
Paris, le samedi 30 mai 2015 – Les prix de trois antiviraux à action directe (AAD) indiqués dans le traitement de l’hépatite C ont été publiés au Journal officiel le 21 mai dernier. Le comprimé de Daklinza des laboratoires Bristol-Myers Squibb, quel que soit son dosage atteindra 303,571 euros et celui d’Olysio des laboratoires Janssen-Cilag, 250 euros. Ainsi, « une cure de douze semaines » de Daklinza (indiqué en association avec du peg-interféron alfa et de la ribavirine) « coûte (…) un peu plus de 25 500 euros » calcule le médecin et journaliste Jean-Yves Nau dans un post récent. Concernant Olysio (indiqué lui aussi en association avec du peg-interféron et de la ribavirine), la cure complète atteint entre 42 000 et 84 000 euros. Ces montants élevés rappellent les précédentes controverses autour du prix des AAD et notamment du célèbre Solvadi, à propos duquel le gouvernement s’est enorgueilli en novembre dernier d’avoir obtenu le prix le plus bas d’Europe. Une analyse satisfaite de la situation qui a été largement contestée par les associations de patients. Pour Jean-Yves Nau, cette piqûre de rappel distillée par l’avis qui vient d'être publié au Journal officiel permet également une nouvelle fois de dénoncer l’opacité qui sévit sur les discussions économiques autour des médicaments. « Tous ceux qui aimeraient connaître le détail de ces discussions en seront pour leurs frais » note-t-il en effet, avant d’ajouter « Le monde du prix du médicament est d’une complexité qui échappe à tous ceux, qui naïvement, croient pouvoir la saisir ». Et il revient sur les révélations faites par Gilles Johanet (ancien président du Comité économique du médicament) dans l’ouvrage La vérité sur vos médicaments quant à l’existence de "rétro commissions".
Attaquer les firmes en toute transparence
L’absence de transparence dans les tractations engagées entre les pouvoirs publics et les laboratoires quant à la fixation des prix est un aspect probablement essentiel quand on aborde la question du coût des médicaments. D’autres choisissent des voies encore plus polémiques, en se montrant intraitables pour les firmes et leur aptitude naturelle (et compréhensible) à rechercher la rentabilité. C’est notamment le cas de Michèle Rivasi qui en octobre sur son blog hébergé par Rue 89 ne décolérait plus contre Gilead, qui distribue le Solvadi. « Le système de sécurité sociale est mis en danger par une industrie qui se moque du principe d’accès universel dès lors qu’elle peut extorquer des prix faramineux à une partie de la population » écrivait ainsi le député européen écologiste, connu pour ses prises de position sans nuance.
De l’impossibilité de parler d’argent quand on parle de médicaments
On peut enfin aborder la situation en osant s’intéresser à un angle de vue très pragmatique : l’évaluation du coût réel de l’innovation et au-delà l’évaluation de l’intérêt économique pour la société. C’est sur ce terrain glissant que n’a pas hésiter à s’aventurer le mois dernier Jean-Daniel Flaysakier, ne s’intéressant pas uniquement aux AAD, mais à l’ensemble des médicaments innovants qui déferlent sur le marché ces dernières années et dont les prix demandés par les laboratoires sont toujours plus élevés. Le médecin et journaliste sur France 2 n’ignore pas le caractère potentiellement polémique d’une telle approche. « Parler d’argent quand on parle de santé suscite des réactions de rejet ou des crises d’urticaire chez certains, aussi bien à droite qu’à gauche de l’échiquier politique. Mais peut-on faire autrement désormais ? » s’interroge-t-il ainsi.
Des états pires que la mort
En s’engageant dans une telle réflexion, Jean-Daniel Flaysakier ne pouvait échapper à une présentation du système britannique. « Ce sont les Anglais qui ont tiré les premiers, avec la mise en place du NICE, l’Institut National pour l’Excellence Clinique (…) Cet organisme a développé la pratique des études dites "coût-efficacité". Ces études utilisent un concept appelé QALY (Quality Adjusted Life Year). Ce concept tient compte à la fois de la qualité et de la quantité de vie apportées par une intervention sur la santé, comme la mise en place d’un nouveau traitement par exemple. Le QALY est calculé en estimant l’espérance de vie restante d’un patient recevant un traitement particulier, chaque année se voyant attribuer une pondération en fonction de la qualité de vie. L’échelle de mesure de la qualité de vie va de 1, pleine santé, à 0 pour la mort. Mais certains états considérés pires que la mort peuvent se voir attribuer une valeur négative ! Ce système n’est pas parfait, il a un certain nombre de limitations, mais il permet de faire des comparaisons entre divers groupes et de mesurer l’influence d’une nouvelle action autrement que par une simple valeur monétaire. Le NICE a fixé une sorte de limite qui fait que l’éventuelle amélioration apportée par un médicament ne doit pas excéder un coût de 20 000£ c’est-à-dire 41 000 euros (cours du 10/04/2015) » décrit Jean-Daniel Flaysakier. Loin de se montrer aussi sévère que de nombreux observateurs français avant lui à propos de ce dispositif (on se souviendra par exemple de la tribune de l’économiste Claude Le Pen publiée sur le JIM), le journaliste de France 2 en évoque les avantages et notamment le fait qu’il peut inciter certains laboratoires à revoir leurs prix à la baisse. Il note par ailleurs que cette stratégie est sous le feu de critiques contradictoires : d’une part celles de la Sécurité sociale britannique qui estime le NICE trop dispendieux et d’autre part celles des patients qui le jugent trop sévère…
Ne pas se demander seulement ce que ça coûte, mais aussi ce que ça rapporte (ou pas)
Mais pour Jean-Daniel Flaysakier, le mérite de NICE est de s’intéresser à la question de l’efficacité d’un traitement (en terme de mortalité mais aussi d’amélioration de la qualité de vie) "dans la vraie vie" et du gain pour la société. Il affirme que peu à peu cette idée fait son chemin chez les décideurs. Il évoque par exemple la méthode « Quality Adjusted Cost of Care qui combine les gains en survie et la valeur de cette survie. Schématiquement résumée, la méthode pourrait se présenter comme "En tant que société, en avons-nous pour notre argent quand nous finançons des nouveaux traitements ?" ». Pour répondre à cette question, le blogueur donne plusieurs exemples, des traitements du VIH à ceux du cancer colorectal. Pour ces différents traitements, il semble que le bénéfice soit réel, en dépit du coût initial élevé des traitements. On pourrait gager que l’équation apporterait un résultat semblable pour les AAD (en dépit des protestations encore entendues sur leurs prix et des réticences de la Sécurité sociale de faire des projections à long terme). « Mais ce genre de calcul n’aboutirait sans doute pas aux mêmes résultats avec tous les médicaments qualifiés de produits "innovants" et qui ne le sont peut-être pas tant que cela. C’est pourquoi, il paraît aujourd’hui inévitable d’incorporer des données sur la qualité de vie et sur les gains que génère l’allongement de la vie pour obtenir des modèles permettant d’évaluer autrement l’efficacité et l’intérêt d’un médicament », défend Jean-Daniel Flaysakier qui pourrait s’attirer quelques contradicteurs. Ce qui ne l’empêche pas de poursuivre : « On comprend qu’il y a une tendance pour les firmes à vouloir des prix élevés pour rentabiliser un marché très étroit. On peut donc céder à leurs demandes, mais on peut aussi se donner les moyens de voir si l’argent consacré à ces traitements est bien employé. Les ressources n’étant pas extensibles à l’infini, perdre de l’argent dans un traitement pas aussi efficace ou aussi bien toléré que prévu, c’est se priver de ressources pour d’autres innovations vraiment plus intéressantes pour la société et surtout et avant tout pour les patients » conclue-t-il.
Pour évaluer la qualité de ces différents arguments, vous pouvez
compter sur ces blogs :
http://jeanyvesnau.com/2015/05/26/le-daklinza-a-un-prix-303-euros-par-jour-associer-au-sovaldi-environ-500-euros/
http://blogs.rue89.nouvelobs.com/michele-rivasi/2014/10/14/prix-du-medicament-un-scandale-nomme-sovaldi-233648
http://www.docteurjd.com/2015/04/10/prix-des-medicaments-innovants-en-avons-nous-vraiment-pour-notre-argent/
Aurélie Haroche