Trop de MDPH tue la MDPH

Paris, le samedi 3 septembre 2016 – Des centaines de parents n’ont pas pris le chemin de l’école jeudi. Ils n’ont pas affiché un sourire forcé face à leurs rejetons traînant des pieds à l’idée de rencontrer leur institutrice et leurs nouveaux amis. Ils ne se sont pas couchés, rassurés d’avoir passés cette première journée sans trop d’embûches. Leurs enfants n’iront pas à l’école. Ou seulement quelques heures par semaine. Leurs enfants sont atteints d’un handicap qui les empêche de voir s’ouvrir les portes des établissements scolaires. Dans certains cas, « l’inclusion » dans le monde scolaire est tout simplement refusée par les directions des écoles, n’hésitant pas,  sous de faux arguments, à violer la loi. Dans d’autres, la demande d’Assistante de vie scolaire (AVS) n’a pas encore abouti. Ou la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) n’a pas encore eu le temps de statuer sur les aménagements à mettre en place.

Un problème ? Une mission pour la MDPH !

Ces structures nées avec la loi du 11 février 2005 sur l’intégration des personnes handicapées croulent sous les dossiers et les demandes. Et les délais d’attente s’allongent. Les raisons de l’encombrement des MDPH sont multiples. Dans cette liste, sans jouer un rôle prépondérant, une utilisation irraisonnée de ces services n’est pas exclure. De la même manière qu’il existe probablement une surmédicalisation, s’installe en effet sans doute dans notre société une tendance à considérer tout "décalage" avec les normes, toute "difficulté" à s’intégrer comme la manifestation d’un handicap. Un handicap à prendre en charge le plus rapidement possible.

Diagnostic différentiel

Sur son blog baptisé ASK, le docteur Sylvain Fevre observait ainsi dans une note récente. « L’école, alors qu’on ne lui fournit pas toujours les moyens indispensables à l’accueil du handicap ni les outils de compréhension des autres souffrances, devient dans le même temps ce lieu de pression pour les enfants n’entrant pas dans le moule scolaire. Alors on tente de les faire entrer dans celui de la MDPH ». Et pour illustrer son propos, le praticien évoquait l’exemple en partie fictif d’un jeune enfant présentant des troubles du comportement en maternelle et un retard de langage face auxquels il serait aisé de proposer ce qu’il appelle "une MDPHisation". Pourtant, de tels symptômes pourraient s’expliquer différemment que par l’existence d’un handicap, par exemple par l’exposition à des violences physiques ou psychiques. « Je ne suis pas spécialiste de la question mais sans être pédopsychiatre ni "psycho traumatologue", on peut aisément imaginer qu’un jeune enfant normalement en pleine phase de construction présente quelques difficultés lorsqu’il est quotidiennement baigné dans un climat de violences. Ces difficultés se présentant sous la forme de symptômes que l’on retrouve également dans certaines pathologies relevant effectivement du champ du handicap donc de la MDPH » analyse-t-il.

Double effet

Par cette réflexion, Sylvain Fevre n’entend nullement dénoncer le rôle des MDPH : il insiste à plusieurs reprises sur le fait que le travail de ces structures est largement utile. Cependant, il entend mettre en garde contre une systématisation du recours à ces dernières. Cette systématisation a des effets dommageables non seulement pour le sujet lui-même, qui peut se voir entraîner dans un "parcours" et un "système" qui ne répond pas à ses difficultés propres, mais aussi pour l’ensemble de la société puisque sa prise en charge risque de priver d’autres individus, dont les besoins sont plus réels, d’une réponse adaptée.

La MDPH : la réponse à tout !

Cette tendance est probablement le résultat du manque de formation du monde enseignant et des personnels d’autres structures, du désarroi du système scolaire face à certaines situations et aussi d’une certaine absence de moyens alternatifs. A cet égard, la MDPH est un paravent face aux nombreux manques, un paravent qui sert d’excuse facile aux décideurs politiques. « La MDPH noyée sous les dossiers ne représente-t-elle pas ce bel alibi politique leur permettant de se défiler face à la nécessité de repenser l’école ou encore la façon de prendre en charge une partie des difficultés éducatives, sociales et familiales des uns et des autres » analyse Sylvain Fevre.

Intervenir à tout prix

Cette "MDPhisation" s’explique également probablement par un interventionnisme de plus en plus marqué. Cet interventionnisme se retrouve dans la sphère médicale pure et Sylvain Fevre donne plusieurs exemples de la surmédicalisation de notre société, une surmédicalisation qu’il juge souvent dommageable. « Comme il y a de faux positifs avec certains examens, donc des malades en parfaite santé, des cancéreux sans cancer, des hypercholestérolémiques considérés comme malades donc traités alors qu’ils ne risquent rien, des prostatectomies-mastectomies-appendicectomies-chimiothérapies évitables et bien d’autres exemples pourraient suivre, je pense ne pas trop m’avancer en affirmant qu’il y a certainement des personnes MDPHisées alors qu’elles ne relèvent pas du champ du handicap » avance-t-il. A cet interventionnisme, s’ajoute un désir d’étiqueter, de cataloguer, de définir de plus en plus pressant, notamment en médecine. « Nous avons la fâcheuse tendance, médecins ou non, à trop fréquemment établir un rapide raccourci entre un symptôme et une maladie, à considérer un simple facteur de risque comme une pathologie à traiter sur le champ », regrette-t-il.

Le vrai handicap

Cette "MDPhisation" pourrait également avoir pour conséquence de déformer la perception du handicap. Hier, il était essentiel que la société porte un nouveau regard sur le handicap en renonçant à l’exclusion. Mais aujourd’hui, en faisant de chaque enfant perturbé par certains aspects de sa vie un enfant malade, en dessinant, comme récemment dans une dépêche de l’AFP sur la Silicon Valley les "geeks" timides comme de potentiels "autistes", ne va-t-on pas conduire à oublier que le véritable handicap est différent et source de souffrances souvent plus importantes ?

Pour lire le post de Sylvain Frère : http://sylvainfevre.blogspot.fr/2016/06/mdph-fabrique-handicaps.html.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (6)

  • S'exprimer sur des sujets que l'on connaît

    Le 03 septembre 2016

    Ce cher confrère qui émet des opinions sans avoir rencontré des enfants ou des adultes atteints d'un handicap qui attendent avec désespoir des mois, puis doivent recommencer tous les 2 ans (et les médecins qui les suivent aussi).
    Ce serait bien de s'exprimer sur des sujets que l'on connaît et que l'on a rencontré dans sa pratique clinique, car avoir des propos aussi réducteurs est extrêmement violent pour tous ces gens qui auraient voulu être comme les autres et doivent tout le temps "prouver " qu'ils sont suffisamment handicapés pour "mériter" une aide financière, voire humaine leur permettant simplement d'aller à l'école, partir en voyage scolaire, manger à la cantine, manger tout court, sortir de chez eux...
    Et c'est trop fréquent en France.

    Dr Angela Rousseva

  • MDPH à tout crin

    Le 04 septembre 2016

    Ce que je vois, moi, ce sont plusieurs patients ou familles chaque jour qui viennent me demander de remplir des certificats MDPH pour essayer d'avoir "quelque chose" alors qu'il n'y a pas de handicap mais enfin on essaye toujours, ou bien des enfants pour lesquels l'existence d'un dossier MDPH est facilitateur pour certains établissements scolaires au niveau de la mise en place d'aides.

    Au total, une MDPH largement sous-dotée en personnel, encombrée de centaines de dossiers qui ne relèvent pas du handicap à proprement parler, et de l'autre côté un risque de retard dans la gestion des handicaps lourds (je dis un risque car les personnels sont formidables et que je n'ai pas l'information sur l'existence ou non d'un tel retard).

    Dr Christian Cochetel, ophtalmologiste, La Réunion

  • Ne pas s'exprimer quand on connaît pas

    Le 04 septembre 2016

    Bonsoir Dr Rousseva,
    Si vous vous intéressez au monde du handisport, le nom de Fevre devrait pouvoir vous dire quelque chose. Cédric Fèvre est un de nos beaux champions français et le frère de l'auteur du blog.
    http://www.cedric-fevre.fr

    Dr Philippe Roux

  • Juger à son aune

    Le 05 septembre 2016

    Il semblerait que le problème en France soit culturel : nous sommes (dé)formés à juger d'un handicap comme une soustraction à une norme fonctionnelle. Je juge le handicap de l'autre sur ma bienportance ou sur la norme sociétale de celle-ci. Tout ce qui n'entre pas dans la Norme fait figure d'aNormal et préfigure un handicap. On a meme été jusqu'à en créer en refusant la latéralité gauche chez les enfants à l'éducation nationale !
    Ainsi donc, le handicap est posé sur ce que la personne est sensée "ne plus pouvoir faire" et moins sur ce qu'il peut réellement faire... Parce que pour le faire, elle s'y prend autrement... l'autrement. L'autre comme alter-égo. A la fois si semblable et si différent de soi.
    La médecine française a un rapport à la norme très marqué, trop marqué à mon goût.

    Peut-être que si cette évaluation était confié à un autre professionnel de santé habitué à gérer les handicaps, et à voir ce que l'autre est en capacité de faire, nous aurions moins de personnes "handicapées".

    Abordons donc le handicap dans ses vraies inégalités... que savons-nous des problèmes de vie quotidienne des personnes de petite taille dans notre société ? Des illettrés, ce handicap que l'on ne voit pas...
    Le handicap n'est-il pas plus le résultat d'une conception de la personne trop normée dans notre société que de l'évaluation d'une difficulté réelle à ne pouvoir satisfaire seul(e) les activités de la vie courante ?

    Plutôt que de juger à son aune, on devrait juger sur l'autonomie qu'est supposé grèver cet handicap.

    Charlaine Durand

  • En réponse au Dr Rousseva

    Le 05 septembre 2016

    Il y a plusieurs hypothèses : soit vous n'avez pas lu l'écrit original pourtant cité à la fin de cet article, soit je me suis très mal exprimé (ce que je peux entendre), soit vous n'avez rien compris alors qu'au final je pense que nous sommes d'accord et que nous dénonçons chacun à notre façon les mêmes problèmes (comme par exemple certains délais d'attente inhumains pour des personnes handicapées et leur famille, ce qui est effectivement violent et source de souffrances supplémentaires). Je pense que ce constat est écrit noir sur blanc dans mon post. Quant au fait que je n'aurais jamais rencontré les situations sur lesquelles j'ose m'exprimer, alors là, je serais curieux de la recette employée pour en arriver à une telle affirmation. Je ne suis manifestement pas le seul à m'exprimer sur ce que je ne connais pas ;-)
    Avec mes plus chaleureuses et confraternelles salutations.

    Dr S. Fevre

  • En réponse au Dr Fèvre et Dr Roux

    Le 11 septembre 2016

    Oui, j'ai écrit sous le coup de la colère, car l'article qui est présenté va être très certainement utilisé dans le sens premier, celui que nous, psychiatre minoritaires, entendons trop souvent:
    L'autisme est le fantasme de la mère-crocodile etc!...
    Le déficit attentionnel avec ou sans hyperactivité est un produit des USA et un complot de l'industrie pharmaceutique...
    La bipolarité est aussi un produit du complot ...
    Et malheureusement, sans nier les difficultés et le courage des personnes porteuses d'un handicap moteur, qui peuvent se présenter aux jeux paralympiques parce qu'ils ont la possibilité de retrouver leurs ressources mentales, le handicap "caché" est mal reconnu par tous !

    Il n'y a qu'à regarder le certificat médical de la MDPH! Il ne prévoit pas beaucoup de place pour le handicap mental.

    J'ai un bon nombre d'autistes Asperger et des TDAH, qui sont très "intelligents", et marchent, donc, pas de reconnaissance, ou pas suffisamment pour qu'ils puissent bénéficier des aides humaines.
    Sans parler de l'absence quasi totale de personnel formé pour ce type de handicap.
    Pour résumer, je ne réagis pas forcément au fond de votre article, mais à son titre et aux quelques allégations raccourcies qui sont très facilement détournables, comme le sont et l'ont été des infos sur les vaccins ou sur les statines...ou les antidépresseurs.

    Dr Angela Rousseva

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