
Avec l’augmentation de la survie des nouveau-nés d’âge gestationnel (AG) inférieur à 28 semaines, le pronostic neurodéveloppemental est devenu le principal problème de la prématurité. Il dépend des lésions cérébrales néonatales ainsi que des anomalies de la maturation cérébrale liées ou non à ces lésions. Les risques de lésions et de cette « dysmaturation » cérébrales sont d’autant plus élevés que l’AG est bas.
Des lésions cérébrales néonatales aux séquelles variables
En période néonatale le cerveau du prématuré peut être affecté par des lésions de la substance blanche, des hémorragies intraventriculaires, ou des hémorragies cérébelleuses. Cliniquement silencieuses, sauf en cas d’hémorragie massive, ces lésions sont détectées par l’imagerie cérébrale.
Les lésions de la substance blanche peuvent être de 3 types : (i) une nécrose kystique focale, la leucomalacie périventriculaire cavitaire (incidence inférieure à 5 % pour un AG <33 semaines) ; (ii) une nécrose microscopique focale, donnant des images punctiformes à l’IRM (incidence de 25 % aux AG <28 semaines) ; (iii) des lésions non nécrotiques diffuses, entraînant souvent une diminution du volume de la substance blanche et une dilatation ventriculaire à l’IRM (incidence de 50 % aux AG <28 semaines).
Ces lésions traduisent la vulnérabilité des pré-oligodendrocytes à l’hypoxie-ischémie et à l’inflammation (souvent infectieuse) avant 33 semaines. La nécrose kystique focale est à l’origine de séquelles neurodéveloppementales : paralysies cérébrales (75 % des cas), troubles visuels et cognitifs (50 %) et épilepsies (25 %). Les séquelles des autres formes sont discutées.
Un saignement intraventriculaire de la zone germinative sous-épendymaire débute entre H24 et H48, voire plus tôt, chez environ 25 % des prématurés. Il s’étend vers les ventricules latéraux et dans le parenchyme cérébral, réalisant l’un des 4 stades de la classification de Papile. La rupture veineuse à l’origine du saignement semble provoquée par des à-coups du débit sanguin cérébral liés à l’instabilité cardio-respiratoire.
Le saignement détruit les progéniteurs des neurones, comprime les veines (d’où un risque d’infarctus veineux hémorragique), et peut provoquer une hydrocéphalie. On oppose les hémorragies de haut grade (stades 3 et 4), qui ont comme séquelles des paralysies cérébrales, des troubles visuels et auditifs, etc., aux hémorragies de bas grade (stades 1 et 2) de meilleur pronostic.
Les hémorragies cérébelleuses sont dues à une rupture vasculaire consécutive à une hypoxie-ischémie touchant les zones germinatives et la jonction cortex-substance blanche du cervelet. Leur fréquence est estimée à 19 % par l’IRM mais leur importance est variable. Quand elles sont étendues et isolées elles sont associées à un retard mental, des troubles de la motricité, du langage et du comportement (incidences : environ 40 % pour chaque type de troubles).
Des anomalies de la maturation cérébrale ultérieure
Des anomalies de la maturation de la substance blanche et de la substance grise peuvent aussi être mises en évidence au terme théorique et au-delà chez les ex-prématurés, par les techniques conventionnelles et avancées d’imagerie par résonance magnétique (IRM).
On conçoit que l’atteinte des pré-oligodendrocytes dans les lésions de la substance blanche puisse entraîner une hypomyélinisation et des anomalies de la maturation des axones et des neurones par des mécanismes antéro- et rétrogrades. Cependant, il semble aussi exister des anomalies primitives de la maturation des neurones, comme le suggère une étude séquentielle de la fraction d’anisotropie du cortex.
Les facteurs de risque de la « dysmaturation » comprennent l’hypoxie-ischémie, et, durant le séjour dans l’Unité de Soins Intensifs Néonatale (USIN), la nutrition, les expériences négatives (douleur et stress, lumière et bruit), et l’absence d’expériences positives (soins, voix humaines, toucher).
Des associations entre les anomalies de la maturation cérébrale, appréciées au voisinage du terme théorique par comparaison avec des nouveau-nés nés à terme, et les troubles neurodéveloppementaux ont été recherchées. Ainsi, des réductions du volume cérébral total et de certaines régions du cerveau à la sortie d’USIN, sont associées à des troubles socio-émotionnels, tandis qu’une réduction de la surface et du plissement du cortex est associée à des déficits cognitifs, langagiers et des fonctions exécutives.
Des réductions de volume des thalami et des ganglions de la base sont associées à une moins bonne réussite scolaire (QI, mémoire, comportement). L’atteinte des structures profondes de la matière grise est associée à des troubles de la coordination motrice, une atteinte cognitive et langagière à 7 ans. Une atteinte du cervelet est associée à des altérations du QI, du langage, de la motricité, etc.
Certaines interventions pourraient contrer les effets de la dysmaturation cérébrale des prématurés. On passera sur la prévention de l’hypoxie-ischémie et de l’inflammation pour mettre l’accent sur la prévention de la malnutrition, de la douleur et du stress, des surstimulations sensorielles… Pour un maximum d’efficacité, ces interventions doivent débuter dans l’USIN et être centrées sur la famille.
Du point de vue nutritionnel, il faut éviter le retard de croissance extra-utérin, favoriser l’allaitement, augmenter les apports caloriques et lipidiques. En effet, l’allaitement maternel est associé à une meilleure maturation de la substance blanche (IRM volumétriques et du tenseur de diffusion).
La douleur et le stress du nouveau-né prématuré ont un impact négatif sur les zones du cerveau riches en neurones (cortex, thalami, hippocampes) et les connexions thalamo-corticales. Ils peuvent être limités par des méthodes non pharmacologiques, de l’eau sucrée avant des gestes douloureux au programme NIDCAP.
Les surstimulations auditives et lumineuses en USIN ont des effets délétères sur le développement, en particulier celui de la vision, mais, à l’inverse, la déprivation sensorielle est néfaste : le prématuré a besoin d’entendre des voix (celle de ses parents) pour parler, et d’avoir des stimulations visuelles pour développer sa vision.
Enfin, il est établi que le niveau socio-économique de la famille, le niveau d’instruction de la mère, et l’état psychologique des parents ont une influence sur le développement des prématurés.
Dr Jean-Marc Retbi