
Paris, le lundi 29 mai 2017 – L’annonce mercredi de la nomination d’Audrey Bourolleau, « conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural » auprès du Président de la République n’est pas passée inaperçue. Ce samedi, treize associations de lutte contre l’alcoolisme, les addictions et de prévention routière, ainsi que six spécialistes de santé publique* qui animent un groupe de réflexion dédié à la sécurité sanitaire ont signé un communiqué évoquant leur inquiétude face à ce choix en raison des responsabilités exercées précédemment par Audrey Bourolleau à la tête de l’association Vin et Société. Les signataires rappellent tout d’abord l’importance du fléau de la consommation d’alcool : elle est en effet à l’origine « chaque année en France de près de 50 000 décès, souvent prématurés, et deuxième cause de mort sur la route ». Ils ajoutent encore que « l’alcool n’est pas un produit ordinaire ». Or, la filière viticole multiplie en France les interventions pour relativiser les risques de la consommation de vin sur la santé. « La filière alcool en France s’attache à minimiser les risques pour la santé ou, à tout le moins, à insinuer le doute. Reprenant des techniques éprouvées par l’industrie du tabac, la filière, à travers ses représentants Vin et Société et Avec Modération !, produit régulièrement des argumentaires visant à démonter les fondements scientifiques des études concluant à la nocivité de l’alcool » dénoncent les associations et les experts.
Conflit d’intérêt : l’apparence suffit-elle ?
Dans ce contexte, l’arrivée d’Audrey Bourolleau constitue aux yeux des experts un bien mauvais signal et un nouvel exemple d’entrisme. A ceux qui rétorquent que la jeune femme n’est non seulement pas conseillère santé de l’Elysée mais a surtout abandonné ses fonctions au sein de Vin et société, les experts rappellent que « en vertu de la définition issue de la loi sur la transparence de la vie publique, l’apparence du conflit suffit (…) à le caractériser ». Autre argument en faveur de la suspicion d’une collusion inquiétante, les signataires remarquent la satisfaction exprimée par le lobby viticole à l’annonce de la nomination d’Audrey Bourolleau, lobby viticole qui s’était déjà félicité du rôle joué par la jeune femme pendant la campagne. Dans cette perspective, les experts aimeraient que les promesses faites par Emmanuel Macron d’une moralisation de la vie politique s’appliquent également au choix des conseillers. Mais pour l’heure à l’Elysée, le choix d’Audrey Bourolleau est défendu. On rappelle notamment qu’elle « s’est soumise évidemment à toutes les obligations dévolues aux conseillers en matière de déclaration de patrimoine et d’intérêts ».
Promouvoir l’oenotourisme
L’inquiétude est d’autant plus forte chez les experts et au sein des associations de lutte contre l’addiction qu’en dépit de sa volonté affichée de faire entrer la France dans l’ère de la prévention, les actions et déclarations d’Emmanuel Macron en matière de lutte contre l’alcool ne sont pas nécessairement encourageantes. Ainsi, l’amendement soufflé par l’association Vin et Société assouplissant les règles sur les actions de communication concernant l’alcool dans la presse locale adopté dans le cadre de la loi de santé avait été initialement proposé lors de l’examen de la loi Macron. A l’époque, le ministre de l’Economie avait soutenu cette disposition au nom de la nécessité de « permettre à certaines régions de promouvoir l'oenotourisme ».
Soit il se moque de nous…
Par ailleurs, pendant la campagne, les réponses qu’il avait données aux six experts de santé publique du groupe Sécurité sanitaire sur les mesures à prendre en matière de lutte contre l’alcool avaient déçu. « L’alcoolisme est un fléau qui tue chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes en France. Nous devons prévenir l’alcoolisme et renforcer notre politique de santé publique, notamment vers les publics les plus fragiles et en particulier nos jeunes. Je souhaite que nous puissions adapter nos messages de prévention et de promotion, et préserver la loi Evin, une grande loi de santé publique. Pour répondre particulièrement à vos questions, il paraît intéressant d’indiquer comme vous le proposez sur les contenants la quantité d’alcool pur en grammes et le nombre de calories. Cela participerait de l’information des consommateurs, en plus de les sensibiliser aux risques liés à une consommation régulière et/ou importante d’alcool. Les messages de prévention doivent aussi pouvoir évoluer régulièrement, cela relève aujourd’hui de la loi, je souhaite que cela relève demain d’un arrêté. Je ne souhaite pas en revanche confondre consommation d’alcool et alcoolisme. A ce titre, le message « l’alcool est dangereux pour la santé » me paraitrait excessif. De même, je ne suis pas favorable à une taxation des boissons alcoolisées en fonction de leur grammage en alcool. Enfin, la loi Evin étant un exemple en matière de maitrise de la publicité, je souhaite conserver et défendre l’équilibre de cette loi en l’état » avait répondu celui qui est devenu Président de la République. La dernière phrase d’Emmanuel Macron n’avait guère été bien accueillie par les experts qui avaient fustigé : « Soit il se moque de nous, soit il ignore complètement l’histoire de la loi Evin » !
Les associations et experts signataires :
Fédération Française d'Addictologie : addictologie.org -
Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie :
anpaa.asso.fr - Association Périnatalité Prévention Recherche
Information : appri.asso.fr - Collège Professionnel des Acteurs de
l'Addictologie Hospitalière : e-monsite.com - Coordination des
associations et mouvements d'entraide reconnus d'utilité publique :
camerup.fr - Croix Bleue : croixbleue.fr - Fédération Addiction :
federationaddiction.fr - Fédération Alcool Assistance :
alcoolassistance.net - Fédération Nationale des Amis de la Santé :
lesamisdelasante.org - Fonds Actions Addictions :
actions-addictions.org - Ligue Contre la Violence Routière :
violenceroutiere.fr - Société Française d'Alcoologie :
sfalcoologie.asso.fr - Vivre avec le Saf : vivreaveclesaf.fr
- Gérard Dubois, professeur de santé publique, Académie
de médecine - Irène Frachon, pneumologue, CHU de Brest - Claude
Got, professeur honoraire de médecine, Université René Descartes -
Serge Hercberg, épidémiologiste de la Nutrition, Université Paris
XIII / Inserm - Catherine Hill, épidémiologiste, Institut
Gustave Roussy - Albert Hirsch, professeur honoraire de médecine,
Université Paris VII
Aurélie Haroche