Un médecin ne devrait pas dire ça

Paris, le mercredi 4 janvier 2016 – Internet est un déversoir idéal pour la haine ordinaire. Quelques minutes de promenade à peine suffisent sur certains sites ou pages Facebook pour glaner plaisanteries douteuses racistes, homophobes ou sexistes. Si les auteurs de ces déclarations se retranchent généralement (mais pas toujours) derrière l’humour, la fréquence de ce type de mauvais mots est assez évocatrice de la persistance de nombreux préjugés. Ces élucubrations ne sont pas nées avec internet : elles trouvaient avant le 21ème siècle parfaitement leur place dans les bars et les alcôves. Mais le web leur a offert une visibilité accrue et a permis de constater que rares sont ceux qui échappent à la tentation de stigmatiser les "autres". Les médecins ne font pas exception.

"Fofolle"

Les blagues de potache sont la marque de fabrique des carabins et des médecins confirmés. Cette attitude leur est régulièrement reprochée quand la plaisanterie paraît glisser vers le sexisme. Mais les praticiens ne s’en tiennent pas aux plaisanteries graveleuses, ils peuvent également s’approprier de multiples clichés racistes ou homophobes. Et cela apparaît désormais au grand jour. Exemple parmi d’autres : la fameuse page Facebook : Les médecins ne sont pas des pigeons. Ayant connu son heure de gloire lors de sa création il y a à quatre ans, où il réunissait notamment des médecins opposés à l’application de la TVA sur les actes esthétiques, le groupe jouit toujours d’un petit succès avec quelque 30 000 suiveurs. Parmi eux, certains sont très actifs et publient régulièrement leur coup de gueule contre la Sécurité sociale, le tiers payant, Marisol Touraine et le monde comme il ne va pas. On parle aussi fréquemment des patients en égratignant au passage leurs lubies. Et parfois ça dérape.

Fin décembre, un praticien évoque un cas particulier : un diagnostic de syphilis, à côté duquel il a failli passer, en raison de l’absence d’affichage de son homosexualité par le patient. Plutôt que d’incriminer son manque de perspicacité dans son interrogatoire (quand la fissure anale chez un homme jeune doit assez rapidement faire envisager des rapports anaux), le médecin souligne le fait que le patient n’était pas « un homo de type "fofolle" avec des manières surjouées, plutôt un monsieur tout le monde ». Cette présentation qui véhicule une image stéréotypée des homosexuels, a fait tiquer certains de ses confrères, mais le praticien surenchérit en notant que : « Quand on fait un truc que la nature n’a pas prévu, il y a toujours des complications » et en s’attelant à une description de ce qu’il entend par "fofolle" : « Je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire quand je parle d’un homme qui surjoue des comportements féminins : façon de parler avec intonation vers le haut, expressions faciales exagérées, main à 90° en marchant (posture de la théière que l’on décrit au théâtre)… ».

Les médecins peuvent-ils (comme tout le monde) se lâcher sur le net ?

De telles caricatures peuvent se lire sur bien des pages Facebook, mais peuvent-elles se lire sous la plume d’un médecin, sur un groupe accessible à tous ? Des internautes ont jugé que non et ont choisi de signaler ce message qui a bientôt été supprimé. L’Amicale des Jeunes du Refuge a par ailleurs déposé une plainte devant le Conseil de l’Ordre et le médecin responsable de ces messages a été entendu lundi par le conseil départemental de Dijon qui se prononcera sur le cas le 9 janvier prochain. L’instance ordinale pourrait considérer que de tels propos vont à l’encontre du devoir de ne pas nuire à l’image du corps médical. L’Ordre a en effet rappelé à plusieurs reprises que le code de déontologie « impose aux médecins de s’abstenir d’émettre des propos scandaleux ». Un récent document concernant la publicité à l’ère des nouvelles technologies suggère que l’instance ordinale estime que cette règle s’applique également à internet. Il avait en effet observé que les médecins se doivent de faire un « usage responsable des réseaux sociaux. Ils doivent notamment se montrer vigilants sur l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes, et donc indirectement de l’ensemble du corps médical, vis-à-vis des internautes ». Cependant, la traque des déclarations outrées sera difficile sur le web. Le seul groupe Les médecins ne sont pas des pigeons » en compte fréquemment. Contestation (comique) du droit des étrangers à être soignés, moquerie des accents de certains malades, blague douteuse sur la trisomie 21 : les dérapages sans être incessants ne sont pas rares et échappent parfois à la vigilance des modérateurs qui appellent par ailleurs à ne pas se focaliser sur certains propos qui éloignent de la raison première de la page, à savoir le malaise des blouses blanches.

Une mobilisation nécessaire pour changer le regard de certains médecins sur l’homosexualité

Outre l'affirmation selon laquelle un médecin ne peut sans doute pas être un internaute comme les autres, cette affaire invite également une nouvelle fois à une réflexion sur la prise en charge des homosexuels. Trop souvent l’orientation sexuelle des patients n’est pas évoquée par les praticiens et les idées reçues restent fréquentes au sein du corps médical (quand on n’assiste pas à des refus de soins). Une mobilisation pour faire évoluer cette situation s’observe tant dans la communauté médicale qu’au sein de la société civile, mouvement auquel n’échappent pas les pouvoirs publics. Dans son Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT publié la semaine dernière, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT a consacré un chapitre à la formation des professionnels de santé.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (14)

  • Beaucoup de bruit...

    Le 04 janvier 2017

    Cette pseudo affaire ne mérite pas le bruit médiatique qui ne sert que de faire valoir à ceux qui jouent les vierges effarouchées et veulent en tirer profit. La remarque de ce médecin est, au minimum maladroite, vulgairement, nous pourrions dire que c'est l'expression de sa bêt..., dans tous les cas, c'est assez surprenant quant à la réflexion et la démarche diagnostique...

    Plus grave est la tentative de cette société, de limiter, de juguler la liberté d'expression au profit d'un politiquement correct. Dire des âneries appartient ou devrait appartenir, aussi à cette liberté d'expression chère à Voltaire, que notre société ne permet plus. Le CO emprunte à Torquemada, en oubliant qu'un médecin est d'abord un citoyen, avant d'être médecin.

    Beaucoup de bruit pour rien car, pas plus ce médecin que les censeurs, ne sortent grandis de cette "fausse affaire".

    Dr Christian Trape

  • Mauvaises pensées, loi & morale

    Le 04 janvier 2017

    Les êtres humains grouillent de mauvaises pensées. Les médecins pas moins que les autres, sans doute. On ne peut rien y faire. Railler les autres, les particuliers, les minoritaires, ils en ont envie, comme tout le monde.
    L'usage social resreint considérablement la possibilité d'expression de ces mauvais penchants, qui sont maintenant taxés de tares sociales.

    Quelquefois, dans la chaleur communicative des modernes banquets que sont les media sociaux, des pores s'ouvrent dans les membranes d'isolation sociale. On se lâche. C'est bien entendu mal, par rapport au nouveau consensus social, il ne faudrait pas ainsi manifester ces préjugés, devenus démodés.

    Tout le monde est normalisé de nos jours, chacun est egal, nous sommes tous ego, et gare à celui qui enfreint ce nouveau consensus, qu'il le fasse sans le savoir ou de manière calculée.

    Mais les mauvaises pensées restent, et agiront dès qu'un interstice s'ouvrira dans l'armure du nouvel art de vivre, ce qui s'est passé à de nombreuses reprises quand les chasses aux différents deviennent le nouveau devoir.

    Dr Gilles Bouquerel

  • Devoir moral des médecins

    Le 06 janvier 2017

    Chers confrères, bien sûr la liberté d'expression est précieuse mais la parole est puissante. Or, je me fais peut être une haute idée de notre rôle de médecin, mais quand notre parole publique peut blesser des personnes je ne trouve pas cela anodin. Parce que nous sommes médecins et censés dotés d'un certain savoir sur les humains, notre parole n'est pas banale et n'est pas dénuée de porté; plus que tout autre nous devons nous montrer responsables. La liberté des uns s'arrête là où commence la liberté de l'autre et notre liberté d'expression ne devrait pas permettre de blesser qui que ce soit.

    Je trouve triste que l'on puisse considérer ceci comme une broutille ou une fausse affaire car c'est dénier la souffrance que cela peut engendrer et de la part d'un médecin c'est dommage...

    Dr Myriam Monguillon

  • Liberté d'expression

    Le 07 janvier 2017

    Ce qui me scandalise, ce ne sont pas du tout les propos du médecin, mais le chœur des vierges effarouchées et liberticides qui revendiquent l'inquisition des expressions.

    Si c'est à ça que sert le désordre des médecins, il est grand temps de le supprimer.
    Et qu'enfin, on puisse dire TOUT ce qu'on garde par devers soi par crainte des chiennes de garde et autres putes et salopes.
    Tous nos grands écrivains, de Barbey d'Aurevilly à Chateaubriand, seraient cloués au pilori par ces chaisières de la censure gauchisante.

    Si je suis poursuivi pour ces propos, j'aurai au moins une tribune pour les épingler, les éreinter, les étrilles, les MST et les autres.

    Dr W

  • Une discrimination honteuse

    Le 08 janvier 2017

    "quand la fissure anale chez un homme jeune doit assez rapidement faire envisager des rapports anaux"... L'association internationale des fissurés anaux hétérosexuels se réserve le droit de poursuivre le JIM devant ces propos discriminatoires honteux qui déshonorent la profession de journaliste médical.

    Depuis votre article de nombreuse scènes conjugales ont été recensées, les braves fissurés de tous milieux se retrouvant dans l'obligation de se justifier devant leur compagnon ou compagne. Qui dira la détresse du fissuré hétérosexuel devant les regards suspicieux de sa famille, ses collègues ...

    Dr T Schwob

  • Incompréhension

    Le 08 janvier 2017

    Le conseil de l'ordre se mobilise pour défendre l'image de la médecine et des médecins, et non pour défendre le patient ?

    Dr Yves Jacques

  • Déjà Brassens...

    Le 08 janvier 2017

    Brassens pourrait-il chanter de nos jours les trompettes de la renommé sans être accusé de pousse au crime? (...pédérastique de son temps ne payait plus...).

    A l'instar de Malraux qui disant le XXIème siècle sera religieux ou non, j'aj0uterai moi le humble, le vermisseau mal pensant "il sera aussi celui de la stigmatisation à tout va!"

    Dr JP Usdin

  • Le meilleur des mondes...

    Le 08 janvier 2017

    Qu'on nous forme, qu'on nous lave le cerveau, qu'on devienne des êtres parfaits, qu'on nous police, qu'on nous mette une caméra dans le cerveau, qu'on nous envoie une décharge quand on pense mal, mais oui, mais oui, allons-y... LGBT a pris le pouvoir, et nous petits toubibs blancs, hommes, hétéros, de plus de 50 ans, qu'on nous redresse car ce sont nous qu'il faut corriger et vive la révolution culturelle !

  • Liberté d'expression

    Le 09 janvier 2017

    La liberté d'expression a ceci d'essentiel qu'elle permet d'entendre ce que, sinon, les gens pensent tout bas et ne disent pas par crainte de la censure.
    En démocratie, il est nécessaire que chacun puisse exprimer ses opinions, mêmes celles qui peuvent paraître à d'autres des plus déplacées.

    Le droit au blasphème n'est rien d'autre.

    La pluralité des opinions fait qu'il est non seulement normal, mais indispensable que d'autres aient des idées qui me choquent. Ce n'est pas en les censurant et en faisant marcher la guillotine comme en 1793 qu'on fait progresser les choses, mais par le dialogue et l'éducation.
    Et en sachant dès le départ que c'est un processus qui prend du temps. Un temps qui se compte en générations.

    La censure de tout ce qui n'est pas politiquement correct est une attitude d'autruche qui n'a que des effets pervers. Elle peut transformer en martyrs des gens qui ont des idées dangereuses, et aussi, dans l'autre sens, interdire l'expression d'idées progressistes minoritaires.

    Dr JP Huisman

  • Auto-censure

    Le 09 janvier 2017

    Cessons de faire de l'idéologie et de l'auto-censure en permanence ! Le contexte et le mode de vie font intégralement partie du diagnostic médical. La critique des commentaires publiés par le confrère incriminé peut, au plus, porter sur le ton outrancier de ses remarques publiques. Prenons la bonne habitude, à titre personnel comme professionnel, de nous limiter aux commentaires que nous ferions en présence de la personne concernée. Résolution 2017 ?

    Dr Laurent Subiger

  • Arrêter "l'ayatollisation"

    Le 10 janvier 2017

    "La cage aux folles", ça vous dit quelque chose ? pas censuré, "mais comment? ".
    Une description se doit d'être évocatrice, et utilise donc des références connues. On ne peut l'accuser de fustiger la comparaison, quand on l'évoque.
    J'ai des amis homo, sans problème, mais cette description ne leur porte pas tort, elle est simple et remplit son rôle (évocatrice et succincte). Elle n'est, en aucun cas, critique.

    "La référence à une fissure anale DOIT faire penser", bien sur, pour un médecin ce doit être un réflexe. Par contre sur un message ouvert à tous ? Combien de "déviation" et de fausse opinion ont été induites par la vulgarisation de la médecine....

    Au final, pour moi, il faudrait arrêter "l'ayatollisation" bien pensante, et, en même temps, rester médecin , donc ne délivrer au public que ce qui est sans danger.
    Écrire sur un site public demande une certaine retenue.
    Un peu oublié ces dernières décennies, et partout : qui dit DROITS (de dire) dit aussi DEVOIRS (de retenue) !

    Dr Charles Hebert

  • Et le respect dans tout ça ?

    Le 14 janvier 2017

    Je pense que vous oubliez quelque chose "très chers" médecins, je ne suis qu'une "petite" infirmière qui n'ai pas votre niveau d'étude, mais il me semble que vous oubliez le plus important.

    Ce n'est en aucun cas une question de liberté d'expression mais de rsepect vis à vis des personnes que l'on soigne. Vous osez citer des grands noms de la liberté d'expression, et me semble-t-il, ce n'étaient pas des insultes puériles. Grandissez un peu!!

    Le respect, ne concerne pas que le médecin ou la personnes incarnant le médecin, c'est une question de bon sens, de respect de chaque être humain. Quelques petites question, la syphilis est bien une IST? Les hétérosexuels sont-ils immunisés contre les IST ou ce n'est limité qu'aux homosexuels? Réfléchissez bien avant de parler! Et selon un proverbe "Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler"

    L.

  • À bon entendeur

    Le 15 janvier 2017

    Les propos homophobes comme ceux de ce médecin bourguignon sont des propos d'un autre âge, qu'il faut évidemment condamner. Il est, je crois, possible de référer à une réalité médicale sans insulter personne, si tant est que les homosexuels soient vraiment un groupe d'humains si différents que ça des autres.

    Ceci dit, il est bon de voir que de tels propos peuvent encore être prononcés. On évite ainsi que l'abcès d'homophobie ne gonfle trop avant d'éclater, on évite que la majorité devienne silencieuse et se retranche dans ses opinions, on provoque une discussion qu'il faut avoir si l'on souhaite qu'un jour les homosexuels soient considérés comme des humains à part entière.

    Enfin, avec une telle liberté de ton, on est averti et on constate plus facilement à quel point la culture française demeure patriarcale (entre autres). D'ailleurs, beaucoup de ceux qui réagissaient à la réaction ici, en brandissant Marianne et la liberté comme bouclier humain, sont... des hommes, tiens, tiens !

    Pour finir, il y a tout de même amélioration. J'ai déjà entendu bien pire préjugé homophobe de la part de futurs médecins.

    -Matthieu.
    Matane (Québec), Canada.

  • Liberté d'expression

    Le 15 janvier 2017

    Je me rappelle le slogan de 1968 "il est interdit d'interdire". Il n'y a plus de liberté d'expression.

    Dr Philippe Peu du Vallon

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