
Une étude du Centre International pour la Recherche sur le Cancer (CIRC-IARC), dans le New England Journal of Medicine, attirait récemment l’attention sur la responsabilité des surdiagnostics dans ce qui était alors qualifié d’« épidémie » de cancers de la thyroïde. L’on y apprenait que le pays le plus sévèrement touché par ce phénomène est la Corée du Sud et l’on n’est donc pas surpris de la publication dans le British Medical Journal, cette fois, d’une étude coréenne abordant ce même sujet.
Il s’agit de l’examen des données de personnes provenant d’échantillons représentatifs de la population, chez lesquelles a été posé un diagnostic de cancer thyroïdien, en 1999, 2005 et 2008. L’objectif était de rechercher des éléments pouvant étayer l’hypothèse de la responsabilité éventuelle du dépistage systématique dans l’explosion du nombre de cancers thyroïdiens en Corée du Sud. Au total 5 796 patients ont été inclus : 891 pour 1999, 2 355 pour 2005 et 2 550 pour 2008.
Plus de six fois plus de cancers thyroïdiens en Corée du Sud en dix ans
C’est peu de dire que l’incidence des cancers thyroïdiens a augmenté pendant cette période. Elle est en effet passée de 6,4 cas pour 100 000 habitants en 1999 à 40,7 cas pour 100 000 en 2008, soit une augmentation d’un facteur 6,4. Celle-ci est liée pour l’essentiel à un accroissement du nombre de cancers de petite taille (< 20 mm) dépistés, lesquels comptent pour 94,4 % de l’augmentation totale (soit 34,4 cas pour 100 000). Ces tumeurs sont à un stade régional ou local pour 97,1 % d’entre elles. La taille moyenne des cancers dépistés par échographie est de 8 mm, taille nettement inférieure à ce que la clinique peut déceler. Les auteurs rappellent en effet que des tumeurs de cette taille ne sont détectables cliniquement que si elles sont situées au niveau de l’isthme ou à la surface externe de la glande, ou si elles sont symptomatiques, au contact de la trachée, du nerf récurrent ou de l’œsophage.
Deux fois plus d’échos, 4 fois plus de ponctions…et une mortalité remarquablement stable
Cette augmentation de l’incidence du cancer thyroïdien en Corée du Sud coïncide avec l’extension de l’utilisation des examens échographiques qui a fait suite à une réforme du système de soins en 2000. Beaucoup d’hôpitaux et de cliniques ont encouragé la réalisation de « check up » dont faisait partie l’exploration de la thyroïde, avec pour conséquence un doublement du nombre d’échographies thyroïdiennes entre 2001 et 2004, pendant que celui des ponctions à l’aiguille fine quadruplait. Il est essentiel de noter qu’entre 1999 et 2008, la mortalité par cancer thyroïdien est restée remarquablement stable. Les auteurs notent par ailleurs qu’après une campagne de sensibilisation du public, menée en 2014, le nombre d’interventions chirurgicales sur la thyroïde a chuté de 35 % en 1 an.
Une épidémie « fabriquée »
Tout cela constitue pour eux un faisceau d’arguments tendant à appuyer l’hypothèse d’une « épidémie » de cancers thyroïdiens créée par une sur-détection, elle-même résultat d’une utilisation plus étendue de l’imagerie, notamment de l’échographie. D’autres travaux ont toutefois conduit leurs auteurs à demander la tenue d’études épidémiologiques de plus grande ampleur pour rechercher l’éventuelle responsabilité de facteurs encore non identifiés. Le seul facteur de risque confirmé de cancer thyroïdien est jusqu’à présent l’exposition aux radiations ionisantes. En Corée du sud, la seule source d’exposition additionnelle aux radiations ionisantes est l’utilisation médicale des radio-isotopes et les procédures diagnostiques, qui sont peu susceptibles d’être impliquées si l’on considère l’ampleur de l’augmentation de l’incidence des cancers.
Les auteurs de cette étude coréenne estiment que des efforts concertés sont nécessaires au niveau national pour réduire les examens échographiques inutiles chez des patients asymptomatiques et en l’absence de signes à l’examen clinique.
Dr Roseline Péluchon