
Paris, le samedi 13 février 2016 – Le Zika a continué à faire parler de lui cette semaine. Après les recommandations aux femmes enceintes, les invitant à éviter les zones touchées par le virus et à la plus grande vigilance si elles y vivent, les autorités sanitaires ont annoncé des mesures concernant les produits sanguins. En France, un délai de latence de 28 jours est désormais observé pour tout candidat au don de retour d’un pays infesté par le Zika.
Une médiatisation inversement proportionnelle à la dangerosité du virus ?
La multiplication de ces mesures et la présentation d’une manière générale par la presse et par les institutions du Zika comme l’ennemi viral numéro un suscitent une certaine circonspection chez des observateurs avertis. Comment en effet ne pas s’interroger sur l’avalanche de préconisations face à un virus totalement méconnu jusqu’à il y a quelques semaines et qui se révèle qui plus est dans la très grande majorité des cas totalement inoffensif ? « Dans la grande famille des arboviroses, on a eu successivement la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya, et le Zika. Les observateurs attentifs et optimistes auront remarqué que l’on est passé d’une létalité de 50 % avec la fièvre jaune, inférieure à 20 % avec la dengue, nulle avec chikungunya, et à une absence totale de symptôme dans trois quarts des cas de Zika. (…) Mais alors pourquoi tant de bruit médiatique devant tant de bénignité ? » s’interroge avec malignité le médecin Luc Perino sur son blog hébergé par Le Monde Pour raisons de santé. Pour expliquer cette fièvre, le praticien avance tout d’abord que l’alarmisme de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) s’explique par ses erreurs passées face à HIN1 et à Ebola et par son désir de ne plus jamais être « en retard sur les médias ». Il estime par ailleurs que certains scientifiques se satisfont voire encouragent une telle médiatisation qui pourrait contribuer au déblocage de nouveaux financements. « Les chercheurs anglo-saxons ont compris depuis longtemps qu’il fallait brandir le péril infectieux pour attirer les subventions publiques et privées » note-t-il.
Microcéphalie et Zika : une corrélation encore à analyser
Bien sûr, Luc Perino n’ignore pas que l’inquiétude exprimée si largement s’explique en premier lieu par les complications neurologiques observées, en particulier chez le fœtus exposé in utero au Zika. Il relève cependant que « Entre les microcéphalies du Brésil et le Zika, il existe bien une forte corrélation, mais nous ignorons toujours si la causalité est aussi forte que la corrélation et, surtout, nous ignorons si elle est unique. Il faut patienter… ». Il remarque néanmoins qu’en l’absence de nouveaux éléments scientifiques, la situation est l’occasion de rappeler qu’au premier trimestre de la grossesse toute infection, prise de médicaments ou de substances toxiques est potentiellement dommageable pour le fœtus.
70 ans d’activité du Zika sans aucune suspicion de complication ?
Il n’est pas que le médecin français qui s’interroge sur le virus Zika et sur les incertitudes qui demeurent sur le lien avec la microcéphalie. Le journaliste scientifique canadien Jean-François Cliche auteur du blog Sciences dessus dessous ne peut s’empêcher de questionner certaines lacunes. Il remarque ainsi tout d’abord que bien que le Zika soit identifié depuis 70 ans, ses complications supposées n’apparaissent qu’aujourd’hui. « S’il est endémique en Afrique équatoriale et Asie du Sud et que l’on peut supposer qu’il se transmet couramment là-bas, alors pourquoi a-t-il fallu attendre jusqu’à l’an dernier pour que l’on finisse par se rendre compte que le microbe pouvait avoir des complications neurologiques graves ? Comment Zika a-t-il pu causer des cas de microcéphalie et de syndrome de Guillain-Barré (…) sous le nez de la médecine pendant 70 ans ? » s’interroge-t-il.
Question pas si naïve
Il n’exclut pas que la situation sanitaire de l’Afrique ait contribué à masquer ces complications et il cite une ancienne plaisanterie connue : « Contrairement à la Russie, dont la situation est grave, mais pas désespérée, la situation de l’Afrique, elle, est désespérée mais pas grave ». Certes, mais ce contexte ne semble pas suffisant à expliquer l’ignorance du risque potentiel de microcéphalie. L’application des taux supputés constatés en Polynésie Française (et qui à l’époque n’avaient pas été considérés fermement comme une corrélation) supposerait « des millions de cas de microcéphalie en Afrique et en Asie du Sud depuis un demi siècle » calcule Jean-François Cliche sur le site du journal Le Soleil. D’autres facteurs sont donc probablement en jeu pour expliquer que le lien avec la microcéphalie ne soit apparu qu’aujourd’hui. D’abord, la population qui fait face aujourd’hui au Zika est naïve, alors « qu’aux endroits où le virus est endémique, une bonne partie des gens sont immunisés, ce qui réduit beaucoup les taux de transmission, et donc le nombre des complications » remarque Jean-François Cliche. Par ailleurs, la taille de la population concernée importe également. « Le Guillain Barré et la microcéphalie sont des complications rares du Zika, ils sont causés par d’autres facteurs et il faut donc beaucoup d’infections au Zika pour produire un surplus de cas significatif » ajoute le journaliste canadien. D’autres phénomènes ont également pu contribuer à "l’émergence" de ces complications, telle la présence d’une souche plus virulente en Polynésie et en Amérique du Sud. Enfin, comme le suggère également Luc Perino, il n’est pas impossible que ce soit l’association du Zika avec un autre élément de l’environnement qui soit en cause. « Peut-être qu’il faut Zika et un autre microbe pour avoir cet effet là, ou Zika et une toxine environnementale ou Zika et certains traits génétiques » observe en effet interrogé par Jean-François Cliche, le docteur Michael Libman directeur du Centre des maladies tropicales de l’Université McGill.
Pour se piquer plus encore aux mystères du Zika vous pouvez
retrouver le blog de Luc Perino :
http://expertiseclinique.blog.lemonde.fr/2016/02/09/zika-ou-la-demesure-infectieuse/
et celui de Jean-François Cliche :
http://blogues.lapresse.ca/sciences/2016/02/08/zika%C2%A0-70-ans-dans-langle-mort-de-la-medecine/
Aurélie Haroche