
Rio, le samedi 10 septembre 2016 – Même les moins férus de compétitions sportives ont une idée vague du temps qu’il faut à l’homme le plus rapide du monde pour parcourir 100 mètres. Et si on venait à l’ignorer, une vague honte nous viendrait. De même, sans être abonné à l’Equipe, il est facile de citer quelques noms de sportifs français qui ont embelli les Jeux Olympiques de Rio. Silence total en ce qui concerne les jeux Paralympiques. Aucun nom, aucune performance. Peut-être confusément le portrait d’un homme ou d’une femme ayant été meurtri par la vie.
Queue du peloton
Chez les Britanniques, il n’est pas rare que l’on encourage les athlètes paralympiques avec la même ferveur nationale que celle qui s’impose pendant les Jeux Olympiques. La différence est minime : il s’agit de soutenir un champion pour qu’il entonne l’hymne sur la première marche du podium. En France, le regard se détourne. Et les athlètes oubliés ne parviennent pas toujours à présenter l’étendue de leur talent. Lors des jeux paralympiques de Londres, « la France se classe, en queue de liste, à la 18ème place sur 19 pays classés. Ce fait est à mettre en relation avec la situation du handicap dans notre pays, comparée à celle d’autres pays présentant des standards économiques et sociaux proches du notre », relève Hubert Ripoli, psychologue du sport, président honoraire de la Société française de psychologie du sport, dans une tribune publiée dans le Monde cette semaine.
Cachez ces handicapés, auxquels je ne saurais m’identifier…
Les sportifs handicapés avaient été saisis il y a quatre ans à Londres. « Je me suis rendu compte (…) que les Britanniques avaient vingt ans d’avance sur nous. Chez eux, le handicap ne se cache pas, il est dans la vie de tous les jours (...) si quelqu’un voit un handicapé dans la rue, il voit une personne normale. Les stades étaient remplis, tout le monde était passionné. C’était hallucinant. Alors que chez nous… » se souvient, citée par Hubert Ripoli, Elodie Lorandi, championne paralympique du 400 mètres nage libre qui défendra son titre à Rio. Le psychologue tente d’analyser l’origine de cette différence de perception. « Etant plus dans le soutien moral et la compassion que dans le pragmatisme et l’efficacité, les Français portent un regard souvent culpabilisé qui les empêche de s’identifier au sportif (en tant que personne) pour ne voir que le handicap et pas l’exploit sportif » observe-t-il.
C’est sans doute une logique comparable qui a poussé il y a deux ans le CSA à conseiller à deux chaînes de renoncer à la diffusion d’un spot mettant en scène des enfants présentant une trisomie disant leur bonheur, par crainte de nourrir « la culpabilité » des téléspectateurs. Ici, le CSA a considéré que l’identification serait forcément négative et douloureuse (notamment pour les mères d'enfants trisomiques). « C’est bien là un curieux retournement de point de vue difficile à admettre que de prendre pour exemple et de s’identifier à ceux qui, différents de nous, valides, nous font souvent peur au point de devenir invisibles, et que, par maladresse, nous stigmatisons innocemment » remarque Hubert Ripoli.
Leçon universelle
Pourtant, le psychologue considère qu’un changement de perception offrirait une richesse importante aux Français et ne représenterait pas seulement une victoire pour les personnes handicapées. « Donnons-nous donc la peine de comprendre comment ces "héros" sont parvenus, au-delà de leur handicap, à entrer en résilience pour accéder à un "merveilleux malheur". Nous y trouverons ce que notre société à elle-même le plus besoin en ces temps de peur et de doutes pour regarder le présent avec plus de sérénité quant à notre capacité à braver les obstacles et être capables, comme eux, de rebondir pour affronter l’avenir » conclue-t-il.
Pour relire cette tribune avant d’allumer sa télévision (tardivement) pour encourager les athlètes Français, vous pouvez vous rendre sur cette page : http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/09/07/les-francais-portent-un-regard-souvent-culpabilise-qui-les-empeche-de-s-identifier-au-sportif-handicape_4993783_3232.html
Aurélie Haroche