
Paris le samedi 24 juin 2017 - La nouvelle a été jugée suffisamment importante pour mériter une médiatisation à grande échelle. Ce mercredi 21 juin à 20h33 précisément, la chaine américaine CNN adressait une alerte à ses abonnés pour faire état de l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) : « les vaccins pourront être responsables de maladies même en l’absence de preuves scientifiques claires ». Il s’agissait donc pour la presse d’un bouleversement dans un contexte de défiance vis-à-vis des vaccins.
Puisque la presse internationale et nationale ont fait de cet arrêt « une décision majeure », reste à savoir ce que celui-ci va apporter à la jurisprudence française en matière de responsabilité du fait des vaccins.
Un exposé des faits s’impose.
Une question préjudicielle posée par la Cour de Cassation française
Après avoir été vacciné contre l’hépatite B en décembre 1998, un patient a subi divers troubles ayant conduit en novembre 2000 au diagnostic de sclérose en plaque. Partant, la famille du patient a assigné en responsabilité le fabriquant du vaccin sur le fondement de l’article 1386-1 du Code Civil, à savoir la responsabilité des fabricants du fait des produits défectueux.
La Cour d’Appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 10 février 2011, avait débouté la famille du demandeur de son action, estimant que la preuve du lien de causalité entre l’injection du vaccin et la sclérose en plaque n’était pas rapportée.
Un premier pourvoi fut formé contre l’arrêt d’appel.
La Cour de Cassation, dans un premier arrêt rendu le 26 septembre 2012 avait cassé l’arrêt, estimant (reprenant ici une jurisprudence bien établie) que compte tenu des circonstances de l’espèce, il existait « des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux des trois doses administrées à l’intéressé ».
En clair, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, l’incertitude scientifique ne lie pas nécessairement les juridictions.
Pourtant, la Cour d’Appel de Paris (désignée en tant que Cour d’Appel de renvoi) a fait de la résistance. La juridiction a débouté les demandeurs de leur action, estimant, encore une fois, que la preuve du rôle du vaccin dans la survenance de la maladie n’était pas rapportée.
Un nouveau pourvoi fut formé devant la Cour de Cassation.
A la demande de la famille de la victime, une question
préjudicielle a été posée devant la Cour de Justice de l’Union
Européenne. En effet, l’avis de la juridiction européenne était
nécessaire pour interpréter un texte se posait concernant un texte
issu de la transposition d’une directive européenne (ici l’article
1386 du Code Civil).
La question posée fut de savoir si le juge pouvait estimer que «
les éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des
présomptions graves, précises et concordantes, de nature à prouver
le défaut du vaccin » et ceci, malgré le fait que « la
recherche médicale n’établit pas de lien entre la vaccination et la
survenance de la maladie ».
La Cour de Justice de l’Union Européenne confirme une jurisprudence française établie
La CJUE est venue valider le raisonnement de la Cour de Cassation, voyant ici une interprétation conforme avec les principes du droit de l’Union Européenne.
Les juges français pouvaient prendre en compte un certain nombre d’indices pour retenir la responsabilité du fabriquant.
En l’espèce, les indices retenus étaient les suivants : la proximité entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux, ainsi que l’existence « d’un nombre significatif » de cas répertoriés de survenance de cette maladie après l’administration du vaccin.
Que change cet arrêt ?
L’arrêt a obtenu un certain écho dans la presse qui a vu dans celui-ci un pas en faveur de l’indemnisation des victimes. Pourtant, celui-ci ne fait que confirmer une jurisprudence française… bien établie. La Cour de Cassation considère depuis plusieurs années que l’absence d’étude scientifique prouvant le lien entre le vaccin et la maladie n’interdisait pas la mise en cause de la responsabilité du fabriquant.
Cette jurisprudence ne permet pas plus une indemnisation « automatique » des familles de victimes, mais simplifie la charge de la preuve qui constitue le fardeau le plus difficile en la matière.
L’arrêt européen a deux conséquences (que l'on considéra comme positives ou négatives selon ses convictions antérieures !). En premier lieu, il peut mettre fin à la résistance des Cour d’appel qui se refusaient d’appliquer la jurisprudence de la Cour de Cassation. En outre, cet arrêt permettra sans doute d’harmoniser les jurisprudences européennes qui pourront s’inspirer... de la solution retenue par le juge français.
Charles Haroche (avocat à la Cour, charlesharoche@gmail.com)