Une icône disparaît : Simone Veil vient de s’éteindre

Paris, le vendredi 30 juin 2017 - « J’ai le sentiment que le jour où je mourrai, c’est à la Shoah que je penserai ». Il serait sans doute vain d’espérer que la maladie qui a emporté Simone Veil ce 30 juin à l’âge de 89 ans ait pu au moins avoir cette grâce de l’empêcher de penser en ces dernières heures au chaos qui a tout en même temps détruit et fondé sa vie. Qu’elle ait revu à l’orée de la mort les images du train arrivant à Auschwitz, qu’elle ait ressenti à nouveau la morsure déchirante du froid, qu’elle ait été assaillie encore par l’odeur, cette odeur qu’elle avait été étonnée de ne pas retrouver un jour calme de commémoration des décennies plus tard, la Shoah aura constamment accompagné sa vie. Pendant des années, Simone Veil n’en parlera pourtant pas, se taisant dans cette France toute entière vouée à sa reconstruction, pressée d’oublier et réticente à constater l’ampleur béante des plaies des autres. Certains en parleront pour elle.

L’enfance dorée et brisée

Il n’est peut être tout de même pas vain d’espérer que comme certains poètes l’ont imaginé, à l’orée de la mort, ce soit les images de l’enfance qui se soient imposées. Le soleil brûlant de Nice, la gaieté d’une famille de quatre enfants très rapprochés, l’amour et l’intelligence de parents aimants et adorés. André, le père, est un architecte brillant. Simone l’admire et lui tient tête. Elle adorait son intelligence et sa mémoire, mais regrettait son autoritarisme, vis-à-vis notamment de sa mère. « Je n’aimais pas l’idée qu’il impose ses goûts à maman, ce sentiment de dépendance cela m’exaspérait » racontait-elle. C’est en se souvenant de cette femme qui a inspiré toute son existence et dont la mort du typhus, à la fin de la longue marche de la mort, a représenté la plus difficile épreuve de la déportation, que Simone Veil a réussi à affronter son mari, Antoine Veil.

En souvenir de sa mère

Celle dont on disait facilement qu’elle était hautaine, dont les colères sont demeurées dans certaines mémoires comme légendaires, qui conservait toujours avec ses interlocuteurs un mélange d’amabilité distante et de maîtrise froide a pourtant été une grande amoureuse. Antoine Veil,  rencontré à Science Po, au lendemain de la guerre a été le compagnon de toute une vie. Le jeune avocat a des idées de son temps sur le partage des rôles : l’homme conduit la carrière, la femme mène les fourneaux. Mais, Simone Veil, repensant à la silhouette frêle de sa mère est déterminée. Après de très longues discussions, elle obtient "l’autorisation" de devenir magistrat. Antoine Veil admettait avec un sourire qu’il avait été un véritable « macho » désormais totalement guéri.

Au nom des femmes

Pourtant, ni Antoine, ni Simone n’imaginent alors que c’est elle qui mènera une carrière politique remarquée et singulière. Elle n’est pas militante et n’a d’ailleurs jamais réellement été une passionaria de la politique. Pourtant, c’est elle qui se fait remarquer par Jacques Chirac qui lui propose de devenir son ministre de la Santé. Simone Veil est magistrate et connaît peu le monde de la santé mais après quelques hésitations, elle accepte. Elle va alors se voir confier une tâche extrêmement sensible : la défense de la loi légalisant l’avortement, que Jean Lecanuet, le garde des Sceaux très catholique a refusé de porter.  C’est ainsi que ce jour de novembre 1974, elle s’avance à la tribune de l’Assemblée nationale et prononce un discours historique. C’est une défense de l’avortement qui relève d’une très grande intelligence politique : elle ne soutient pas une vision militante, centrée sur l’autonomie des femmes, mais elle se concentre sur le désastre sanitaire qui voit mourir 2500 femmes chaque année en raison des épouvantables conditions des avortements clandestins. Si ce discours ne lui a pas permis d’éviter les ignobles injures, accablantes pour leurs auteurs, il lui a cependant également offert l’adhésion d’une poignée d’hommes pourtant hostiles à l’IVG et surtout d'une large part de la communauté médicale.

L’idéal européen comme rempart contre le retour de la haine

Quatre décennies plus tard, la vieille dame demeurait parfaitement convaincue du bien fondé de son action. Elle continuait à rencontrer régulièrement des femmes qui chaleureusement d’un regard, une poignée de mains, une parole la remerciaient d’avoir permis cette avancée significative. Tout comme il lui arrivait encore de recevoir dans sa boîte aux lettres des missives où on l’accusait d’être la responsable de « six millions de morts ». « Six millions de morts, le chiffre n’est pas anodin » avait elle fait remarquer lors du trentième anniversaire de la loi, face au journaliste Paul Amar.

Simone Veil avait alors accepté de porter la mémoire de la déportation, effrayée par le risque de l’oubli, notamment par les jeunes générations. Faisant toujours face au souvenir de la Shoah, elle avait fait graver sur son épée d’Académicien, le matricule qui avait été tatoué sur sa peau lors de la descente du wagon : 78 651.

Jamais, à la différence d’autres déportés, elle n’avait souhaité se défaire de ce numéro, même si la réflexion ignorante d’un homme lors d’une soirée à la fin des années quarante, lui demandant s’il s’agissait de son numéro de vestiaire lui avait fait porter pendant quelques années des manches longues. C’est également mue par le souvenir de cette apocalypse, que Simone Veil s’est engagée avec détermination, comme toujours, dans l’aventure européenne. Première femme présidente du Parlement européen, elle avait toujours défendu le projet européen, s’opposant avec la même intransigeance à ses détracteurs.

Longtemps après ces années de combat, quelques années après son époux chéri et l’un de ses trois fils, Simone Veil, dont le regard était voilé depuis plusieurs mois par la maladie, s’est éteinte ce 30 juin.

Qu’il ne soit pas vain d’espérer que ce sont les images de ses victoires, le souvenir ému et admiratif qu’elle a laissé dans l’esprit de la très grande majorité des Français et la joie d’enfants sous le soleil qui ont accompagné ses derniers souffles.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (5)

  • Simone Veuil passed

    Le 30 juin 2017

    Que le Congrès de Versailles fasse une minute de silence en son hommage !

    Dr Virgile Woringer

  • Rôle de VGE

    Le 30 juin 2017

    Cette loi courageuse a été conçue sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing et non de Jacques Chirac. Merci à tous les deux pour cette avancée majeure dans la prise en charge des femmes.

    Dr Roger Stadler

  • Madame Simone Veil ... à propos d'un oubli ...

    Le 30 juin 2017

    Peut-on choisir le jour de son propre décès... un 30 juin.
    Un 42ème anniversaire.
    Au cours de cette journée-ci, personne ne semble avoir fait référence à une part de son Grand Oeuvre = sa Loi d'Orientation sur les Handicapés.
    du ...30 juin 1975 (le rapporteur en était J.Blanc, neuro-psychiatre, député de la Lozère).

    Dr Michel Gazeau

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