S’il faut que les patients meurent…

Paris, le samedi 4 juillet 2015 – La mort n’est plus tout à fait un sujet tabou sur internet. Les blogueurs et autres utilisateurs du web la questionnent fréquemment, notamment pour s’intéresser à l’euthanasie et au suicide assisté. Mais difficile d’échapper aux positions militantes : les blogs qui évoquent "l’accompagnement de la fin de vie", soit de manière ponctuelle et plus encore lorsqu’il s’agit de leur principal sujet, sont schématiquement animés par deux types d’auteurs. On y retrouve ou des militants très favorables à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ou au contraire des proches des milieux "pro vie" qui fustigent toute idée d’interruption des traitements et plus encore de "sédation terminale". Dans ce cadre, sauf quand ils en sont eux-mêmes les auteurs, les médecins sont souvent "instrumentalisés" : considérés comme de potentiels gêneurs de mourir en rond par les premiers et érigés en symbole de la confiscation du droit de mourir comme on l’entend, ils sont pour les seconds des prétextes bien utiles pour s’opposer mordicus à toute possibilité d’entendre les éventuels souhaits des malades de quitter la vie.

Pas des monstres froids

Et puis, il y a ceux qui, bon an, mal an, rencontrent chaque jour ces patients. Ces patients qui vont mourir, dans un mois ou dans un an, comme aurait pu l’écrire Françoise Sagan. Ils ne sont plus les monstres froids incapables d’entendre les souhaits des malades  et uniquement soucieux de protéger leur petit pouvoir, parfois décrits par les défenseurs de l’euthanasie. Ils ne sont pas non plus des serviteurs acharnés du progrès médical, qui préfèrent l’acharnement thérapeutique à tout renoncement. Ils sont des humains, des médecins, parfois quelque peu influencés par l’affection qu’ils portent à leurs patients et qui éprouvent, régulièrement, les limites des textes bien établis sous les coupoles.

"Nous", quoi qu’il arrive, quoi qu’ils décident

Le cardiologue Jean-Marie Vailloud a ainsi illustré dans deux notes récentes les dilemmes, les interrogations, la culpabilité du médecin face à un patient qui pourrait mourir bientôt. Il raconte ainsi par exemple comment une de ses patientes a choisi de renoncer à une intervention vitale, ne souhaitant « tout simplement pas prolonger sa vie au-delà de ce que le destin lui a alloué ». Pas de dissertation éthique ou idéologique ici sur le droit des patients à accepter un traitement, mais l’évocation avec pudeur des sentiments nés de cette "décision". « Je l’ai adressé à un ami qui a confirmé l’indication chirurgicale (…). Il a culpabilisé devant le refus de la patiente. Moi aussi. Ai-je été assez clair sur les enjeux de cette intervention. N’aurais-je pas pu être plus persuasif  ? Je pense que nous nous sommes posé les mêmes questions » observe-t-il. Puis, après avoir tenté difficilement de se « mettre à la place de la patiente, d’oublier Kaplan-Meyer et d’oublier l’affection que j’ai pour elle », il lui a assuré qu’il « l’accompagnerait jusqu’au bout ». En quelques lignes, en filigrane, se dessine ce qui se joue dans la relation médecin/malade face au choix d’un patient de ne pas accepter un traitement "indispensable". Il apparaît clairement que le médecin n’est pas la proie d’une blessure narcissique face au refus du malade, d’une déception face à la manifestation d’un rejet de la science médicale, mais éprouve bien plus probablement la crainte de ne pas avoir parfaitement rempli son rôle et une certaine tristesse face au désir d’un patient de ne pas poursuivre l’existence et de ne pouvoir lui offrir qu’un "accompagnement". Le médecin se retrouve alors presque dans une position proche de celle des parents de la patiente : « Même s’ils n’approuvent pas sa décision, elle s’y tiendra ». La différence est que le médecin, lui, devra, même s’il n’approuve pas la décision, être toujours auprès du patient, continuer à former une union solide avec le malade « Et quand les premiers symptômes apparaîtront ? Nous verrons, a-t-elle répondu. Nous verrons cela, ensemble », conclue l’auteur du blog Grange Blanche.

Directives anticipées : médecin concerné et non prisonnier

Il avait déjà évoqué ce rôle très particulier du médecin face à la mort de ses patients, un rôle très éloigné du censeur ou du facilitateur parfois dessiné par des écrits plus caricaturaux. Il s’était ainsi interrogé sur la difficulté (et tout en même temps la nécessité) d’évoquer la question des "directives anticipées" avec les patients. « Les directives anticipées, c’est compliqué… Pas tellement d’un point de vue législatif, le texte est clair, mais d’un point de vue pratique. Le point qui me semble le plus épineux est de savoir à qui en parler. Logiquement, à tout le monde (Toute personne majeure…), mais je trouve compliqué d’en parler à un patient qui sort d’une intervention lourde ou d’un syndrome coronarien. Difficile d’évoquer sa propre mort à quelqu’un qui l’a frôlée ou du moins qui a eu l’impression de le faire. Pourtant c’est justement à ces patients qu’il faudrait le plus en parler » remarque-t-il. Ici encore, on découvre un médecin qui ne se considère en rien le prisonnier des "directives anticipées" que pourraient rédiger les patients (comme certains opposants au fait de les rendre plus contraignantes le redoutent). On constate par ailleurs qu’il accorde une véritable importance à la connaissance de ces directives. Son souci est donc pratique : comment quelle que soit leur teneur faire mieux connaître ces textes, pour éviter des situations dramatiques.

Un fichier des directives anticipées

Aujourd’hui, rares sont les Français à avoir établi de telles directives : « L’utilisation des directives anticipées demeure très confidentielle : selon une étude récente de l’Ined, elles ne concernent que 1,8 % des patients pour lesquels une décision de fin de vie a été prise alors qu’ils n’étaient "plus en capacité de participer à la décision" » remarquait le Conseil national d’éthique cité il y a quelques mois sur le blog du journaliste et médecin Jean-Yves Nau. Pour les faire mieux connaître et pour éviter que certaines ne soient oubliées, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a mis en place un "fichier" non officiel des directives anticipées. Une mesure qui a séduit les députés lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi Leonetti Claeys à l’Assemblée nationale.

Pour découvrir in extenso les réflexions du docteur Jean-Marie Vailloud sur la fin de vie et d’autres sujets, vous pouvez vous rendre ici :
http://grangeblanche.com/

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • Ceux qui s'approchent

    Le 04 juillet 2015

    Ma préférence irait aux témoignages de celles et ceux qui s'approchent des patients en fin de vie. Bien sûr, tout citoyen a le droit d'émettre une opinion. De même, les professionnels et les bénévoles ne sont pas davantage détachés des courants d'idées de leur temps que tout un chacun. Toutefois, n'avoir que deux ou trois expériences familiales, toujours dominées par la dimension affective, ne permet pas d'avoir une perception variable des situations rencontrées, toujours complexes. Nous sommes tous, face à la mort, enclins à affirmer des certitudes qui pourraient nous rassurer. Le recul des idéologies religieuses n'est pas étranger à cette attitude. Mais aussi le flou qui s'est récemment instauré sur la fin de vie du fait des progrès en matière de médecine et de l’émergence des maladies chroniques. Concrètement, quand j'exerçais en Afrique, un adage disait qu'une personne âgée malade allait forcément mourir. Ici et maintenant, elle commence souvent à peine à se soigner.

    Dr B Pradines

  • Le consentement et le droit des patients

    Le 04 juillet 2015

    La mort et ses rites sont progressivement effacées de notre vie sociale. Néanmoins, elle reste incontournable et le deuil n'en est parfois que plus lourd à porter. Au Canada, et notamment dans les communautés anglophones, il est encore fréquent de voir des voisins, même inconnus, préparer les repas de la famille choquée par la perte d'un proche.
    Pour ce qui est des soins et du choix des patients, il existe plusieurs dispositifs qui permettent à chacun de manifester clairement sa volonté et les médecins, même en cas d'urgence vitale, doivent s'assurer de les respecter.
    Chaque adulte (et dans une certaine mesure un jeune de plus de 14 ans) doit donner son consentement aux soins et est libre de les refuser. Cette « directive de soins de vie » peut être verbale, mais préférablement écrite et contresignée par des témoins ; elle peut être aussi légalisée par l'intervention d'un avocat ou d'un notaire qui en confirme l'authenticité. Cela peut se faire également par écrit dans le cadre, notamment, d'un mandat en cas d'inaptitude (qui doit être homologué par un juge) donnant à une ou plusieurs personnes le droit d'agir en représentation de la personne inapte.
    En cas d'urgence vitale, les premiers secours interviendront, mais s'ils sont informés que la personne a émis dans des formes acceptables un refus de soins ou de « soins excessifs », ils sont tenus de les respecter. Ainsi, dans une maison de retraite, le personnel non médical doit pratiquer les gestes de premiers secours, même si la personne a déclaré refuser les soins et que le document figure dans son dossier médical, jusqu'à l'arrivée des « paramedics » qui prendront alors la décision de ne pas les poursuivre, s'il y a lieu. Un mandat notarisé désignant des représentants autorisés sera également enregistré dans un registre notarial qu'il est possible de consulter depuis tout hôpital, par exemple.
    Néanmoins, le médecin devra toujours tenter de vérifier auprès du patient si le refus de soins reste valide au moment clé, mais le choix du (futur) patient reste en tout temps opposable et pour autant qu'un juge - en cas de litige - le déclare valide, les professionnels de santé et parents doivent le respecter. Bien entendu, en dehors des cas d'urgence, les médecins sauront, on le souhaite, accompagner leurs patients.
    Ces disposition non légales (prolongement du droit des patients) ne doivent pas être confondus avec les débats législatifs en cours dans certaines provinces sur le droit à l'euthanasie et au suicide assisté.

    Dr H. du Verle

  • La mort faisait partie des histoires de familles

    Le 11 juillet 2015

    Tant que la mort ne sera pas établie comme un moment particulier de la vie aucune loi ne viendra apaiser la souffrance normale de ce passage... Auparavant la mort faisait partie des histoires de familles car 75 % des personnes mourraient chez elles... mais pour des raisons mercantiles et par les changements sociaux d'aujourd'hui ce sont les même 75% des personnes qui meurent seules dans un lit d'hopital où trop rarement ces moments sont accompagnés... Beaucoup trop de professionnels n'ont pas encore une culture de la mort et de son accompagnement car ils ont les même craintes que tout à chacun... L'évolution "moderne" de notre système démontre ses limites humanistes malgré des "beaux" discours qui flattent les palabres souvent creux.

    Gilles Dupont

  • Le médecin a une conscience

    Le 11 juillet 2015

    Yaka, faut qu'on etc...on veut tout régler et tout légiférer dans un monde ou tout est codifié même la cuvette des toilettes ! Qu'on foute la paix au médecin qui se retrouve face à son malade qui va mourir. Certes le médecin a besoin de conseils et d'aide mais il a une conscience et une longue expérience pratique.Il connait son patient et sent ou sait ce qu'il faut faire. Foutons lui la paix !

    Dr Pierre Rouzaud

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