Truvada : comment prévenir la polémique ?

Paris, le samedi 5 décembre 2015 – L’annonce de l’octroi d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) de Truvada à titre préventif a été largement saluée par les associations de lutte contre le Sida et de défense des homosexuels, qui se sont en outre félicitées de la promesse d’une prise en charge à 100 % du traitement dans ce cadre.

Cependant, au-delà de ces déclarations politiques, de très nombreuses questions demeurent. Le protocole qui doit préciser les indications et les conditions de prescription n’a pas encore été publié, tandis qu’il reste difficile d’évaluer l’impact économique d’une telle mesure. D’abord, parce qu’on ignore combien de personnes, au sein des populations qui seront ciblées par la RTU, choisiront de se tourner vers la prophylaxie pré-exposition (PrEP) et ensuite parce qu’aucune information n’a filtré sur une éventuelle renégociation du prix de Truvada, dont le coût s’élève aujourd’hui à 14 euros le comprimé.

Grand n’importe quoi

Ces imprécisions et d’une manière générale les choix faits par les pouvoirs publics soulèvent certaines interrogations, voire des critiques à peine voilées. D’abord, beaucoup s’irritent d’erreurs manifestes de communication qui ont favorisé une confusion délétère. « Comme on pouvait le redouter, c’est la plus grande des confusions : sur les chaînes d’information continue le Truvada est devenu « le médicament qui permet de ne pas attraper le sida »…  une sorte de préservatif amélioré pour tout un chacun. Et ce ne sont pas, sur les mêmes chaînes, ce que l’on entend des déclarations de Marisol Touraine qui aideront à dissiper les confusions. On ne parle plus de prescription mais de distribution… On  trouvera le Truvada dans toutes les pharmacies… Il sera remboursé à 100 %… Faute de discours public médical structuré c’est à l’évidence le risque du grand n’importe quoi, les impasses de l’incompréhension collective », s’indigne le médecin et journaliste Jean-Yves Nau sur son blog.

Un comprimé de Truvada = vingt préservatifs

Cette communication trompeuse, facilitée par les approximations des pouvoirs publics, contribue à passer sous silence les défauts du Truvada, sur lesquels le docteur Jean-Daniel Flaysakier revient sur son blog. Il rappelle tout d’abord qu’à la différence du préservatif, l’efficacité du Truvada, même dans les études les plus positives à son égard, n’atteint jamais 100 %. Surtout, il s’inquiète du risque d’augmentation d’autres infections sexuellement transmissibles (IST) contre lesquelles ne protège par l’anti rétroviral, à la différence du préservatif. Aussi, Jean-Daniel Flaysakier estime que si l’autorisation de ce traitement à titre préventif peut représenter un « progrès », il convient de ne « pas en faire un produit miracle et magique ». En conclusion, sans s’attarder, le journaliste de France 2 pose également la question du coût de ce traitement en faisant remarquer : « Un comprimé de Truvada représente le prix de vingt préservatifs ! ».

Et pourquoi ne pas rembourser le préservatif ?

Si Jean-Daniel Flaysakier ne semble pas vouloir s’attarder sur les questions posées par le remboursement du Truvada à titre préventif, d’autres n’hésitent pas à ouvrir le débat. En rappelant à plusieurs reprises que le choix du remboursement a été annoncé sans qu’aucune donnée ne soit disponible sur l’évaluation du coût pour la collectivité d’une telle mesure, Jean-Yves Nau constate qu’à tout le moins cette dernière ne peut que relancer la réflexion sur la pertinence de prendre en charge le préservatif. « Il est plus que vraisemblable qu’une fois calculé le rapport "cout-bénéfices" la mesure apparaîtrait hautement rentable pour les deniers de la collectivité. Pour n’être pas nouvelle la question retrouve, du fait de la décision Truvada -prophylactique, une nouvelle dimension politique » souligne-t-il.

Pas de préservatif contre la maladie de Crohn

Cependant c’est très certainement le docteur Marion Lagneau sur son blog Cris et chuchotements qui se montre le plus incisive sur cette question. Si la « concurrence » entre malades est un exercice auquel on ne se prête qu’avec réticence, le praticien invite cependant à la réflexion en donnant pour exemple une patiente atteinte d’une maladie de Crohn depuis son adolescence, prénommée Manon. Dans le cadre de son suivi au long cours ou pour investiguer d’éventuelles nouvelles rechutes, cette patiente doit réaliser des examens dont certains, faute de nomenclature, ne sont pas encore pris en charge par la Sécurité sociale, tel le dosage de la calprotectine ou la recherche d’anticorps anti-infliximab dans le sang. Face à cette situation, Marion Lagneau remarque : « Contrairement à l’imprévoyant qui se verra offrir du Truvada, Manon n’a aucune influence sur ce qui l’atteint. Elle n’aurait rien pu faire pour éviter d’être atteinte par cette maladie, elle n’aurait jamais pu agir pour prévenir l’apparition d’une nouvelle poussée. Si on lui avait dit qu’elle pouvait agir d’elle-même pour éviter cet orage, comme mettre un simple préservatif, Manon l’aurait fait sans hésiter. Un petit geste pour éviter d’être malade pour la vie. Une action que des indifférents ne veulent pas faire, mettre un préservatif, préférant prendre un médicament d’action préventive hors de prix. N’est-ce pas questionnant ? » analyse-t-elle. Elle constate par ailleurs que si les associations de patients atteints de maladies inflammatoires chroniques peuvent se mobiliser sur de tels sujets, « leur audience n’a sûrement pas la puissance de tir des groupes s’occupant de prévention VIH ». Enfin, elle conclue qu’il « n’y a pas de raison que l’on rembourse du Truvada en préventif tandis qu’on laisse des patients atteints de maladies inflammatoires digestives débourser des sommes importantes pour leur santé ».

L’argumentaire sans doute fera l’objet de quelques commentaires, mais met en évidence le fait que certaines décisions sanitaires mériteraient peut-être de voir leur fond et leur forme davantage soignées.

Pour découvrir ces différents développements in extenso, rendez-vous sur les blogs de
Jean-Yves Nau : http://jeanyvesnau.com/2015/12/01/truvada-en-prevention-la-verite-officielle-de-son-utilisation-face-au-risque-du-grand-nimporte-quoi/
Jean-Daniel Flaysakier : http://www.docteurjd.com/2015/11/25/truvada-une-prevention-utile-dans-certains-cas-mais-qui-nest-pas-une-panacee/
Et Marion Lagneau : http://cris-et-chuchotements-medicaux.net/2015/11/30/maladies-inflammatoires-digestives-remboursez-durgence-svp/

Aurélie Haroche

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Vos réactions (3)

  • Pas de lobby puissant pour les MICI

    Le 05 décembre 2015

    Oui, mais il n'y a pas de lobby puissant pour les MICI comme pour les homosexuels, et ils n'ont pas de journaux dédiés, de magnat de la presse ou de maire de capitale pour les représenter, les "défendre", les magnifier, les sublimer, pas de Crohn pride, rien que des souffrances que l'on cherche à cacher(....).

    Dr Jean-Fred Warlin

  • Vous pensez qu'ils vont y arriver ?

    Le 06 décembre 2015

    Alors, on le prend ce soir ? Car on va voir cet ami qui…A moins que l'on emmène la boite de préservatif ? Mais si on prend le Truvada et que finalement on n'aille qu'au cinéma ? Que se passera-t-il ? Ca marche combien de temps ? Le médecin va m'en prescrire à nouveau si j'ai utilisé la boite trop vite ? Le pharmacien peut-il en donner sans ordonnance et dans ce cas qui paye ?
    Et ce ne sont que quelques questions…. Les patients n'ont pas les connaissances nécessaires pour utiliser la plupart des médicaments et pour connaître la législation et vous pensez qu'ils vont y arriver avec un médicament préventif que l'on peut prendre après…. etc...

    Françoise Baudry

  • Une drôle de classification des priorités

    Le 08 décembre 2015

    Notre Sécurité sociale a une drôle de classification de ses priorités.
    En vrac :
    -remboursement du frottis mais pas du diagnostic HPV;
    -remboursement de l'IVG à 100% mais pas de la contraception;
    -remboursement d'un seul acte de consultation à la fois, obligeant à fractionner le temps;
    -qualification de "confort" pour des anti arthrosiques;
    -précarisation et paupérisation des malades graves;
    -retour à domicile pour des personnes vivant seules malgré leur non-autonomie post-opératoire;
    -tâches administratives par des professionnels dont on a grand besoin ailleurs;
    -déresponsabilisation des patients qui ont des droits mais pas de devoirs;
    ad libitum...

    E Latour de Mareuil (Paris)
    e latour-de mareuil

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