Faut-il mettre encore de l’eau dans Evin et autoriser l’alcool dans les stades ?

Paris, le mercredi 20 avril 2016 – Les spectateurs du match PSG-Lille ce samedi pourront-ils acheter dans l’enceinte du Stade de France des boissons alcoolisées ? L’incertitude demeure. Si au début du mois, la Ligue du football professionnel indiquait avoir obtenu une dérogation de la part de la mairie de Saint Denis permettant exceptionnellement la vente de bière alcoolisée au Stade de France le 23 avril, hier, sur RTL, le secrétaire d’Etat au Sport Thierry Braillard a indiqué que la municipalité avait finalement renoncé à accorder cette autorisation.

Hypocrisie et détournement

Ce revirement illustre les controverses qui entourent ce sujet. Aujourd’hui, la loi Evin interdit la consommation et la publicité pour l’alcool dans les enceintes sportives. Cependant, les associations sportives agréées peuvent demander aux autorités dix dérogations temporaires par an, pour une durée de 48 heures maximum, pour pouvoir proposer des boissons alcoolisées de groupe 3 (dont font partie les bières). Cette réglementation est contestée et fréquemment enfreinte par les groupes sportifs. Fin 2014, un mail adressé par Samuel Gaillardeau, alors "stadium manageur" de l’OGC de Nice à divers responsables de Ligue 1 et Ligue 2, révélé par le Parisien, confirmait la volonté de l’auteur de voir assouplie la législation sur l’alcool dans les stades. Dans cette missive, Samuel Gaillardeau indiquait par ailleurs clairement : « Certains d’entre nous ont déjà franchi le cap en servant de la bière alcoolisée dans leurs buvettes, soit en se servant des dix autorisations possibles à une association soit sans faire de demandes du tout ». Par ailleurs outre cette utilisation des dérogations et le contournement de la loi, l’alcool est légalement disponible dans les loges VIP des stades, qui parce qu’elles distribuent des repas, disposent d’une licence similaire à celle d’un restaurant et peuvent donc à ce titre proposer des boissons alcoolisées. Une situation qui relève d’une véritable hypocrisie pour les associations sportives.

Un petit remontant pour les clubs sportifs

Ces dernières ont vu leur position reprise dans un rapport remis hier à Thierry Braillard. Ce document issu d’un groupe de travail qui s’est réuni pendant six mois formule 67 propositions pour doper le sport français. Une a particulièrement retenu l’attention : il s’agit de « développer l’offre de services dans les enceintes sportives » et « d’harmoniser la législation française et européenne sur les règles de publicité pour les marques d’alcool ». Cependant, qu’on ne se méprenne pas, les auteurs du rapport ne veulent pas essayer de convaincre nos voisins européens de la nécessité d’interdire la publicité pour l’alcool et la vente de boissons dans les enceintes sportives, il s’agit bien évidemment de permettre aux associations sportives françaises d’imiter leurs homologues européens. « Les recettes liées au sponsoring d’alcool représentent une part importante du budget des clubs étrangers » remarque le rapport. Or, la santé financière des clubs professionnels français n’est pas florissante : « près de la moitié (…) affichaient une perte » en 2014. Aussi beaucoup jugent que la possibilité de faire de la publicité voire de vendre de l’alcool pourrait représenter un petit remontant salutaire (parmi d’autres mesures). « Il s’agit (…) pour les clubs français de pouvoir disposer des mêmes sources de développement que ses voisins, de mettre fin à une certaine forme d’inégalités de traitement au plan national (les boissons alcoolisées sont autorisés dans les espaces privatifs des enceintes sportives) et – bien sûr – au plan européen. Il s’agit également d’harmoniser les situations locales » plaide encore le rapport.

De l’importance de ne pas boire en écrivant un rapport

Difficile de savoir si le sujet fait l’unanimité dans le monde sportif. Si l’on peut lire dans le rapport que la loi Evin a « fait débat au sein du groupe de travail », on apprend immédiatement après que « chacun est d’accord pour souligner l’incohérence de la loi Evin entre d’une part l’interdiction de faire de la publicité et d’autre part l’interdiction de consommer ». L’incohérence n’apparaîtra pas à tous. Le sujet d’une manière générale est traité avec un certain flou (lié à l’alcool ?) comme en témoigne cette autre préconisation : « Dans le cadre d’un travail interministériel, un champ d’expérimentations pourrait être envisagé à partir d’une évaluation des comportements à risque que le régime actuel semble susciter dans le cadre de dispositifs encadrant la consommation de boissons alcoolisées (notamment technologiques) et en contrepartie d’investissements des acteurs du sport professionnel dans des actions de prévention et d’éducation à la santé » (sic !). L’affaire n’est ont le voit pas parfaitement limpide mais il apparaît assez clairement que les auteurs du rapport sont favorables dans un premier temps à la possibilité de faire de la publicité pour l’alcool et encouragent par ailleurs des expérimentations en ce qui concerne la commercialisation de boissons alcoolisées.

Légère gueule de bois de Thierry Braillard

Déçu que seule cette proposition sur un ensemble de 67 recommandations ait aujourd’hui les honneurs de la presse, le secrétaire d’Etat aux Sports ne s’y montre cependant pas franchement hostile. « Je pense que (…) c’est une question qui se pose » a-t-il observé avant de remarquer encore « Autour des stades, il y a énormément de petits commerces qui vendent de l’alcool ». Déjà en février 2015, le ministère des sports avait soutenu un amendement au projet de loi Macron (qui avait finalement été retiré) déposé par un député PRG, Alain Touret. Cet amendement visait à autoriser la vente d’alcool dans les stades pour des raisons similaires à celles avancées par les clubs sportifs. Par ailleurs, le député faisait remarquer que l’insécurité liée à l’alcool pourrait être plus facilement gérée.

« Ce n'est pas parce que vous vendez de la bière qu'il y a plus d'insécurité. Au contraire, jusqu'ici, certains spectateurs consomment en quantité avant de venir et arrivent complètement ivres, parce qu'ils savent qu'ils ne pourront pas boire à l'intérieur de l'enceinte », observe également Alain Rouger, directeur des activités sportives de la Ligue dans le Parisien, tandis qu’Alain Deveseleer renchérit : « Il vaut mieux consommer de l'alcool dans le contexte sécurisé du stade, où l'on peut arrêter de servir un spectateur déjà ivre, voire le conduire au poste de police ou dans une cellule de dégrisement du Matmut Atlantique. Alors que dans la rue, cela peut être dangereux ».

La défense de l’Avenue Duquesne prend l’eau

Grande oubliée de ce débat cependant : la santé publique. Le ministère de la Santé a déjà fait savoir qu’elle s’opposerait à une telle évolution de la loi Evin. Cependant, par le passé, l’Avenue Duquesne* ne s’est pas toujours montrée assez convaincante pour défendre la législation qui a récemment été assouplie. Il risque d’y avoir du sport.

 

* Duquesne était un officier de la marine de guerre française du XVIIème siècle qui ne prenait pas l'eau. 

Aurélie Haroche

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