
Les urgences, ça ne doit pas être automatique
De nombreux médecins partagent le sentiment que la lutte contre l’engorgement passe par un meilleur "contrôle" des accès. Chef du service des urgences de l’hôpital Pompidou à Paris et ancien député européen (LR), le professeur Philippe Juvin révèle dans le Figaro être très séduit par le modèle danois, dont la mise en place aurait permis une diminution de 25 % de la fréquentation des urgences, selon lui. Sans se prononcer spécifiquement sur ce type de mesures, à l’hôpital Emile-Muller de Mulhouse, le chef du service des urgences, le docteur Sami Kacem estime indispensable que la population intègre plus profondément un message essentiel : « Les urgences, ce n’est pas automatique ».800 postes vacants
L’afflux de patients contribue en effet largement à la « désillusion » partagée par de nombreux médecins urgentistes, pour reprendre le terme du docteur Julie Shaeffer citée par France Bleu. Ce sentiment de ne pas pouvoir exercer la médecine en répondant aux besoins réels des patients mais en se transformant en agent administratif contraint de négliger les aspects les plus importants pousse un nombre croissant d’urgentistes à jeter l’éponge, tandis que les jeunes préfèrent opter pour d’autres spécialités. Aujourd’hui, selon une évaluation réalisée par le magazine Le Point dans le cadre de son palmarès des hôpitaux, 277 services d’urgences comptent un nombre de médecins insuffisants et près de 800 postes seraient vacants, bien que dans la majorité des cas budgétés.Plus de la moitié des médecins urgentistes de Mulhouse démissionnaires en un an
Si l’été contribue souvent à mettre en lumière ces situations difficiles en signalant les services et SMUR qui doivent suspendre leur activité totalement ou partiellement faute de médecins disponibles, la problématique est loin de se circonscrire aux mois de juillet et août. La presse locale ne cesse d’alerter sur des pénuries majeures et inquiétantes. Ainsi l’hôpital de Mulhouse qui comptait 26 postes de médecin équivalent temps plein il y a un an pourrait ne fonctionner qu’avec sept praticiens en septembre selon les syndicats et 12,4 selon la direction. Les démissions ne cessent en effet de se multiplier, créant un « effet domino » selon l’expression du docteur Julie Shaeffer qui quittera le service début octobre. Et l’été qui s’achève ne l’a nullement conduite à regretter sa décision : la multiplication des heures supplémentaires a en effet une nouvelle fois illustré les problèmes de gestion. Par ailleurs, la campagne de recrutement lancée par la direction, qui a principalement consisté en des annonces sur la page Facebook du GHR de Mulhouse selon le quotidien L’Alsace n’a pour l’heure obtenu aucun résultat significatif.Épidémie partout en France
Si avec ses locaux parfois inadaptés et sa nécessité de prendre en charge le flux de patients qui ne peut plus être accueilli aux urgences fermées de Thann, Mulhouse présente des conditions particulières, il est très loin d’être un cas isolé. A Montpellier on compte ainsi six postes vacants, cinq à Perpignan ou encore trois à Alès et Bagnols-sur-Ceze : l’ensemble du Languedoc-Roussillon est concerné. Les chiffres officiels ne reflètent en outre pas parfaitement la réalité des difficultés. Ainsi, à Perpignan le chef de service des urgences a selon France Bleu une vision assez différente de la situation, jugeant que seule la moitié des effectifs médicaux pour un fonctionnement optimal du service est aujourd’hui atteinte (soit 21 médecins pour 41 postes). On peut également évoquer les problèmes du centre hospitalier Eure-Seine privé depuis quelques semaines de son chef de service, ce qui a contribué à une grande déstabilisation de l’unité. Et que dire de Pithiviers où durant tout l’été un seul médecin était présent pour assurer les gardes de 24 heures ?Des facteurs multiples
Les raisons de ce que certains qualifient « d’hémorragie » sont nombreuses. Beaucoup ont évoqué les conditions salariales peu attractives qui poussent certains médecins à préférer l’intérim, d’autant plus que la désorganisation de nombreux services rend peu convaincant l’argument du confort d’une titularisation. Par ailleurs, outre la « désillusion » liée au décalage entre leur idéal professionnel et médical et la réalité, les médecins sont également nombreux à souffrir de l’impact majeur du travail aux urgences sur leur vie personnelle. « Ce n’est pas seulement le fric qui nous intéresse. On veut avoir des horaires corrects, pour pouvoir profiter de sa famille. Si on dit aux jeunes venez au service, vous êtes formés, on vous accompagne, vous avez des horaires fixes, y’a de l’ambiance, de la cohésion de groupe : les gens viennent » résume à Mulhouse le docteur Kacem.On le voit la problématique est donc loin de se résumer uniquement à une lutte contre l’engorgement et Agnès Buzyn doit mesurer aujourd’hui la complexité de ce malaise profond.
Aurélie Haroche