Dublin, le samedi 16 janvier 2021 – Ce n’est pas parce que
vous avez vous-même pardonné que la demande de pardon n’offre pas
une certaine consolation. Surtout quand elle est publique. Surtout
quand elle dit publiquement : vous n’aviez pas à subir cela, notre
péché était bien plus grand que le vôtre.
Le sentiment du devoir accompli et de sa propre
mansuétude
C’était des adolescentes ou de très jeunes femmes. Elles avaient
été amoureuses, s’étaient amusées un soir avec un garçon ou avaient
été violées.
Souvent, elles savaient à peine comment sont conçus les enfants.
Pour toutes, le même rejet, brutal, absolu. Et à l’exclusion leurs
familles s’ajoutait le sentiment confortable de leur magnanimité
puisqu’elles envoyaient leurs filles si coupables dans des
instituts religieux. Tous n’ignoraient pourtant sans doute pas le
traitement qui était infligé à ces adolescentes dans ces
couvents.
Une mortalité infantile dévastatrice
Humiliations, mauvais traitements, coups, travail forcé : le
seul fait d’être enceinte expose ces très jeunes femmes à de
multiples sévices. Elles sont comme privées de liberté : impossible
pour elles de retrouver leurs familles qui les ont bannies, mais
aussi d’évoluer dans une société irlandaise qui prive de tous
droits les filles mères et souvent même d’échapper sans être
poursuivies au-delà des murs de leurs prisons. Peu nourries, mal
soignées, leurs accouchements ne sont souvent pas pris en charge de
façon optimale. La mortalité est très élevée ; elle l’est également
pour les enfants. Un rapport de 3000 pages qui vient d’être publié
en Irlande, fruit d’une enquête très minutieuse, estime ainsi que
15 % des 57 000 enfants nés dans les maisons pour mères
célibataires entre 1922 et 1998 sont morts, soit un taux trois fois
supérieur à celui des enfants de femmes célibataires ne vivant pas
de ce type d’établissements à ces dates. Quand ils ne mourraient
pas, les enfants étaient l’objet d’un trafic juteux pour les
instituts religieux, qui n’hésitaient pas à placer (moyennant
finance) les nourrissons dans de riches familles anglo-saxonnes.
Les pistes étaient très régulièrement brouillées pour empêcher que
les jeunes filles puissent espérer retrouver leur enfant ; beaucoup
de ces institutions ont ainsi été « victimes » d’incendies de leurs
archives.
Hypocrisie
L’Irlande n’est pas le seul pays à avoir connu ces adoptions
forcées ; dans les autres pays européens encore très imprégnés de
catholicisme au XXème siècle comme
l’Espagne des scandales proches ont été dévoilés. Mais c’est
probablement le pays où les hécatombes ont été les plus importantes
et où l’assentiment de l’Etat a été le plus affiché, expliquant les
poignantes excuses prononcées cette semaine par le Premier ministre
irlandais Micheal Martin. « L'Etat vous a laissé tomber »
a-t-il reconnu. « Je présente mes excuses pour le profond tort
causé aux mères irlandaises et à leurs enfants qui se sont
retrouvés dans ces établissements. Nous avons adopté une
morale et un contrôle religieux pervers, un jugement et une
certitude morale, mais nous avons rejeté nos filles. Nous avons
honoré la piété, mais nous ne sommes pas parvenus à faire preuve de
la plus élémentaire des gentillesses envers ceux qui en avaient le
plus besoin » a poursuivi le chef du gouvernement, dénonçant
clairement l’hypocrisie de cette société irlandaise qui jusqu’à
encore récemment a commis sans sourciller ces crimes.
Dormir dans la terre d’Irlande pour retrouver sa mère
Certaines des victimes pourtant n’ont pas perdu la foi, et, au nom
de ce sentiment, ont pardonné. C’est le cas de Philomena Lee, dont
l’histoire avait été popularisée il y a quelques années par un film
de Stephen Frears sorti en 2013. Philomena, enceinte, avait été
envoyée à l’âge de 19 ans à Sean Ross Abbey. Malgré ses efforts
pour répondre à toutes les exigences des sœurs qui l’avaient
quasiment réduite en esclavage, elle ne parvint pas à empêcher que
son fils Antony lui soit enlevé et adopté par une famille
américaine. Des années plus tard, elle mène avec un journaliste ami
de sa fille, l’enquête pour retrouver son fils. Il est enterré, à
quelques mètres de l’endroit où il est né, attendant sa mère dont
les sœurs de Sean Ross Abbey ont refusé de dévoiler l’identité.
Entendant le discours de Michal Martin ce mercredi, même si comme
l’avaient évoqué les livres et films consacrés à son histoire elle
avait pardonné aux religieuses intraitables et sans pitié,
Philomena Lee soupire : « J’attends ce moment de reconnaissance
nationale depuis des années ».
Barbarie de nos idéologies : ce n'est pas du passé
Le 16 janvier 2021
Comme nos sociétés ne pratiquent plus la torture depuis Ravaillac et le chevalier de la Barre, nous pensons volontiers que NOUS, en Occident, sommes devenus aujourd'hui civilisés : s'il y a eu à l'époque contemporaine plusieurs barbaries proches de la folie sadique (génocide des juifs par les nazis), de l'esclavage (vente massive à l'Ouest de leurs propres citoyens par les pays communistes), ou du prosélytisme musulman en furie (pas besoin de préciser), ce n'est pensons-NOUS, pas notre culture "profonde" : ce sont des égarements soit exotiques, soit passagers, qui ne NOUS ressemblent pas vraiment.
Erreur : en Irlande, c'est bien NOUS, occidentaux héritiers des Lumières, imprégnés des valeurs évangéliques, et grands démocrates, qui avons été des bourreaux et des meurtriers. Tout récemment.