Enseigner l’empathie aux dirigeants plutôt qu’aux étudiants

Paris, le lundi 7 mai 2018 - L’interview donnée le 25 avril dernier par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, au magazine Marie-Claire a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux de la part des médecins, soignants et patients courroucés. La phrase qui a mis le feu aux poudres est une réponse de la ministre à une question sur le manque d’écoute du monde médical lorsque les femmes parlent de leurs douleurs. Agnès Buzyn explique que pour mettre fin à cette « forme de mépris pour la douleur des femmes surtout en ce qui concerne les douleurs gynécologiques », elle a « pris une série de mesures pour mieux former les professionnels notamment lors des études de médecins » et insiste sur le fait qu’il est « très important qu’ils soient formés à l’écoute, et à l’empathie ».

A peine l’entretien était-il paru que pleuvaient déjà sur twitter les protestations de professionnels et d’usagers de santé visiblement piqués au vif, à l’instar de celle du secrétaire général adjoint de l’Union française pour une médecine libre (UFML) - Association, le docteur Emmanuel Zenou, qui s’est fendu d’un : « À quand un stage de bon sens, un DU de clairvoyance, voire un doctorat de gentillesse ? Vraisemblablement, @agnesbuzyn a zappé le module du respect de ses pairs dans son cursus… ». Ailleurs, on pouvait également lire : « Le système de santé, à bout de souffle, ne tient que par la dévotion et l'abnégation des soignants. Dire qu'ils manquent d'empathie, c'est leur cracher à la figure ! » ou encore : « Nos médecins traitant sont majoritairement, à la fois médecin, psychologue, et j'en passe. Ils sont juste débordés! Luttez contre le manque de médecins. Plutôt que de dire des bêtises ».

Un système de formation déshumanisant

Puisque la ministre évoque la question de la formation des médecins, c’est précisément sur ce point qu’a choisi de lui répondre le docteur Dominique Thiers-Bautrant, gynécologue obstétricienne à Aix-en-Provence, dans un billet d’humeur publié sur les sites de la Fédération des médecins de France (FMF) et de l’UFML-Syndicat. Ironisant sur la proposition d’Agnès Buzyn de créer « une certification d’empathie, des professeurs d’empathie, des tests d’empathie », elle se demande à quel moment du cursus des études médicales un tel enseignement pourrait être dispensé. Visiblement pas en Première année des études en santé (PACES), « cette moulinette à étudiants à qui on demande d’apprendre par cœur et de recracher des milliers de data dont plus de la moitié sont parfaitement inutiles au métier de soin ».

Plus tard dans la formation, quand « vient le temps du lent et laborieux apprentissage des pathologies […] mais aussi des stages hospitaliers dont l’encadrement est très aléatoire, assez souvent maltraitant, sexiste » ? Le Dr Thiers-Bautrant doute également que l’empathie y ait une place de choix. Enfin vient l’Examen classant national (ECN), pour lequel « la préparation se fait dans une angoisse extrême, au sein de facultés où bienveillance et empathie sont loin d’être des valeurs phares ». Bref : « La fac n’est pas un lieu de bienveillance, mais de contrôle et de sanctions ». Dans ce cadre où « on désapprend [les] qualités humaines pour les remplacer par des technique de management… », la gynécologue est persuadée que ces étudiants sont obligés d’avoir « la foi en leur futur métier chevillée au corps » et que l’empathie fait « partie intégrante de leur âme dans l’immense majorité des cas ». Plus qu’à tous ces jeunes, ce serait finalement « aux institutions, aux dirigeants qu’il [faudrait] enseigner l’empathie » et « cesser les gouvernances maltraitantes qui génèrent des maltraitants et brisent les vocations ».

Benoît Thelliez

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Vos réactions (4)

  • On ne saurait mieux dire

    Le 08 mai 2018

    Nos deux confrères expriment parfaitement, avec deux modes d'expression opposés le twitt et la prose, le dégoût qui nous saisit lorsqu'une consoeur ministre oublie à ce point ce qu'est son métier et le parcours difficile qui y a mené pour satisfaire au lynchage des médecins (pas des soignants en général, mais bien des médecins), à la mode dans les rédactions et "documentaires" télévisés.
    C'est tout simplement indigne.

    Dr Christine Lamarche-Arene

  • L'empathie, ça s'enseigne aussi

    Le 08 mai 2018

    Comme enseignant, je pense qu'il faut voir les études de médecine comme composées de trois parties : la partie biologique qui s'adresse à des étudiants qui, âgés de 18 à 20 ans et quelques, ont rarement une empathie chevillée au corps (on pense qu'on ne l'acquiert que plus tardivement).

    La deuxième partie qui enseigne les pathologies est peu organisée pour le faire, de même, car les stages d'externes sont courts et les étudiants sont mal intégrés dans les équipes : quel est vraiment leur rôle ? Je pense que chaque service participant à cette formation devrait le préciser clairement et donner un vrai rôle (et pas la rédaction d'observations à l'ancienne qui est à peine lue) comme du temps du vieil externat.

    Vient ensuite, à mon sens, la phase cruciale où un jeune adulte va découvrir vraiment son métier et là, le rôle du compagnonnage et de l'exemple est primordial. Il faut que les vieux (nous ne sommes plus les "patrons") soient conscients que l'exemple qu'ils donnent conditionne l'avenir de leurs élèves et il faut conserver cette relation. Je ne ferai pas l'injure au lecteur de lui faire croire que c'est le cas pour tous, avec des médecins qui se préoccupent plus de leur renommée, via les publications, et considèrent que s'occuper des malades est un travail subalterne à la limite du déshonorant. Ils ont malheureusement tendance à produire des élèves de même dispositions.

    Dans l'ancien serment d'Hippocrate, il y avait la phrase "reconnaissant envers mes maîtres, je rendrai à leurs enfants l'éducation qu'ils m'ont donnée". Encore faut-il que le maître, par sa conduite, le mérite. A mon sens, cette phrase engageait le nouveau médecin à donner son savoir à la génération suivante (et pas seulement aux enfants de ses maîtres). Elle a été supprimée, elle aussi...Le savoir n'est pas, dans notre métier, seulement la technique d'où l'importance de l'immersion de l'interne dans une équipe. Nous ne livrons pas comme médecins de 30 ans et plus les mêmes individus que ceux qu'ils étaient à 18 ans. C'est à nous de les faire évoluer pour devenir des médecins empathiques avec du bon sens en plus d'une compétence technique.

    Dr Claude Krzisch

  • Enseigner l'empathie

    Le 13 mai 2018

    Pour mémoire, cette boutade de couloir d'un chirurgien : "je dois tout à mon patron. Il m'a appris tout ce qu'il ne faut pas faire."
    L'empathie s'acquiert essentiellement sur "le terrain" au chevet des malades. Certains sont réfractaires à cet esprit. J'encourage les étudiants à s'interroger sur eux-mêmes au cours de leurs nombreuses années de formation. Si l'empathie ne vient pas, il vaut mieux qu'ils renoncent à l'exercice clinique et choisissent une voie où cette qualité est moins primordiale (biologie, recherche non clinique...). Par contre l'empathie n'est pas une caractéristique impérissable. Elle peut se perdre avec les désillusions, ou l'usure professionnelle ("burn-out").

    L'enseigner consiste surtout à l'expliquer et à démontrer son utilité dans la pratique de tous les jours (pour les futurs cliniciens). Je doute que des dirigeants, adultes confirmés dans leurs habitudes, puissent l'acquérir tardivement s'ils ne l'ont pas en eux.

    Pr Arnaud Cénac, Professeur émérite, médecine interne.

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