
L’incidence du diabète de type 2 (DNI2) ne cesse d’augmenter chez les jeunes américains. Elle est passée de 2,9/10 000 en 2001 à 3,6/10 000 en 2009. Une même tendance est observée chez les asiatiques avec, environ, 20 % de diabètes diagnostiqués avant 40 ans, qui est l’âge charnière de définition d’un diabète précoce selon le Joint Asian Diabetes Evaluation Program. Or, les jeunes diabétiques sont à haut risque de complications cardiovasculaires et rénales de par l’importance du syndrome métabolique associé. Le DNID2 précoce est aussi plus difficile à soigner, répondant moins bien aux modifications du style de vie. Le recours à la chirurgie bariatrique a pu être proposé chez des jeunes diabétiques de type 2, mal contrôlés et dont l’indice de masse corporel (IMC) ne dépassait pas 30.
Une cohorte prospective de patients taiwanais a été constituée à partir du 1er Janvier 2007 afin de juger de l’efficacité et de la durée des rémissions observées après chirurgie bariatrique. Les sujets éligibles devaient remplir les critères de l’American Diabetes Association, être âgés de 18 à 67 ans, avoir un IMC de plus de 25, un diabète mal contrôlé sous régime et médicaments, ce dont témoignait un taux d’hémoglobine glyquée A1c (HbA1c) > 6,5 % du taux d’hémoglobine totale. Ils devaient avoir eu un avis favorable d’un endocrinologue spécialisé. Les critères d’exclusion tenaient à la présence d’une atteinte organique majeure, d’une grossesse, d’antécédents de chirurgie digestive. Ils devaient être indemnes de diabète de type 1 (recherche négative pour les auto-anticorps anti acide glutamique et cellules de Langerhans et taux de C Peptide supérieur à 1 ng/mL, avec test de stimulation au glucagon positif à plus de 50 %).
558 patients opérés, dont 339 avant 40 ans
Pour l’ensemble des participants ont été recueillies les données anthropométriques et biochimiques les plus importantes, à l’entrée dans l’étude, puis annuellement. Le degré d’insulinorésistance a été calculé grâce à l’index HOMA, fonction de la glycémie et de l’insulinémie. Les techniques chirurgicales ont consisté, essentiellement, en la dérivation gastrique Roux en Y ou en une dérivation gastrique avec anastomose gastrique simple, le type d’intervention étant fonction des préférences du patient et de l’équipe médicale multi disciplinaire qui prenait en compte l’IMC, le risque de complications lointaines et/ou de carences nutritionnelles. L’obtention d’un taux d’HbA1c à moins de 6 % sans prise de médications anti diabétiques était considérée comme un succès, la rémission étant jugée complète pour un taux d’HbA1c restant bas au-delà de la cinquième année.
Au 31 Décembre 2013, 558 patients diabétiques avaient été opérés par chirurgie bariatrique et avaient bénéficié d’au moins un an de suivi ; 345 étaient des femmes, 339 (60,8 %) avaient un DNID2 de survenue précoce et 219 (39,2 %) de survenue plus tardive après 40 ans. L’âge moyen (DS) était, respectivement, de 33,5 (7,5) et de 50,6 (6,5) ans. La durée d’évolution de la maladie diabétique était identique dans les 2 groupes. Les diabétiques précoces avaient un IMC plus important (39,4, DS : 8,5 vs 36,7, DS : 7,5), un périmètre abdominal plus conséquent, un taux d’HbA1c plus élevé (8,7 vs 8,2 %), une élévation plus marquée de la glycémie à jeun, du C peptide, des marqueurs inflammatoires et des indices lipidiques. L’insulinothérapie et les différentes procédures opératoires ont été similaires, en dehors d’une moindre utilisation des antidiabétiques oraux dans le groupe DNID2 précoce.
Davantage de rémissions compètes dans le groupe des plus jeunes
Après chirurgie, aucun décès n’a été à déplorer et le taux de complications majeures n’a pas été significativement différent (3 soit 1,4 % vs 6, soit 1,8 % ; p = 0,89). A un an de suivi, les diabétiques de survenue précoce enregistraient une perte de poids plus marquée, une diminution plus nette de leur périmètre abdominal, de leur glycémie à jeun, de l’HbA1c et de l’index d’insulinorésistance (différences toutefois non significatives). On pouvait observer, par contre, un taux plus élevé de rémissions complètes qu’en cas de diabète de survenue tardive (193, soit 56,9 % vs 110, soit 50,2 % ; p = 0,02). A 5 ans, davantage de patients du premier groupe avaient maintenu leur perte de poids (en proportion, 30,4 % vs 21,6 % ; p = 0,002) et on notait un taux plus élevé de rémissions complètes (65,3 % vs 54,2 % ; p = 0,04). L’âge au moment de l’intervention chirurgicale, la durée d’évolution préalable du diabète et le taux pré opératoire de C peptide sont apparus comme des facteurs prédictifs indépendants de rémission (p < 0,001 pour chacun).
Surtout, le taux de rémission du DNID2 a été directement corrélé à la perte de poids observée après chirurgie. Une analyse multi variable confirme cette notion, après ajustements divers en fonction de l’âge, de la durée du diabète, de la procédure chirurgicale, du taux d’HbA1c…On ne relève pas de récidive ultérieure du DNID2 après rémission. Le taux de rémission était corrélé à la durée d’évolution de la maladie diabétique. Il était plus important, dans l’un et l’autre groupe, pour les patients opérés moins de un an après le diagnostic (respectivement, 91,3 % vs 76 %). A l’inverse, le taux de rémission était nettement plus faible quand l’acte chirurgical avait été effectué après plus de 10 ans d’évolution (respectivement, 25,0 % et 13 %).
Ainsi, ce travail démontre-t-il que la chirurgie bariatrique, en cas de DNID2 de survenue précoce, amène à un meilleur contrôle de la glycémie et de la dyslipidémie, entraîne une rémission plus complète et plus prolongée qu’en cas de DNID2 survenu tardivement. Le taux d’environ 60 % de rémissions complètes à 5 ans rejoint celui d’études antérieures. L’indication de chirurgie bariatrique est commune en cas d’IMC dépassant 35 kg/m2. Toutefois, la Fédération Internationale du Diabète reconnait que des patients peuvent être éligibles à un acte de chirurgie dès que l’IMC dépasse 30, voire 27,5 dans les populations asiatiques, quand le taux d’HbA1c reste supérieur à 7,5 % malgré un traitement conventionnel maximal. Il importe de rester extrêmement prudent dans la sélection des malades.
Il faut avant tout bien différencier les diabétiques de type 2 de ceux de type 1. Il est aussi indispensable de s’assurer, par le dosage du C peptide, que la fonction insulinique est conservée, et, de fait, la rémission paraît d’autant plus marquée que le taux de C peptide initial était élevé.
Quelques réserves sont à signaler. Il s’agit d’une étude observationnelle, avec biais de sélection possible. Elle a été mono centrique et n’a porté que sur des sujets taiwanais, donc d’origine asiatique. Enfin, à 5 ans, les données n’étaient disponibles que pour environ 50 % des patients inclus au départ.
Il n’en reste pas moins que cette étude suggère que chez les patients atteints d’un DNID2 de survenue précoce, mal contrôlé, la chirurgie bariatrique peut être une option thérapeutique, même en cas d’IMC inférieur au seuil habituellement retenu de 35 kg/m2 ; elle semble d’autant plus efficace qu’elle est entreprise tôt dans l’évolution de la maladie diabétique et est plus bénéfique que dans les DNID2 de survenue tardive.
Dr Pierre Margent