
Paris, le samedi 14 octobre 2017 – Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 qui confirme (entre autres) l’élargissement de l’obligation vaccinale qui devrait concerner 11 pathologies ou groupes de maladie a été présenté cette semaine en conseil des ministres. Cette nouvelle étape n’apaise pas les inquiétudes de ceux qui seront au premier rang pour faire appliquer cette nouvelle règle : les médecins généralistes et les pédiatres. Ces derniers sont en effet quotidiennement confrontés à des familles qui hésitent à faire vacciner leurs enfants et il est difficile de déterminer quel impact l’obligation aura sur eux.
La gestion du refus vaccinal en médecine libérale a déjà été l’objet de nombreuses enquêtes et autres sessions de formation. En septembre 2016, la Société française de médecine générale (SNFMG) avait ainsi consacré la session inaugurale de ses journées nationales à cette question. Elle avait dans ce cadre présenté les résultats d’une enquête révélant, entre autres, que l’expérience du praticien (notamment des maladies ciblées par les vaccinations) et la maîtrise du temps constituaient des atouts indéniables pour les praticiens. Cependant, a contrario, le manque de temps, mais également le sentiment de ne pas disposer de tous les arguments scientifiques pour expliquer certains éléments en particulier (tels le rôle et l’innocuité des adjuvants) peuvent complexifier la tâche du praticien.
Combien sont-ils ?
La difficulté provient également du fait qu’il n’existe pas qu’un seul profil d’opposants à la vaccination. L’estimation même du nombre de personnes présentant une réticence (plus ou moins marquée) à la vaccination est difficile. Interrogé par le médecin et journaliste (qui plus est blogueur !) Jean-Yves Nau, l’historien de la santé Patrick Zylberman (Ecole des hautes études en santé publique) remarque sur le site Slate.fr : « Les crèches des quartiers aisés de Los Angeles (…) accueillent (…) entre 3 à 7 % d’enfants non vaccinés (…). Ces 3 à 7 % d’enfants non vaccinés dans les crèches californiennes donnent-ils une juste idée du poids des anti-vaccins dans l’opinion ? Et si oui, quelle proportion y supposer pour les anti-vaccins militants, quelle proportion pour les simples hésitants ? Nous ne le savons pas » constate-t-il.
Qui sont-ils ?
De la même manière, sur son blog baptisé ASK, le docteur Sylvain Fevre esquisse les profils différents des opposants à la vaccination. « J’en ai vu des parents. Des parents hésitants, se questionnant, pas vraiment contre mais quand même pas trop pour non plus » relate-t-il avant de signaler que « le militant organisé » ne vient quasiment jamais en consultation. A contrario, la « victime embrigadée, lobotomisée par les thèses anti-vaccinales. Le dernier chaînon de la maille » n’hésite pas à aller à la confrontation. Ce type de profil se distingue du « sympathique bobo écolo homéo fixé sur les adjuvants qui réussit à jongler avec deux ou trois arguments pseudo-scientifiques glanés sur de célèbres réseaux-sociaux ». La difficulté est que chaque profil nécessite une adaptation du discours. Avec les parents hésitants « on discute, on explique, on comprend les doutes, on argumente, on échange, on partage. Et en général, on aboutit au moins à un compromis » relève-t-il.
La confrultation
Mais face à ceux que l’on pourrait ranger parmi les « victimes embrigadées » l’art de l’argumentation est bien plus difficile à mettre en œuvre. Dans sa dernière note, Sylvain Fevre raconte ce qu’il baptise sa « confrultation » (néologisme né de la conjonction entre confrontation et consultation) avec l’un d’eux. Il s’agissait du père d’une de ses jeunes patientes, opposé à la vaccination du nourrisson (quand la mère, venue seule lors des premières consultations, s’y était déclarée favorable). Sylvain Fevre raconte comment son discours habituel s’est heurté à une fin de non-recevoir, difficilement franchissable. « Je gravissais par l’angle statistique, épidémiologique, avec un discours adapté, il me crachait que tous les vaccins n’étaient que poison. Je lui rétorquais qu’il ne me semblait pas que les médecins choisissaient ce métier pour passer leurs journées à être de vulgaires empoisonneurs d’enfants, j’avais finalement droit à "tout ça n’est qu’une histoire de fric, une mafia entre les toubibs, les labos et les politiques". (…) Je retombais sur terre, tentais de réorienter le débat sur la balance bénéfices-risque, le ramenais à la raison en comprenant certaine de ses craintes, lui rappelais qu’on était justement là pour en discuter, voyais plus loin, l’éventuelle future inscription en crèche, la scolarisation. "Non ! J’ai dit non ! Du poisson ! Regardez tous ces cancers, c’est les vaccins ! Et même la maladie d’Alzheimer c’est à cause des vaccins ! " » a fini par exploser le père. Le médecin a fini par inscrire le refus de vacciner dans le dossier et a indiqué aux parents qu’il était prêt à poursuivre le suivi de l’enfant. « Pour le moment, je ne les ai pas revus ».
Vidé
Ce récit offre un aperçu de la réalité de l’obligation vaccinale à laquelle se heurteront les praticiens. Pour ces derniers, ces confrontations avec « cette indéboulonnable partie de la population » laissent un amer sentiment de gâchis. « J’en suis sorti épuisé, asséché, vidé », écrit le praticien qui ajoute plus loin que « c’est chronophage, frustrant, énervant désolant. C’est le genre de consultation qui nous pousse à la maladresse ». Dans les réactions un de ses lecteurs fait le même constat. « C’est épuisant » indique-t-il avant d’expliquer qu’il a fait le choix d’orienter ce type de patients vers la PMI. « Certains seront choqués, pour ma part je préfère donner toute mon énergie à ceux qui sont vraiment malades » indique le praticien.
Les médecins seront-ils responsables en cas d’échec de l’obligation ?
Mais au-delà de cette levée du voile sur un quotidien souvent occulté par les discours théoriques et officiels des pouvoirs publics, cette note met en lumière la complexité des enjeux, notamment ceux liés au partage de l’autorité parentale. Surtout, après une telle consultation, le praticien n’a pu que s’interroger sur l’impact sur ce type de parents de l’obligation vaccinale, récemment décidée,. L’historien Patrick Zylberman note que « La décision de se faire vacciner ou de faire vacciner ses enfants est de nature trop subtile pour n’obéir qu’à une injonction légale », même s’il reconnaît par ailleurs que si ce n’est pas « une vache sacrée, (…) c’est un outil de gouvernance ». De son côté, Sylvain Fevre s’interroge sur les conséquences quant à la responsabilité médicale d’une éventuelle inefficacité de l’obligation face à la résistance des « indéboulonnables ». « Si l’impact est nul, qui en rendre responsable ? Car il faut toujours trouver un responsable sachant que la sanction prévue actuellement pour les parents qui est de six mois de prison et 3 750 euros d’amende sera levée. On pourrait imaginer sanctionner financièrement les médecins qui n’obtiendraient pas un niveau optimal de couverture vaccinale obligatoire parmi leurs petits patients. Les indicateurs et outils d’évaluation sont déjà en place, ça serait très simple à organiser. Il suffit juste de placer le curseur, plus il s’éloigne de 100 %, moins le médecin est rémunéré. Rigolo non ? D’ailleurs le principe existe déjà. Ah on rigole moins là hein ! » imagine-t-il avant de poursuivre : « Ou encore, l’Ordre des Médecins s’étant félicité dans un communiqué de l’extension de l’obligation vaccinale, ne pourrait-on pas désormais lui demander de faire régner l’ordre justement en sanctionnant disciplinairement ces mêmes médecins ? Je parle ici des médecins qui auront fait ce qu’ils pouvaient bien sûr sans aboutir, pas des médecins divulguant des messages à l’encontre des preuves scientifiques ni ceux distribuant de faux certificats de vaccination qui séviront toujours malgré la loi et qui eux doivent être punis ». Il se demande encore quelle sera l’attitude à adopter face aux parents qui refuseront partiellement les obligations vaccinales. Ces différentes réflexions le conduisent à s’interroger sur l’acte vaccinal. « Est-il un acte médical ? L’acte vaccinal correspond pour le moment à un acte médical et à un acte technique dans le cadre d’une consultation. Je crains que l’imposer efface l’acte médical pour n’en faire qu’un acte technique. Simple acte technique, on peut concevoir d’évincer le médecin du jeu. Gain de temps, gain d’argent, réorientation du médecin sur d’autres priorités » analyse-t-il.
Cet éclairage révèle qu’au-delà de la simplicité apparente de la décision d’étendre l’obligation vaccinale, la question de la vaccination représente pour un certain nombre de cas une complexité majeure pour le médecin dans sa pratique quotidienne et ses relations avec les parents. Complexité qui ne sera sans doute pas résolue par l’injonction.
Pour éclairer la réflexion vous pouvez lire le dernier post de
Sylvain Fevre :
http://sylvainfevre.blogspot.fr/2017/10/la-confrultation.html
et l’interview de Patrick Zylberman par Jean-Yves Nau sur Slate.fr : http://m.slate.fr/story/152300/post-verite-anti-vaccins-feu
Aurélie Haroche