associé.
3) La possibilité de surinfection bactérienne doit conduire à ne
pas imputer toute reprise fébrile à l'affection virale mais à
chercher à isoler la bactérie responsable.
4) Une réanimation hydro-électrolytique intensive est
essentielle. Elle pourrait permettre à elle seule d'améliorer
le pronostic même en l'absence de véritable service de réanimation.
Il est donc possible (mais non certain) que, comme l'on indiqué
plusieurs infectiologues, la mortalité de l'infection à Ebola soit
très nettement plus faible dans un environnement médical moderne
qu'en Afrique. Rappelons toutefois à cet égard qu'à l'inverse,
plusieurs malades contaminés sont décédés après leur rapatriement
dans un pays occidental (Espagne, Etats-Unis,
Allemagne)
5) Les conditions très particulières d'isolement des malades ne
permettent pas de mettre en œuvre toutes les techniques
diagnostiques même dans des hôpitaux de pointe de pays développés.
C'est ainsi que des scanners ne peuvent être réalisés et que des
examens bactériologiques permettant l'identification du germe en
cause dans la septicémie du patient traité en Allemagne n'ont pu
être pratiqués.
6) L'interprétation des recherches d'ARN viral dans les fluides
corporels reste délicate chez les patients guéris cliniquement.
Pour le patient traité en Allemagne on sait ainsi qu'alors que
l'ARN du virus n'était plus détecté dans le sang après le 17e jour,
les prélèvements urinaires sont restés positifs jusqu'au 30e jour
et que de l'ARN viral a été identifié dans la sueur au moins
jusqu'au 40e jour. Le pouvoir infectant des urines et de la sueur
semblait cependant limité ou nul à ce stade dans ce cas, les
cultures virales étant demeurées négatives après 20 jours. Ceci a
permis d'autoriser le retour du patient dans sa
famille.
Cette présence d'ARN viral dans certains liquides biologiques après guérison clinique, qui corrobore la mise en évidence d'ARN viral dans le sperme de patients jusqu'à 3 mois après apyrexie lors d'épidémies précédentes, nécessite sans nul doute des éclaircissements supplémentaires.
Il serait également intéressant de disposer des observations des autres patients traités en Occident (en France, aux Etats-Unis, en Espagne et en Allemagne) afin d'en tirer plus d'enseignements utiles pour une prise en charge optimale des patients.
Dr Anastasia Roublev