
Paris, le vendredi 12 mai 2023 – Selon une enquête de l’Institut des politiques publiques, les bénéficiaires de l’AME ont plus de difficulté à obtenir un rendez-vous médical que les autres patients.
Le « testing » (test de discrimination en français) est une méthode d’enquête consistant à comparer le comportement d’un tiers vis-à-vis de deux personnes dont les caractéristiques pertinentes sont les mêmes, mais qui différent par certains caractères potentiellement sources de discrimination. L’objectif de cette méthode est justement de percevoir si le tiers en question adopte un comportement discriminatoire. Si cette méthode, inventée par des associations de lutte contre le racisme, a longtemps été controversée, elle est désormais validée par les pouvoirs publics.
Les agents de l’Institut des politiques publiques (IPP), missionnés par le ministère de la Santé et le Défenseur des droits, ont ainsi eu recours au testing pour tenter de déterminer si les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS), résultat de la fusion en 2019 de la complémentaire maladie universelle (CMU) et de l’aide au paiement d’une assurance complémentaire santé (ACS) et les titulaires de l’aide médicale d’Etat (AME) étaient victimes de discrimination au moment d’obtenir un rendez-vous médical.
L’équipe de chercheurs de l’IPP a ainsi passé 34 000 appels téléphoniques auprès de 3 000 praticiens (généralistes, pédiatres, ophtalmologues) en demandant un rendez-vous médical pour un problème non urgent. A chaque fois ils se sont fait passer soit pour un bénéficiaire de l’AME, soit pour un bénéficiaire de la CSS, soit pour un patient référent ne bénéficiant d’aucune de ces deux aides. Les résultats de cette étude, réalisée en 2022, ont été publiés ce vendredi par le Défenseur des droits et le ministère de la Santé.
Les bénéficiaires de la CSS sont des patients comme les autres
Première conclusion de cette étude : obtenir un rendez-vous médical est difficile pour tout le monde, quelque soit sa situation. Même les patients de référence, qui n’ont a priori aucune raison d’être discriminés, n’obtiennent un rendez-vous chez un ophtalmologue que dans 68 % des cas et chez un pédiatre ou un généraliste pour 44 % des appels. Dans plus de la moitié des cas où le praticien refuse le patient (47,8 %), ce refus est motivé par le fait que le médecin ne prend pas de nouveaux patients. Par ailleurs, il est nécessaire d’appeler en moyenne à quatre reprises avant d’obtenir un rendez-vous et lorsqu’il est obtenu, les délais d’attente sont généralement assez longs, du moins chez les spécialistes (25 jours d’attente en moyenne pour un pédiatre, 55 jours pour un ophtalmologue).
S’agissant des potentielles discriminations à l’égard des populations défavorisés, l’étude ne décèle quasiment aucune différence de traitement entre les bénéficiaires de la CSS et les patients de référence, qui obtiennent des rendez-vous médicaux dans les mêmes proportions, quelque soit la spécialité. Ce résultat diffère de celui obtenu lors d’un précédent testing réalisé en 2019, dans lequel il était observé que les bénéficiaires de la CMU ou de l’ACS étaient victimes de discrimination.
Selon le ministère de la Santé qui analyse cette étude, ce recul de la discrimination serait la conséquence de la fusion de la CMU et de l’ACS dans la CSS, qui a simplifié les démarches administratives des médecins qui sont donc moins enclins à refuser ces patients (on notera tout de même que le ministère, qui a lui-même mené cette réforme de simplification, ne peut pas être totalement objectif dans son analyse). La généralisation de la pratique du tiers payant pourrait également expliquer cette évolution. A noter tout de même que dans 1,7 % des cas, les bénéficiaires de la CSS font l’objet d’une discrimination explicite, où le médecin indique qu’il le refuse comme patient car il bénéficie de la CSS.
Les médecins jamais racistes ?
En revanche, les bénéficiaires de l’AME sont clairement défavorisés lorsqu’ils tentent d’obtenir un rendez-vous. Ils n’obtiennent un rendez-vous chez un généraliste que dans 35 % des cas (44 % pour les patients de référence), chez un pédiatre dans 38 % des cas (44 % pour les patients de référence) et chez un ophtalmologue dans 50 % des cas (68 % pour les patients de référence). Dans 7,4 % des cas, ce refus est explicitement discriminatoire, le praticien indiquant refuser de recevoir un patient bénéficiaire de l’AME.
Dans son analyse, le ministère de la Santé avance plusieurs hypothèses pour expliquer la discrimination dont sont victimes les bénéficiaires de l’AME. Les médecins craindraient que les consultations de ces patients soient plus difficiles, parce qu’ils ne parlent pas français, souffrent de pathologies plus lourdes et se trouvent dans une situation sociale précaire et que ces consultations entrainent des difficultés administratives, les patients bénéficiant de l’AME ne disposant pas de Carte Vitale. Peut être par souci de politiquement correct, le ministère n’ose évoquer la possibilité que certains praticiens soient motivés par des préjugés racistes. Rappelons que le refus de soins discriminatoire peut être puni en théorie de trois ans d’emprisonnement et constitue une faute déontologique susceptible de sanctions ordinales.
Quentin Haroche