Samu : quand la défiance s’installe

Paris, le jeudi 17 mai 2018 - C’est désormais inévitable. Tout fait divers marquant s’accompagne d’une déferlante de témoignages évoquant des situations similaires. Tout se passe comme si tous voulaient appartenir à cette expérience collective de la manifestation du malheur. « Moi aussi… » est le début de tous ces récits. Les médias traditionnels participent à ce chœur en lançant des appels à témoignage. L’affaire Naomi Musenga ne pouvait échapper à une telle tendance et c’est ainsi que des centaines de personnes ont raconté comment ils avaient été éconduits, parfois brusquement, par des agents régulateurs du Samu (médecins ou non) et comment la fatalité n’avait pas toujours pu être évitée. Bien sûr on ne racontera pas toutes ces fois où l’agent du Samu rassure, envoie immédiatement une ambulance médicalisée, passe un interlocuteur médecins qui saura poser les questions les plus pertinentes. On racontera encore moins toutes ces fois où l’on a appelé en pleurant, convaincu d’une gravité exceptionnelle, et où finalement le diagnostic de grippe ou de gastro-entérite s’est imposé.

Allons, allons…

Si l’on n’ignore donc rien du jeu médiatique inévitable, on garde dans sa mémoire de journaliste d’autres histoires qui font écho au drame vécu par Naomi Musenga. On se souvient de cette jeune mère évoquant une fièvre très élevée chez sa petite fille et dont on a probablement mis en doute sa capacité à prendre la température ou la réalité du niveau indiqué. Ce qui a abouti au décès de la jeune patiente. On se souvient de ce jeune homme, victime d’une vilaine fracture, que le médecin régulateur du Samu avait gentiment rudoyé en lui conseillant de « réduire » lui-même ce qu’il considérait comme un luxation de la rotule ; une démarche qui a probablement contraint à l’amputation. On se souvient des jeunes femmes venant aux urgences et dont les symptômes décrits ne sont pas entendus : l’embolie pulmonaire ou l’abcès cérébral ne pourront être soignés. On lit dans la presse ces accusations d’exagération lancées à de nombreux Français et qui ont parfois payé de leur vie cette fausse interprétation.

De longues heures d’attente et de négociations parfois fatales

Ainsi, le 31 mars dernier, quand Véronique appelle pour signaler que la saturation en oxygène d’oxygène de son mari souffrant d’un emphysème est particulièrement bas, le médecin l’a soupçonné de ne pas savoir faire fonctionner l’oxymètre. Mais une vérification a rapidement prouvé qu’il n’en était rien. Néanmoins, le Samu a refusé de se déplacer, envoyant un médecin de garde qui arrivé de longues minutes plus tard a appelé les urgences. Mais quand le Samu intervient enfin, il est trop tard. Une enquête a été ouverte pour non-assistance à personne en danger par le procureur de Cahors. D’autres affaires semblables émaillent la presse aujourd’hui et ont parfois été portés devant les tribunaux.

Un appel à la régulation médicale

Comment des professionnels des secours refusent-ils si souvent d’envisager le pire ? Comment une telle défiance s’est-elle installée vis-à-vis des patients ? Pourquoi une telle réticence à envoyer une équipe sur place ? Si les suspicions de racisme ou de sexisme ont pu être formés dans le cas de Naomi Musenga (et nous y reviendrons dans notre édition de JIM +), la diversité des personnes concernées évoque un problème plus global. Sans doute, le manque de moyens n’est pas à négliger. D’ailleurs, une nouvelle fois, les responsables des structures d’urgences invitent à une réflexion en profondeur. Ainsi, dans un communiqué commun l’Ordre des médecins, l’Association des médecins urgentistes de France et Samu Urgences de France signalent : « les Présidents des trois structures ont décidé de travailler ensemble pour répondre rapidement aux interrogations éthiques et déontologiques qui se posent en matière de gestion des appels d’urgence. L’ensemble des professionnels de santé y seront associés afin d’apporter une réponse globale et concertée, à la hauteur de l’engagement et du professionnalisme des acteurs de la médecine d’urgence, qui exercent dans des conditions difficiles au quotidien ». Au-delà de cette réflexion technique, Patrick Bouet, François Braun et Patrick Pelloux ont tenu à rappeler « que les problématiques qui s’expriment dans la gestion des appels d’urgence ne peuvent être dissociées des difficultés structurelles auxquelles est confronté notre système de santé ». Le diagnostic est sans appel et ceux qui le posent espèrent qu’il ne sera pas minimisé par les responsables publics.

Alors qu’hier plusieurs marches blanches étaient organisées pour rappeler la mémoire de Naomi, les conséquences de cette affaire semblent largement dépasser le drame intime de cette famille dont la dignité a été saluée par tous.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (11)

  • Difficile dans ce contexte d'avoir toujours de l'empathie

    Le 17 mai 2018

    Je suis régulateur généraliste. Des cas pourris vous en trouverez toujours, comme dans tous les corps de métier, sauf que le notre ne peut se permettre des erreurs.
    Feriez bien d'éduquer les patients aussi avant de taper sur le corps médical et les arms.
    Venez faire le boulot, c'est parfois très très glauque.

    Par contre combien d'erreur par rapport aux nombres d'appels et combien de cas réussis ?
    Vous allez dégouter les médecins de faire ce travail, déjà qu'il n'y a pas beaucoup de candidats pour se faire insulter. Donc ça finira par une plateforme à l'autre bout de l'Europe ou du Magreb.

    Vous devriez plutot parler des urgences dont l'atteinte est de 6 heures minimum, une véritable honte avec un travail des urgentistes ereintant et encore surement plus difficile que les régulateurs.
    Alors difficile dans ce contexte d'avoir toujours de l'empathie. Disons que nous faisons notre travail le mieux possible.

    Dr Jean-Claude Plessier

  • Tous les "moyens" du monde n'y changeront jamais rien

    Le 17 mai 2018

    C'était inévitable et chacun, du simple agent hospitalier (qu'il soit "assistant de régulation" (?!), IDE ou médecin) au cadre, au Directeur de CH ou de CHU, ou politique de haut rang, doit se mettre dans le crâne qu'on n'est plus au temps de la discrétion et de la simple remise en cause interne, même compliquée de poursuites.

    On est au temps du tapage médiatique inévitable et du "procès médiatique" implacable qui tourne au lynchage, le temps de l'amalgame irresponsable où les gens qui ont accompli leur métier avec cœur et rigueur, avec empathie aussi et qui, objectivement ne traînent aucune "casserole", sont mis dans le même bain que celles ou ceux qui ont "failli". C'est le temps où Mme Michu, invitée du micro ou de la caméra de quelques "pisse-copies" aussi incompétents qu'elle et souvent pas mieux informés, vont nous expliquer comment nous devrions travailler (sans compter) après que des directions "gestionnaires" nous aient "enseigné" comment il fallait faire des économies...

    Il va bien falloir arriver à "reprendre la main" et que seuls des professionnels du soin d'urgence définissent les protocoles à suivre, en écartant des prétendus "assistants" hypothétiquement formés à une "qualification" non officielle donc plutôt virtuelle. Ce qui ne dispensera jamais personne de l'humilité ni de l'empathie indispensables à la qualité d'écoute que nous devons aux patients et à l'efficacité de notre fonction. Tous les "moyens" du monde n'y changeront jamais rien. Adopter la solution américaine du 911 n'y changera pas grand chose non plus.

    Je crois que ce n'est pas là que se cachent les problèmes,ni les solutions....

    Henry Tilly (MK)

  • Un drame évitable ?

    Le 17 mai 2018

    Tant que les décisions prises par les centres de régulation quels qu'ils soient, seront opérateur-dépendant, ce genre de drame perdurera.

    Interroger un patient au téléphone est quelque chose de très difficile et de périlleux, sans doute l'exercice médical le plus difficile car il se fait dans l'urgence avec pour seul outil l'intelligence et les oreilles. Nous tous, médecins régulateurs, avons nos "cimetières personnels" où nous n'avons pas su prendre la bonne décision. Mais nous tous avons aussi nos "petits panthéons" où notre oreille et notre cerveau ont bien fonctionné. "La médecine est un art dont l'un des outil est la science " (Georges Canghuilhem, 1942).

    Comme c'est difficile la régulation, il faut se faire aider. Des solutions d'Intelligence Artificielle existent, elles ne remplacent pas l'ARM, l'IAO ou le médecin, mais elles l'aident à poser les bonnes questions. Celles qui sauveront le patient ou du moins qui lui enverront les moyens appropriés.

    Naomi aurait-elle pu être sauvée ? Sans doute non. Mais peut-être oui : http://www.zeblogsante.com/lintelligence-artificielle-medvir-aurait-elle-pu-sauver-naomi/

    La médecine est devenue trop complexe pour n'être confiée qu'à des êtres humains.

    Dr Loïc Etienne

  • D'accord

    Le 17 mai 2018

    Je suis MG. Complètement d'accord avec vous.
    Et les deserts médicaux ?
    Et les incivilités des patients ?
    Et nos sous qui diminuent alors qu'on nous croit riche?
    On bosse dans la patiente jusqu'à epuisement
    Ceci etant dit je ne changerai de metier pour rien au monde.

    Dr FH

  • Formation ARM

    Le 17 mai 2018

    Il semblerait qu'il existe une grande disparité dans la formation des ARM. Le Pôle Santé du Lycée Valentine Labbé (59110 La Madeleine) , en partenariat avec les SAMU organise une formation diplômante de 7 mois pour former les ARM. Comment se fait-il que tous les SAMU ne fonctionnent pas de la même façon. Les formations "sur le tas" n'ont rien à faire dans la démarche qualité de la prise en charge des patients appelant.

    Gerard Fouant, Cadre de Santé

  • Déni de la réalité

    Le 17 mai 2018

    Il faut savoir rester simple...

    Chaque praticien (hors régulation médicale) sait qu'il est exposé à faire quelques erreurs dans sa carrière, plus ou moins coûteuses. Ceci malgré le fait qu'il a le patient, qu'il connait le plus souvent, en face de lui dans son cabinet, pour une période de temps qu'il choisit.

    Ce préambule étant posé, il parait logique de penser qu'un médecin régulateur qui ne connait pas le patient, qui ne l'a pas en face de lui, et qui est sous une contrainte de temps, ne peut être exposé qu'à un risque d'erreur bien plus grand.

    Or, l'acte de régulation médicale vise à trier, pour orienter au mieux vers le juste soin. Il en résulte donc des réponses non maximalistes, et ce sont celles-ci qui génèrent le plus souvent les erreurs coûteuses qui défraient la chronique.
    Notez bien que j'évoque ici les médecins, et non les assistants de régulation médicale [ARM].

    S'imaginer que les erreurs n'existeraient pas parce que tous les appels pourraient être régulés serait aujourd'hui un déni de la réalité. D'ailleurs les plaintes concernent bien plus souvent, sans commune mesure, les médecins que les ARM. Et elles restent infimes en comparaison du nombre d'affaires traitées, même si chacune d'entre elles est une épreuve douloureuse pour le médecin et la victime ou son entourage.

    Pour ce qui concerne ces ARM, le premier devoir des médecins régulateurs est de les protéger, dès lors que l'organisation est claire, avec des procédures écrites, et que celles-ci ont été respectées. Les médecins régulateurs sont responsables, moralement et civilement, de leurs subordonnés.

    A ce sujet, contrairement à l'habitude, je n'ai point vu la moindre interview d'un responsable, chef, de service ou de pôle, pour l'affaire récente évoquée ci-dessus ; mais peut-être suis-je passé à côté...

    Dr Jean-Jacques Arzalier
    Ancien chef de service du SAMU 83 Toulon (PH honoraire)

  • Samu : quand la défiance s’installe

    Le 18 mai 2018

    La presse s’empare encore aujourd’hui du décès de 2 patients âgés (PA) qui meurent sur des brancards aux Urgences surchargées du CHU de Tours.
    Le vrai scandale est pourquoi ces PA en fin de vie sont adressées pour mourir aux urgences au lieu de les accompagner dignement dans leur domicile ou en EHPAD.
    Et l’on nous bassine avec le parcours de santé !

    Dr Jean-Paul Guyonnet

  • Rétablir d'urgence la médecine de proximité

    Le 20 mai 2018

    Puisque tout le monde est d'accord pour reconnaitre la quasi impossibilité d'évaluer une situation d'urgence au téléphone,il faut rétablir d'urgence la médecine de proximité,c a d les MG.

    Du temps où ils prenaient des gardes 24h/24h,ces problèmes n'arrivaient pas car ils voyaient le malade,pratiquaient les premiers gestes d'urgence et appelaient le 15 si nécessaire.Le médecin régulateur pouvait juger la situation de manière fiable,avec un dialogue avec un médecin !
    mais,c'est justement toute cette médecine de proximité qui est à revoir et cela me parait très difficile actuellement ! Cela passe surement par une revaloristion importante de la MG.

    Dr Jean-Louis Canivet

  • Fonctionnement des EHPAD (au Dr Guyonnet)

    Le 21 mai 2018

    Tout à fait d'accord, c'est un scandale d'envoyer des personnes en fin de vie aux urgences.
    Mais seuls les gros EHPAD hospitaliers sont médicalisés et disposent d'infirmières de nuit, la très grosse majorité, les EHPAD territoriaux ou privés, fonctionnant avec une AS et un autre agent pour environ 80 résidents.

    Outre le fait que leurs nuits sont très chargées (ménage, sonnettes, préparation des plateaux, toilettes...), elles ne prendront pas la responsabilité d'examiner le patient et de décider si l'on hospitalise ou pas, car ni leur pratique ni leur mission ne les y prédisposent.
    Seules les IDE expérimentées gèrent ces situations, et elles ne sont présentes en EHPAD que de 7 heures à 19 heures...

    Catherine Harris (IDE)

  • Parti de travers

    Le 21 mai 2018

    Canivet a raison. La médecine est une discipline bien difficile alors pourquoi faire tant d'efforts pour se priver de l'examen clinique. À moins de faire sortir le SAMU sur tout, donc sur n'importe quoi, la régulation passera toujours à côté de cas graves. En passant de la gestion de l'urgence à la gestion de l'impromptu, en oubliant les effecteurs de terrain (M G qu'il fallait former)le système, très coûteux, est bien mal parti. Revenir en arrière sera bien compliqué.

    Dr A Millet

  • La science ou les moyens?

    Le 22 mai 2018

    1- "les présidents des 3 structures": des organisations représentatives, plutôt... Et uniquement hospitalières. On ne parle donc pas des CTA (le 18) des sapeurs-pompiers qui reçoivent aussi les appels de détresse, pour 1 départ VSAV toutes les 7 minutes (incluant les "départs réflexes", prérégulés par typologie, et post-régulation du CRRA 15 par bascule au 15 ou demande initiale du 15).

    2- Les histoires de chasse y poussent tout aussi bien. La grosse dizaine de plateformes communes 15-18 ne préservent certes pas des erreurs humaines (comme ici, où une mauvaise impression de départ se communique d'intervenant en intervenant, mais chaque fois seul avec ses données et son préjugé du moment), mais permettent de se corriger réciproquement en un même lieu et de rattraper une erreur ou une sous-évaluation en temps réel. Le contact humain est supérieur aux plateformes virtuelles: ces dernières ne sont au minimum que des transferts d'appels...

    3- Le système est sous tension depuis bien longtemps, à la merci du moindre aléa: j'ai vécu en tant que régulateur les stigmates de la tempête Klaus, la grève début 2000 des gardes des médecins libéraux soutenue par la grève des transporteurs sanitaires simultanée, et la canicule de 2003. Un enfer de régulation noyé sous les appels, sans solution. Par ailleurs partout dans nos campagnes la réponse des sapeurs-pompiers est dépendante de la disponibilité des volontaires.

    Les autres pays européens et nord-américains ont-ils autant de capacité de réponse (sous tension...) que nous, toutes considérations socio-géographiques incluses ? Mais quand on n'a plus d'effecteurs de toutes natures, la "tête" ne suffit plus: pas de bras, pas de chocolat...

    Dr Dominique Alberti

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