Des jeunes adultes trisomiques défendent leur liberté d’expression devant le Conseil d’Etat

Paris, le jeudi 8 septembre 2016 - C’est un spot tire larme. Tout commence par la lettre d’une femme. « J’attends un enfant. Il est trisomique. J’ai peur : quelle vie aura-t-il ? ». La réponse est adressée par une dizaine d’enfants et d’adolescents trisomiques, qui énumèrent : il pourra rire, t’embrasser, t’écrire, courir vers toi, partir en voyage, s’installer dans un appartement. Les difficultés ne sont pas cachées : « Ce sera parfois très difficile. Mais ne l’est-ce pas pour toutes les mères ? » demande un des jeunes hommes. Avant qu’apparaissent à l’écran, les mères énamourées.

Culpabiliser les femmes ayant fait le choix de mettre fin à leur grossesse

Le spot avait été réalisé en 2014 à l’occasion de la journée internationale de sensibilisation à la trisomie 21 soutenue par de nombreuses associations européennes, dont en France le Collectif des Amis d'Éléonore et la Fondation Jérôme Lejeune. Il était destiné à militer pour une meilleure intégration des personnes présentant une trisomie 21 dans la société. Les chaînes Canal + et M6 avaient accepté de le diffuser en marge de la journée. Ce qui leur valut un rappel à l’ordre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Certes, le gendarme de la télévision ne niait pas que le clip ait pour vocation de lutter contre « la stigmatisation des personnes handicapées ». Pourtant, il considérait qu’il n’était pas « d’intérêt général » et n’avait « pas sa place dans un écran publicitaire ». Le CSA jugeait en effet qu’il aurait été préférable de l’insérer dans un programme dédié à la trisomie 21, afin de bénéficier d’une meilleure contextualisation. Alerté par plusieurs courriers, le CSA redoutait en effet que la diffusion de ce clip ne « trouble en conscience des femmes qui, dans le respect de la loi, avaient fait des choix de vie personnelle différents ».  Pas de censure stricte, mais une incitation qui a été suivie d’effet. Le clip a été retiré et depuis il semblerait difficile de diffuser des messages similaires.

Liberté d’expression

Le soutien du clip par des associations ouvertement hostiles à l’avortement (dont la Fondation Jérôme Lejeune dont le nom figurait à la fin du spot) et l’évocation de la femme enceinte a pu favoriser une lecture « culpabilisatrice ». Néanmoins, l’objectif premier du spot est clairement de présenter une vision différente des enfants atteints de trisomie (sans doute un peu trop idéalisée) contredisant des images d’Epinal souvent dépassées à l’heure d’une meilleure prise en charge éducative et médicale. Aussi, peut-on s’étonner qu’entre le caractère éventuellement « culpabilisateur » et la volonté de lutter contre la stigmatisation, le CSA n’ait pas choisi de conserver une certaine neutralité. Sept jeunes adultes trisomiques sont révoltés par cette attitude et ont choisi de se retourner devant la justice administrative. Dans un recours devant le Conseil d’Etat, ils demandent l’annulation de ce courrier. Leur requête pourrait ne pas aboutir : hier, le rapporteur public du Conseil d’Etat a en effet préconisé de la rejeter mais la réponse définitive des magistrats ne sera connue que dans quelques semaines. La détermination des jeunes plaignants, qui ont voulu que leur demande soit détachée de celle également formée par plusieurs associations, reste entière. « Ces jeunes demandent que leur parole soit reconnue comme une parole de citoyens à part entière, sans qu’elle ait besoin d’être contextualisée ou encadrée, pour reprendre les termes du CSA », explique Corinne Bebin, la mère de l’un des requérants au journal La Croix. « On veut que le clip reste. Pour que moi et mes amis, on soit considéré par les autres. Pourquoi on nous empêche de parler à la télé ? On fait du sport, de la musique, on a été à l'école. Je suis embauché en restauration collective » ajoute encore Jean-Baptiste interrogé par LCI.

Eugénisme ?

Ce débat pourrait relancer en France les accusations d’eugénisme associées à la politique de dépistage de la trisomie 21 dans notre pays, qui conduit à un taux d’interruption médicale de grossesse le plus élevé d’Europe. « 92 % des cas de trisomie 21 sont détectés, contre 70 % en moyenne européenne et 96 % des cas identifiés donnent lieu à une interruption médicale de grossesse », indiquait en 2010 le Comité pour sauver la médecine prénatale. Dans le renversement dialectique qui sous-tend le discours du CSA (ce sont les mères qui ont décidé d’avorter qu’il faudrait protéger avant les personnes présentant une trisomie), on retrouve le discours du professeur Didier Sicard président du Comité consultatif d’éthique qui en 2007 dans le Monde remarquait : « Tout s’est passé comme si à un moment donné la science avait cédé à la société le droit d’établir que la venue au monde de certains enfants était devenue collectivement non souhaitée, non souhaitable. Et les parents qui désireraient la naissance de ces enfants doivent, outre la souffrance associée à ce handicap, s’exposer au regard de la communauté et à une forme de cruauté sociale née du fait qu’ils n’ont pas accepté la proposition faite par la science et entérinée par la loi ».

Aurélie Haroche

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