
Depuis plusieurs mois, les services de psychiatrie alertent
sur les conséquences délétères et persistantes de la crise
sanitaire sur la santé mentale des Français et notamment des plus
jeunes. Une augmentation des troubles psychiatriques qui aurait
débuté fin 2020, mais qui a été précédée d’une tendance plus
inattendue, celle d’une baisse des suicides au cours des premiers
mois de la crise sanitaire.
Un phénomène pressenti par les observateurs qui est désormais
confirmé par les chiffres de l’Observatoire national du suicide
(ONS).
Baisse du nombre de suicides pendant les deux premiers confinements…
Selon le dernier rapport de l’ONS publié ce mardi, les décès
par suicides ont en effet diminué de 20 % durant le premier
confinement (mars-mai 2020) et de 8 % durant le deuxième
confinement (octobre-décembre 2020) par rapport aux années
précédentes. L’ONS observe également sur les mêmes périodes une
diminution des passages aux urgences et des appels à des centres
antipoison pour auto-intoxication.
Une baisse de 10 % par rapport à la période 2017-2019 des
hospitalisations pour lésions auto-infligées, chiffre considéré
comme un bon indicateur du nombre de tentatives de suicides, est
également remarquée. Un recul des gestes suicidaires qui s’observe
« dans la plupart des pays à revenus élevés » note
l’ONS.
Diverses pistes sont avancées par les psychiatres pour
expliquer comment « les épisodes de confinement ont pu atténuer
ponctuellement le risque suicidaire ». « Le sentiment de
partage d’une épreuve collective, le moindre accès à certains
moyens létaux, une surveillance accrue par les proches et une
grande adaptation du système de soins psychiatriques peuvent
expliquer ce phénomène » écrivent les auteurs du rapport de
l’ONS.
Au total, entre janvier 2020 et mars 2021, 11 210 personnes se
sont données la mort en France, dont 75 % d’hommes, un bilan
légèrement inférieur à la moyenne observée au cours des années 2015
à 2019. Le taux de suicide dans la population ne semble donc pas
avoir été « affecté par la pandémie », les morts par suicide
étant en baisse constante depuis les années 1980.
…mais hausse des pensées suicidaires chez les adolescentes et les jeunes femmes
Tout n’est pas rose pourtant dans le bilan tiré par l’ONS, qui
confirme la tendance relevée par les psychiatres d’une hausse des
troubles psychiatriques chez les jeunes et notamment chez les
femmes. « A partir de la fin 2020, un fait nouveau apparait avec
une augmentation très marquée des recours aux soins pour pensées et
gestes suicidaires chez les adolescentes et les jeunes femmes »
note le rapport.
Ainsi, en novembre 2020, 5 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans
(3,6 % des hommes et 6,4 % des femmes) déclaraient avoir eu des
pensées suicidaires au cours de l’année écoulée, contre seulement
1,3 % des plus de 75 ans. Un phénomène qui touche encore plus
particulièrement les jeunes issus des milieux défavorisés : une
jeune femme âgée de 15 à 19 ans appartenant aux 25 % des ménages
les plus modestes a huit fois plus de risque d’être hospitalisée
pour une tentative de suicide qu’un jeune homme du même âge
appartenant aux 25 % les plus aisées.
Par conséquent, l’ONS craint désormais la survenance d’« un
effet rebond » et une hausse des suicides à compter de 2021. Le
fait que l’on ait dégradé la santé mentale des jeunes pour protéger
les personnes âgées contre une maladie mortelle devrait sans doute
nous interroger sur le fonctionnement de notre société et les
rapports entre les générations.
Nicolas Barbet